Marc Wilmots se livre pour ses 50 ans: "À l’époque, on pouvait sortir au café et personne ne le savait"
Pour son 50e anniversaire, Marc Wilmots jette un long regard dans le rétro. C’est parti pour le premier volet d’une interview où l’on parle d’un Père blanc d’Afrique fan de foot, d’un test pluvieux à Anderlecht, de la Jeep de Philippe Albert, de la colère de Preud’homme et de Schalke 04…
- Publié le 21-02-2019 à 07h06
- Mis à jour le 21-02-2019 à 09h14
Pour son 50e anniversaire, Marc Wilmots jette un long regard dans le rétro. C’est parti pour le premier volet d’une interview où l’on parle d’un Père blanc d’Afrique fan de foot, d’un test pluvieux à Anderlecht, de la Jeep de Philippe Albert, de la colère de Preud’homme et de Schalke 04… Marc Wilmots a 50 ans ce vendredi.
Un coup de vieux pour bon nombre d’amateurs de football en Belgique.
Pour les quinquas qui avaient découvert ce buteur hesbignon aux joues rouges à la fin des années 80.
Pour les quadras fiers d’avoir vu ce Belge soulever la Coupe UEFA avec un club allemand.
Pour les trentenaires qui n’ont toujours pas digéré le coup de sifflet de Prendergast en 2002.
Et même pour les plus jeunes qui ont appris à connaître ce sélectionneur à la chemise blanche.
Qu’on l’aime ou pas, Marc Wilmots a toujours traversé les époques exposé au vent, en tête de peloton.
Son demi-siècle était un bon prétexte pour jeter un œil dans le rétro. Après avoir hésité, il a finalement dit oui. Et il n’a pas fait les choses à moitié : 1 h 59 d’interview que l’on vous propose en deux volets, aujourd’hui et demain, jour exact de son 50e anniversaire.
L’entretien se déroule dans son bureau, une ancienne grange très joliment rénovée. Ce grand espace donne sur une large terrasse équipée d’un mini-terrain de foot en synthétique. Derrière, un grand jardin puis un champ typiquement hesbignon.
Une armoire pleine de souvenirs occupe tout un mur. Les trophées de Marc, les diplômes de Katrien, son épouse juriste, mais aussi quelques objets de collection, dont une splendide paire de crampons centenaire. "J’ai acheté ça sur une brocante. Ce sont les plus vieilles chaussures de foot qu’on puisse trouver. Regarde, les studs sont en bois. Je m’intéresse beaucoup à l’histoire du métier que j’ai fait. Faudrait montrer ça à tous ceux qui se plaignent."
Le cap des 50 ans, ça vous fait quelque chose ?
"J’ai toujours foncé mais, de temps en temps, c’est bien de regarder dans le rétro. Je suis parti de Dongelberg, hein ! Je faisais le maïs avant d’aller jouer contre Anderlecht. On me disait que ça allait me fatiguer mais je conduisais assis, non ? C’était génial, je faisais ce que j’aimais."
Avec toutes les opérations que vous avez subies pendant votre carrière, vous n’avez jamais eu peur de souffrir en vieillissant ?
"J’ai été opéré 12 ou 13 fois pour le foot. Mais il n’y avait que trois grosses opérations. Et je n’ai jamais été out plus de deux mois. Quand j’étais blessé, le but était toujours de revenir le plus vite possible. J’ai joué avec une épaule fracturée pendant trois mois. On me disait que j’étais fou mais j’étais dans une bulle. On me demandait parfois si je n’avais pas peur de souffrir plus tard. Je répondais : ‘J’ai 25 ans, je verrai bien plus tard ’. Ben, ce plus tard, on y est maintenant. Résultat : je ne prends aucun médicament. Je me lève le matin, je n’ai mal nulle part. J’ai juste un problème de goutte mais c’est héréditaire. Rien à voir avec le foot."
Ça vous arrive encore de jouer au foot ?
"Je pourrais encore mais je refuse toutes les invitations aux matchs de gala. Je ne suis plus entraîné pour ça. J’avais fait l’erreur de dire oui pour le jubilé d’Ebbe Sand. C’était l’équipe A de Schalke contre les Euro Fighters. J’avais arrêté depuis trois-quatre ans. Pour Ebbe, je voulais y être. J’ai joué une mi-temps. Il y avait 60 000 personnes et je ne voulais pas être ridicule. En grand benêt que je suis, j’y suis allé à fond. Pendant trois semaines, je n’ai plus su bouger. J’ai même eu un problème dans le sang. Le docteur m’a dit que j’étais fou. Le foot, c’est donc fini. J’ai eu mon temps. Je fais juste des tennis-ballons avec les gamins."
Vous vous souvenez de votre premier rapport au ballon ?
"Il y avait une balle dans la cour. Elle me suivait tout le temps. J’allais jouer avec le Père blanc d’Afrique, à 200 mètres de chez moi. J’avais 6 ans. Il me disait : ‘Si tu viens au catéchisme, je jouerai une heure avec toi.’ Je restais des heures avec lui. On a fait ça pendant trois ans. Un jour, il y a eu une petite fête dans le village. Il a discuté avec l’entraîneur de Jodoigne en lui disant qu’il avait un bon jeune pour lui. Je suis allé essayer un match avec eux. Je ne savais même pas ce que c’était le hors-jeu. Je sortais de mes deux sapins où on jouait toujours. Au passage, je ne le remercierais jamais assez de m’avoir forcé à tirer du gauche."
Quand on se balade sur le site web de la RAS Jodoigne, on apprend que vous avez inscrit 88 buts avec les Minimes en 1980.
"Je marquais entre 80 et 100 buts par saison. Mais je ne pensais pas à faire carrière. C’était la première fois que je jouais en club. Mes parents étaient trop occupés pour me suivre. Le terrain était à quatre kilomètres et j’avais dû organiser un covoiturage."
Un gamin qui marque autant de buts serait courtisé par tous les grands clubs à l’heure actuelle. Pas dans les années 80 ?
"Si, j’ai eu des propositions. J’ai fait un test à Anderlecht quand je jouais à Jodoigne. J’avais été repéré via la sélection du Brabant. Mon père m’avait accompagné jusque-là. À partir de mes 13 ans, il avait commencé à me suivre."
Et alors, ce test à Anderlecht ?
"Je jouais avec le RSCA contre la sélection du Brabant. On a gagné 4-0 et j’ai mis trois buts. Il tombait des cordes ce jour-là. Les parents auraient aimé rentrer dans un hall pour s’abriter mais quelqu’un d’Anderlecht avait refusé. Mon père était fâché et il m’a dit : ‘Toi, tu ne viendras jamais ici.’ À quoi ça tient, hein ? Mon père m’a mis à Saint-Trond en Scolaires. Le coach, c’était Karl-Heinz Wissmann, un Allemand qui avait connu les grandes années du RWDM. Il était tombé amoureux de moi. J’ai commencé à faire partie de la première à 16 ans et demi en D2. Mon premier match, je m’en souviens comme si c’était hier. On était mené 0-2 par Waterschei, dans le derby. Je rentre à la 70e, je marque deux buts, 2-2. Cela commence bien (sourire) . Deuxième match à Alost. 0-0, je débute mais je suis moyen. J’avais peur de retourner sur le banc mais on me remet le week-end suivant. On gagne 4-2 et j’en mets deux. C’était parti. On a été champion et j’ai marqué 22 buts. J’avais 17 ans."
Et Saint-Trond arrive à vous garder.
"Non, c’est moi qui décide de rester. Tous les grands étaient là mais c’était trop tôt. Je voulais voir si j’avais le niveau de D1. Et je voulais aussi continuer à travailler avec mon père. À Saint-Trond, on était semi-pro. On s’entraînait quatre fois par semaine en soirée. Mais sur notre lancée du titre en D2, on était troisième après 20 matchs. On a tellement fêté ça qu’on est bien redescendu dans le classement (rires) ."
Les footballeurs profitaient plus de la vie à l’époque ?
"Un truc a changé : la technologie. Tu n’as plus de vie privée avec ça. L’autre jour, des gens me filmaient à la pompe à essence. Ce n’est pas méchant mais tu n’es plus libre. Je suis peut-être un vieux con mais qu’est-ce que ça apporte ces Instagram et Facebook ? À part sentir ta popularité, je ne vois pas."
C’est plus de pression d’être pro aujourd’hui ?
"Ça dépend. Tu crois qu’Eden, il se met la pression ?"
Mais peut-il aller boire un verre au café pour décompresser ?
"Non, on ne peut plus faire ça. À l’époque, on pouvait sortir au café et personne ne le savait."
À Malines, vous étiez proche de Philippe Albert. Ça ne devait pas être triste les sorties avec lui.
"Avec le grand ? Oui, ça arrivait qu’on sorte. Mais quand Philou est arrivé à Malines, on ne l’entendait pas. Je le vois encore arriver le premier jour dans sa petite Jeep. Il était cassé en deux dedans. Il était très introverti. Il a fallu attendre ses années anderlechtoises pour qu’il prenne confiance. La génération à Malines était super pro. On sortait quand même entre nous, pour former le groupe. On allait au Martinique. Mais une sortie ne veut pas dire que tu es mauvais le lendemain. Si t’exagérais, t’avais des Koeman, Clijsters, Preud’homme et d’autres qui intervenaient."
Vous arrivez à Malines en 1988, juste après la victoire en Coupe des Coupes. Dès votre première année, vous gagnez le titre.
"J’ai une image qui me revient directement. Dernier match de la saison, on est déjà champion. On va gagner 3-4 au Standard. Michel Preud’homme n’avait pris que 12 buts avant ça. Il jouait pour le record. Il s’est mis dans une rage folle ! ‘Mais p…, c’est quoi ça ?’ C’est le personnage, c’est magnifique."
Il n’a pas changé.
"Il a des ambitions, c’est un perfectionniste. Je trouve quand même que ça va trop loin. Moi aussi, je veux toujours gagner mais tu ne m’as jamais vu exploser sur l’arbitre quand j’entraînais les Diables. Faut savoir prendre du recul. Tu transmets ça aussi à tes joueurs."
Au bout de trois ans, vous partez au Standard. Pourquoi n’avez-vous jamais été champion là-bas ?
"Il y a eu des matchs-clefs. Un match à Anderlecht, je mets un but sur un centre en retrait de Bettagno, ça fait 2-2. Mais on l’a annulé, je ne sais toujours pas pourquoi. Et la presse était amnésique ce jour-là… C’était dirigé. Fallait être très fort pour être champion."
Ça vous arrive encore de retourner à Sclessin ?
"Oui, j’y étais pour le dernier Clasico. C’était un bon match. Ça faisait longtemps que je n’en avais plus vu un si bon dans le championnat belge."
Vous avez joué 136 matchs pour le Standard et mis 67 buts.
"Oui, c’est ça. Un bon rapport, non ?"
L’offre de Schalke en 1996 ne devait pas être la première offre, si ?
"Il y a eu des offres mais ce qui m’a fait partir du Standard, c’est une histoire autour de Robert Waseige. Un dirigeant m’a appelé en me disant qu’il fallait le mettre dehors. Tout le monde était d’accord, il n’y avait plus que moi qui devais dire oui. J’ai dit dans la presse : ‘Si Waseige part, je pars.’ Et je suis parti. Sans ça, je serais peut-être resté, malgré l’offre de Schalke. À 24 ans, j’ai eu l’occasion de signer à Dortmund. Mais ma femme n’avait pas fini ses études. J’ai attendu et elle a réussi. À 27 ans, c’était le moment vu ce qui s’était passé. Il y avait Schalke, Monaco, Benfica et quatre clubs anglais. J’ai directement dit non aux Anglais car on ne pouvait pas prendre les chiens. J’avais deux labradors qui étaient comme mes enfants. Michel (Preud’homme) a tout fait pour m’avoir à Benfica. Je l’en remercie encore car peu de gens l’auraient fait. Le contrat était le même qu’à Schalke. Mais je voulais faire ma route tout seul. Rudi Assauer, qui est mort hier (NdlR : interview réalisée le 8 février) , me voulait. Il était comme mon père de foot. Si tu demandes ce qui change quand on arrive à 50 ans, c’est ça : des gens que tu aimes partent. On a fait des trucs extraordinaires ensemble."
Comme cette victoire en Coupe UEFA 1997.
"On avait une superbe équipe. Quand je suis arrivé à 27 ans, j’étais l’un des plus jeunes avec le gardien Jens Lehmann. Dans les toros au Standard, je n’allais jamais au milieu. Là, tout le temps. Tu imagines le métier qu’on avait ? C’était inattendu d’aller en finale. Chaque fois qu’on passait un tour, c’était la fête. On m’appelait Willy Champagne là-bas. J’avais dit de prendre douze bouteilles à chaque tour pour s’amuser toute la nuit. Cela soudait encore plus le groupe."
Cette finale où vous marquez le seul but à l’aller puis le penalty décisif au retour, c’est le plus grand moment de votre carrière de joueur ?
"Après tous les ennuis que j’avais eus en Belgique entre 24 et 27 ans quand j’ai arrêté l’équipe nationale, j’avais bien mérité que la roue tourne. Beaucoup de joueurs auraient voulu stopper avec les Diables à l’époque mais ils n’osaient pas le faire."
Pourquoi quittez-vous Schalke pour Bordeaux en 2000 ?
"Je venais de finir ma quatrième saison à Schalke. On perdait toujours nos matchs dans les 20 dernières minutes. Olaf Thon commençait à prendre de l’âge et il avait tendance à reculer. Il y avait 50 mètres entre lui et moi. Les lignes n’étaient plus assez serrées et on se faisait avoir à chaque fois. Je vais trouver Rudi (Assauer) pour lui expliquer. ‘Si je suis entraîneur maintenant, je mets Thon au milieu et un gars derrière qui va resserrer les lignes.’ On ne le fait pas. Je fais l’Euro 2000, j’ai l’occasion d’aller à Bordeaux, je pars. Premier match de Bundesliga la saison suivante, Dortmund-Schalke. Où joue Thon ? Au milieu ! Meilleur joueur du match et ils gagnent 0-4. Assaueur m’appelle : ‘Gros, t’avais raison.’ Oui, mais Schalke n’était pas européen et moi j’étais parti à Bordeaux…"
Où on vous fait jouer ailier droit.
"Alors que je n’ai pas de dribble, pas de vitesse et pas de centre… Mais je l’ai fait pour le club. J’ai ramé mais j’ai quand même mis 11 buts. Je demande le plan tactique pour la saison suivante et on me dit que ce sera pareil, le club était très content de mes stats. Mais je ne voulais pas repartir pour un tour. Un jour, je suis dans la voiture, je reçois un coup de fil. Assauer : ‘Viens demain au mariage de Youri Mulder.’ J’étais dans le plâtre après une opération de la cheville mais il insistait. J’ai dit à ma femme : ‘Tu paries qu’il va me racheter ?’ On arrive chez Youri, Rudi me dit au bout de trois minutes : ‘Reviens à la maison.’ Et je suis revenu."
Vous avez pourtant encore une maison à Bordeaux.
"J’ai acheté une maison après trois jours. À Gelsenkirchen, j’ai toujours loué (rires) . C’est une magnifique région. Bordeaux est une superbe ville mais ce n’était pas le cas quand je suis arrivé. Alain Juppé a eu les cojones de faire 6 ans de travaux. La ville était noire avant ça. C’était pourri, laid et humide. Ils ont tout refait. Il fallait du courage politique pour s’engager dans un tel chantier. Juppé aurait pu tout perdre."
Vous avez songé à vivre là toute l’année ?
"J’y ai pensé. Quand j’ai commencé à coacher l’équipe nationale, j’ai failli déménager toute ma famille là-bas. Je savais que j’étais déjà dans le peloton d’exécution… Je voulais mettre mes enfants à l’abri. Mais finalement, ça s’est bien passé jusqu’à l’Euro. Parce qu’on a commencé à planer et à mettre la barre trop haut. Pourtant, quand j’ai commencé, si on avait dit où on allait aller, on m’aurait pris pour un fou. Après 7 ans comme T2 puis T1, je suis bien content de ne plus y être."