Les Tabous du Foot: "Les joueurs homosexuels sont obligés de se cacher"
Pierre Rondeau, économiste du sport, démonte les tabous dans le foot un à un dans un livre choc qui vient tout juste de sortir.
- Publié le 18-02-2019 à 06h58
- Mis à jour le 18-02-2019 à 14h13
Pierre Rondeau, économiste du sport, démonte les tabous dans le foot un à un dans un livre choc qui vient tout juste de sortir. Cigarette, alcool, racisme, sexe, dopage, argent, homosexualité, impartialité de l’arbitrage… Autant de sujets qui, officiellement, ne posent aucun problème dans le foot, mais qui alimentent pourtant les fantasmes et les rumeurs incessantes.
Pour y répondre, l’économiste du sport Pierre Rondeau a enquêté au-delà des témoignages et s’est appuyé sur des études scientifiques (économiques, sociologiques ou médicales…) dans son nouveau livre titré Les Tabous du foot. Il montre que le football n’est pas ce modèle idyllique érigé derrière des tabous protecteurs. Codirecteur de l’Observatoire sport et société à la Fondation Jean-Jaurès, celui qui est aussi chroniqueur pour la chaîne française RMC Sport bat en brèche les idées reçues et montre que le sport numéro un se protège derrière des non-dits pour éviter de traiter les vrais problèmes. Entretien.
En confrontant les tabous du foot à des faits scientifiques, quelle est votre démarche avec ce livre ?
"L’idée est de se baser sur le rationnel, sur des faits scientifiques vulgarisés à outrance afin de les confronter aux non-dits, aux tabous, aux clichés de ce sport. Je démontre au travers d’enquêtes que le dopage est par exemple présent dans le football, ou, via des études psychologiques et comportementales, que le footballeur est intelligent via une autre forme d’intelligence, pas la culture générale mais il y a une intelligence neurologique supérieure à la moyenne et des capacités différentes d’expression. Racisme, homophobie, précarité qui touchent les footballeurs, arbitrage, économie du foot, alcool, sont aussi des thèmes abordés."
Pourquoi le football concentre-t-il autant de tabous ?
"Il y a plusieurs causes qui sont liées entre elles. Déjà, parce que c’est le sport le plus populaire au monde, donc il génère beaucoup de critiques. Les tabous sur le tennis sont moins vendeurs, et il y a moins d’études scientifiques sur le sujet. En effet, il y a des centaines de millions de pratiquants, ce qui génère aussi énormément d’argent auprès des annonceurs, ce qui fait qu’on cherche à contrôler et à polir son image, sa communication, au vu des contraintes économiques aussi énormes."
Quel chapitre a été le plus difficile à traiter ?
"Sans aucun doute le tabou lié à l’homosexualité dans le foot. J’ai pu constater le silence des autorités et une forme d’autocensure des principaux intéressés. Dans un sport très hétéro-normé, les homosexuels sont obligés de se cacher, surtout face aux insultes homophobes dans les vestiaires, devant la télé et dans les tribunes. Très peu d’études existent sur l’homosexualité. Mon but est de le traiter via des études scientifiques. C’est un cas alarmant car il y a très peu de recherches sur le sujet, peu de témoignages, rares sont les joueurs à se déclarer homosexuels pendant leur carrière ou ils attendent sa fin. Je veux expliquer pourquoi dans un sport pratiqué par des millions les cas de coming-out sont tellement rares. J’ai trouvé des études universitaires mais très peu, j’ai voulu le faire de manière posée. J’ai été mis en difficulté face à ce manque, alors que sur l’alcool, le sexe et le tabac, elles sont très nombreuses."
Vous illustrez ce tabou avec le cas du footballeur Olivier Rouyer ?
"Certains n’osent pas le dire durant leur carrière par peur que ça les freine. Olivier Rouyer, un footballeur français l’a dit dix-huit ans après. Pourtant, personne ne lui a mis la pression, mais il l’a fait de lui-même, il s’est autocontrait à cette censure malheureuse qui laisse croire que ça lui portera préjudice auprès du club, des sponsors, des supporters, c’est une vraie problématique dans le foot."
Face aux insultes homophobes, les joueurs homosexuels se censurent et sont obligés de se cacher…
"C’est de la responsabilité des instances de lutter contre l’homophobie autant que pour le racisme. On doit seulement être noté sur sa performance de footballeur et non pas sur sa couleur ou son orientation sexuelle. C’est juste un tabou et une autocontrainte des joueurs car l’ensemble de la société fan de football a intégré que c’était un sport hétéro-normé. A contrario, c’est plus accepté qu’une femme homo joue au foot de haut niveau."
Les instances ferment les yeux sur le racisme
Pierre Rondeau pose un constat implacable : lors de la Coupe du monde 2018, mis à part un entraîneur, aucun dirigeant ni entraîneur n’était de couleur. "Autrement dit, ils sont tous blancs. On gardera ces clichés sur la représentation qu’on se fait du footballeur tant qu’on ne prendra pas la décision de montrer une réalité, un homosexuel n’est pas moins qu’un hétéro comme un dirigeant noir n’est pas moins bon qu’un blanc", déplore-t-il.
Dans le livre, Éric Cantonna s’interroge sur le fait que le nombre d’éducateurs africains en équipes de jeunes est très élevé, "mais plus on avance dans le milieu professionnel, plus ils disparaissent et deviennent blancs. Pourquoi les dirigeants ne prennent pas ce risque qui n’en est pas un, pourquoi ne nomment-ils pas de sélectionneur de couleur, on autoproduit les discriminations."
"Les footballeurs ont des capacités cognitives au-dessus de la moyenne"
Souvent moqués, les footballeurs sont présentés comme des êtres privés d’intelligence. Selon Pierre Rondeau, ces derniers sont loin d’être bêtes. Ils possèdent juste une intelligence différente du reste de la population. "Qu’est-ce que l’intelligence ? La culture générale, les diplômes ? Ou utiliser ses capacités neurologiques et cérébrales de manière extraordinaire ? Les footballeurs ont des facultés supérieures à la moyenne pour prendre des décisions, faire le bon choix et anticiper des mouvements en une fraction de seconde. Ils sont intelligents mais ce n’est pas la définition qu’on donne de l’intelligence." Anticipation, prise de décision, motivation, stratégie… Les très grands sportifs ne performent pas qu’avec leurs muscles, ils doivent faire preuve de compétences cognitives de haut niveau.
Certains footballeurs présentent même des capacités cognitives très largement au-dessus de la moyenne, expliquent des neuroscientifiques spécialisés dans les Tabous du foot. Ces derniers ont étudié les fonctions exécutives de footballeurs de différents niveaux, dont deux joueurs espagnols : Xavi Hernandez et Andrès Iniesta. Résultat : les tests des fonctions cognitives (attention, mémoire de travail, anticipation, prise de décision, capacité d’adaptation…) menés sur ces joueurs ont montré qu’ils possédaient des compétences plus importantes que des joueurs de moins bon niveau, mais surtout qu’en classant la population mondiale sur ces critères cognitifs, Xavi arrivait dans le premier centième, et Iniesta dans le premier millième.