Les Belges du bout du monde (10/10): "Je me disais que je n’allais jamais jouer en Italie à cause du racisme"
S’il n’a pas été épargné par ce fléau, Benjamin Mokulu évolue depuis désormais quatre ans en Serie B où il a connu quatre clubs et plusieurs vies. Et il s’y plaît.
- Publié le 11-01-2019 à 15h43
- Mis à jour le 11-01-2019 à 15h44
S’il n’a pas été épargné par ce fléau, Benjamin Mokulu évolue depuis désormais quatre ans en Serie B où il a connu quatre clubs et plusieurs vies. Et il s’y plaît.
"Je parle limite mieux italien que français maintenant."
Benjamin Mokulu ponctue l’interview d’un sourire. Voilà quatre ans et demi que l’attaquant a quitté la Belgique.
En septembre 2014, il a mis le cap sur Bastia. "Mogi Bayat m’a appelé le dernier jour du mercato pour me dire qu’ils étaient intéressés ; je n’y croyais pas. Cela s’est fait en moins de 12 heures. Un rêve. C’était le 31 août et le lendemain, à 6 h du matin, j’avais mon vol."
Arrivé pour pallier la suspension de Brandao dans un club "où je connaissais à peu près tous les joueurs même si eux ne me connaissaient pas", le Bruxellois n’y reste que six mois après le remplacement sur le banc de Claude Makélélé par Ghislain Printant "qui ne comptait pas sur moi", partant tout de même sur son seul but, celui de la qualification en Coupe de la Ligue pour Caen, ne faisant que transiter par Malines ensuite avant de s’établir en Italie.
"Pourtant, avant d’y signer, l’Italie, pour moi, c’était l’anti-football. Même regarder un match de Serie A, c’était presque impossible pour moi (rires). Je n’aimais pas du tout. Mais maintenant que j’y suis en Italie, je ne regarde plus que la Serie A et la Serie B", explique-t-il avant de se replonger dans son parcours.
Voyage du sud au nord de la péninsule, entre buts, blessure et racisme…
1. L’ARRIVÉE À AVELLINO : "L’OBJECTIF, C’ÉTAITLA SERIE A"
"L’Italie, je ne connaissais pas du tout mais vraiment pas du tout. Encore moins la Serie B. Mais que l’équipe soit 7e m’a motivé car il y a deux montants directs et six autres équipes qui jouent les barrages. Il y avait moyen d’aller en Serie A ; c’était l’objectif. On a raté la montée en demi-finales des PO. Mais j’ai découvert un très bon championnat."
"C’est juste un peu fermé et c’est dur pour les attaquants de marquer mais je prends beaucoup de plaisir. Niveau efficacité, j’ai progressé. Si l’on a eu une occasion et qu’on l’a ratée, c’est dur d’en avoir une deuxième. Quand je suis arrivé, j’ai eu six mois sans marquer à cause de l’adaptation. Mais une fois adapté, cela allait mieux. J’ai marqué 13 buts lors de ma deuxième saison à Avellino en 2015/2016 et tout est parti comme cela. Samuel Bastien était là cette saison-là, il a fait un très bon championnat et, Lui, il est parti, il ne nous a pas attendus (rires) ."
2. LE DÉPART POUR FROSINONE : "J’AI ÉTÉ SURPRIS"
"En début de saison 2016/2017, on a changé de coach, un entraîneur plus défensif est arrivé. On n’a gagné que quatre matchs en 21 journées. C’était très compliqué. Un coup, je jouais, l’autre coup, je ne jouais pas. Et pour un attaquant qui ne marque pas, c’est compliqué de retrouver la confiance. C’est difficile de sortir la tête de l’eau. Puis Frosinone est arrivé. Enfin, ils sont plutôt revenus. Après ma saison à 13 buts, ils me voulaient déjà l’été. Avellino avait refusé une offre à 1,2 million. Ils avaient déjà vendu un attaquant, c’était trop tard. Ils m’ont retenu, j’étais d’accord à condition de prolonger, ce qui a été le cas."
"Même moi, j’ai été surpris qu’il y ait encore de l’intérêt en janvier, cela s’est fait en deux jours et on a joué la montée. À un point près, on montait directement. Et on a perdu en barrages contre Carpi."
3. LA BLESSURE :"J’EN AI PLEURÉ DE RAGE"
"Après mon prêt à Frosinone, l’entraîneur d’Avellino était toujours en place. On ne s’entendait pas. Et à Cremonense, il y avait l’ancien coach d’Avellino avec qui j’avais marqué 13 buts et qui me voulait. J’y suis allé sans réfléchir, j’avais des garanties de temps de jeu. Tout se passait bien, on jouait la montée puis je me suis blessé. Cela a tout gâché. C’était en match, seul, sur le deuxième pas d’un sprint. Cela a lâché. Au bruit, j’ai compris que c’était grave. Des supporters m’ont dit qu’ils l’avaient entendu dans les tribunes. Ce tendon d’Achille qui lâche, c’est la première grosse blessure de ma carrière. Sur le moment, sur le terrain, j’ai pleuré. Pas de douleur mais de rage. J’étais tellement énervé. Je faisais une bonne saison et j’ai compris qu’elle était finie. Il n’y a rien d’autre à faire que d’attendre les examens, puis l’opération et de voir comment se passe la rééducation."
"Mentalement, c’était dur. Je suis resté plâtré un mois à la maison. Je n’ai pas l’habitude de rester à la maison. Le deuxième et le troisième mois, ça va, on commence à marcher, à faire des exercices. Le quatrième, c’est dur car je n’avais pas encore commencé à courir. Je commençais à me poser des questions. J’ai repris la course le cinquième mois. Je ne tenais pas plus de deux minutes à cause de la fatigue, de la douleur. Je me demandais si j’allais réussir à revenir au top niveau, est-ce que j’arrête le foot ? Que faire si j’arrête ? Heureusement, ma famille et ma femme m’ont soutenu. Je n’ai pas lâché. J’ai continué ma rééducation l’été en Belgique, avec Damien Broothaerts."
4. LA FAILLITE D’AVELLINO ET LE DÉPART POUR CARPI : "J’AI PRÉFÉRÉ RESTER EN ITALIE"
"Ma chance a été de me blesser en décembre ce qui me permettait de fai re mon retour pour la reprise l’été dernier. Je me suis entraîné avec mes potes en Belgique puis avec l’équipe à mon retour. Avant la faillite du club. J’ai eu la chance d’avoir beaucoup d’intérêts déjà lors de la préparation parce qu’ils s’attendaient sans doute à la faillite. Je ne pensais pas pouvoir compter sur autant d’offres après une blessure. J’avoue que beaucoup de clubs étaient prêts à investir de l’argent sur moi sans trop se poser de questions."
"Une fois la faillite actée, j’aurais pu opter pour l’argent car beaucoup de clubs en dehors de l’Europe, en Arabie saoudite, en Turquie ou en Chine, me voulaient mais j’ai privilégié le sportif. J’ai quand même envie d’étoffer encore mon CV et j’ai fait ce choix de rester en Serie B, un championnat que je connais bien. J’ai pensé revenir en Belgique mais je ne suis pas parti avec une très bonne image. J’ai préféré rester en Italie."
"C’est vrai que j’ai pensé que c’était le moment de signer un contrat dans un championnat exotique. Mais je ne vais pas me plaindre car même en Serie B, cela paye très bien. Je gagne très bien ma vie, autant rester sur les mêmes bases salariales qu’avant ma blessure pour, pourquoi pas?, partir ensuite dans les pays du Golfe avec encore des meilleures offres. Revenir après une telle blessure et partir dans de tels pays où il y a moins de patience et plus d’exigence m’offrait moins de droit à l’erreur. Je n’ai pas voulu prendre le risque."
5. CARPI ET LE RACISME : "IL FAUT TAPER PLUS FORT"
"Pourquoi Carpi ? Parce qu’à chaque fois que je jouais contre eux, ils étaient durs à battre (rires) ! C’est une équipe chiante à jouer. Vraiment. Ils nous avaient éliminés en PO quand j’étais à Frosinone. C’était attrayant car l’équipe descendait de Serie A, joue le haut de classement. Mais finalement, la moitié de l’équipe et du staff ont changé, il a fallu retrouver une cohésion de groupe."
"C’est vrai que j’ai été l’objet de cris racistes ici en novembre 2016. J’ai alors posté ce message sur Instagram. Beaucoup de supporters de Carpi m’ont alors soutenu, m’ont dit qu’il ne s’agissait que d’une minorité. Je n’avais rien contre les supporters, des racistes, il y en a partout. C’était plus contre l’arbitre qui était à côté de moi. Il y a des cris de singe dans trois quarts des stades, cela ne me touche pas. Mais que l’arbitre ne l’entende pas et me dise de jouer. Cela n’avancera jamais…"
"En vivant ici, on se rend compte que c’est un pays avec beaucoup de nationalistes. Ils ne sont pas racistes qu’envers les Noirs mais envers toutes les minorités. Ils ne s’aiment qu’eux-mêmes. Cela ne changera jamais, c’est leur mentalité. Je pense que l’on pourra éviter les cris de singes dans les stades. Mais changer les mentalités sera compliqué. Si l’on poste juste des messages ‘no racism, no racism ’, cela ne va rien changer. Il faut taper plus fort comme arrêter un match. Il faut marquer le coup."
"Après, le racisme, c’est délicat. En Italie, les gens ne s’en cachent pas en fait. Peut-être que cela paraît plus normal on va dire dans ce pays. Avant de signer en Italie, j’appréhendais un peu à cause du racisme. Je me disais que je n’allais jamais jouer en Italie à cause du racisme. Finalement, les trois quarts des gens sont très accueillants, ils aiment presque plus les étrangers que les Italiens mais il y a toujours ce quart qui s’affiche ouvertement."
"Dès que l’on perd, une semaine au vert"
L’Italie et son Calcio véhiculent plusieurs clichés. Qui ne sont pas forcément erronés. Démonstration.
Les mises au vert punitives : "Vrai. Là-dessus, l’Italie reste un pays à part. Dès que l’on perd, on va partir une semaine en mise au vert. Du jour au lendemain, on laisse la famille."
Le culte de la tactique : "Vrai, encore. La tactique, c’est fois 1 000 par rapport à la Belgique. Deux jours avant le match, il ne faut pas croire que tu vas prendre du plaisir à l’entraînement, c’est échauffement et tactique."
La préparation physique : "Vrai. C’est dur. Encore plus ici à Carpi vu que le préparateur physique est un ancien coureur de fond. On ne rigole pas avec lui. C’est un autre monde mais il faut être préparé au championnat."
Le soleil : "Vrai et faux. Il ne fait pas forcément meilleur qu’en Belgique. Là, je rentre tout juste et il faisait meilleur en Belgique. Dans le Sud, il fait beau. Dans le Nord, on ne croirait même pas que l’on est en Italie (rires) ."
La nourriture : "On ne peut pas leur retirer. Même quand on va en mise au vert. Ce que l’on mange avant un match, c’est pas normal. On va avoir des pâtes ou du risotto. Puis du poulet ou un steak."