Le foot féminin en Belgique (3/3): "Nous ne sommes pas proches des Diables"
Alors que la Coupe du monde démarre ce soir, nous avons rencontré les deux figures emblématiques du football féminin belge : Aline Zeler et Tessa Wuillaert.
- Publié le 07-06-2019 à 07h39
- Mis à jour le 07-06-2019 à 12h03
Alors que la Coupe du monde démarre ce soir, nous avons rencontré les deux figures emblématiques du football féminin belge : Aline Zeler et Tessa Wuillaert. Complices, souriantes et blagueuses, Aline et Tessa pourraient être prises pour des sœurs. Mais elles ne le sont pas. Tout du moins génétiquement parlant car autrement, leur relation est fraternelle. Zeler, 36 ans, a vu débuter Wullaert, 26 ans, adolescente à Zulte Waregem. Les deux joueuses ont ensuite évolué ensemble au Standard.
Depuis neuf ans, elles se côtoient en sélection nationale. Et petit à petit une amitié s’est tissée entre les deux femmes. Ce soir-là, dans le hall de l’hôtel Martin’s Red, les deux joueuses très proches l’une de l’autre, se sont confiées avec enthousiasme sur le football féminin belge, leur carrière et leur relation et aussi le Mondial féminin qui débute ce vendredi 7 juin sans la Belgique.
Vous avez manqué la qualification en barrage face à la Suisse. Néanmoins, la popularité du foot féminin ne cesse de grandir dans notre pays. Pensez-vous que vous y avez contribué ?
Tessa Wullaert : "Oui. Le football belge est en pleine croissance depuis qu’on s’est qualifié pour l’Euro 2017. Et puis notre génération a créé une vraie marque avec les Red Flames."
Aline Zeler : "Pour rebondir sur ce que dit Tessa, quand on nous a nommées les Red Flames, toute une communication a été mise en place. On voulait attirer l’attention et sortir de l’ombre des Diables rouges. En tant que joueuses, on nous a aussi demandé de mettre en avant la marque Red Flames. À chaque fois qu’on le pouvait, on faisait des photos avec nos équipements, nos sponsors. D’autant que certaines joueuses phares comme Tessa évoluent dans des grands clubs. Leur image est relayée dans le monde entier."
Concrètement, comment se matérialise la progression du football féminin ?
A.Z. : "En 2014, la fédération s’est énormément investie. Cécile De Gernier et moi avons été engagées à mi-temps pour travailler sur le football récréatif et la formation des jeunes dans les provinces wallonnes. En Flandre, Niki De Cock a été recrutée pour les mêmes missions. De leur côté, les clubs ont augmenté le nombre d’entraînements hebdomadaires. Quand j’ai commencé, je n’avais que deux séances par semaine, alors que maintenant, on peut monter jusqu’à huit ou neuf ! En sélection nationale, l’arrivée d’Ives Serneels a changé pas mal de choses. Il a une vision à long terme."
T.W. : "Personnellement, quand je vois de bonnes pratiques à Manchester City, j’essaye de les appliquer en sélection. Par exemple, on discute des plans de jeu dans mon club. Je me suis dit que c’était une bonne idée. Donc j’en ai parlé à l’entraîneur des Red Flames. Autre illustration : on a mis en place un pré-échauffement avant d’entrer sur le terrain. C’est très anglais mais depuis qu’on fait ça, mes équipières en sélection apprécient. C’est comme ça que l’on s’améliore. Tout ça nous tire vers le haut. En espérant que ça nous mène à la qualification pour l’Euro 2021."
Vous avez joué toutes les deux au Standard. Continuez-vous à suivre le parcours du club, et plus globalement le championnat belge ?
T.W. : "J’ai un œil attentif sur Anderlecht et le Standard car beaucoup de Red Flames jouent là-bas. Concernant les Liégeoises, elles ont eu de grosses difficultés depuis la fin de la BeneLeague et depuis le départ du président Roland Duchâtelet. Mais il y a une bonne structure et un staff très compétent avec notamment la directrice technique Fery Ferraguzzi. Je souhaite tout le meilleur au Standard et j’espère que les filles arriveront à être de nouveau championnes."
A. Z. : "J’ai quitté la Super League depuis un an mais je me tiens informée des résultats. Le Standard a été et reste le plus grand club francophone. Avec l’arrêt de la BeneLeague, le budget a fortement diminué et le club n’a pas les moyens de renforcer son effectif avec des joueuses évoluant à l’étranger. L’équipe actuelle est très jeune et les joueuses manquent d’expérience. Mais chaque année elles rivalisent et atteignent le top 3. Je pense qu’il faut leur laisser le temps pour revenir au sommet."
Aline, vous avez joué votre dernier match avec les Red Flames samedi dernier. Quel est votre meilleur souvenir ?
A.Z. : "L’Euro 2017. On est resté un mois à Tubize pour préparer la compétition. On a eu les mêmes dispositifs que les Diables. On a choisi nos chambres, qui voulait dormir toute seule, etc. Quand tu es un mois loin de chez toi, tu as besoin de te retrouver seule dans ta chambre parfois parce qu’on est tout le temps ensemble du matin au soir. Je l’ai réalisé à ce moment-là car pendant les stages, on passe 10 jours ensemble maximum. Cette période m’a beaucoup appris autour du vivre-ensemble. Quand on est parti à l’Euro, tout l’hôtel était décoré pour nous. Il y avait des coussins aux couleurs des Red Flames avec notre nom dessus. J’ai gardé tout ça en souvenir. Et les supporters étaient en nombre comme l’Euro était aux Pays-Bas pendant les entraînements. Durant les matchs, 5 000-6 000 Belges se sont déplacés pour nos trois matchs de poule ! C’était génial !"
Les Red Flames se rassemblent au Belgian Football Centre comme les Diables rouges. Parfois vous croisez les garçons. Êtes-vous proches d’eux ?
T.W. : "On n’est pas vraiment proches des Diables rouges. On se croise seulement de temps en temps. Mais pour être honnête, je n’ai aucun problème avec ça. On se dit bonjour et on échange deux-trois mots tout au plus. Une fois, on s’est présenté devant les médias ensemble. Personnellement, comme je joue à Manchester City, je croise les Citizens belges de temps en temps. On a fêté Noël avec les garçons donc là, j’ai discuté un peu avec Kevin De Bruyne et Vincent Kompany. Mais je n’ai pas besoin d’être proche d’eux. Peut-être que si l’on devait parler d’argent, on pourrait avoir une longue discussion (sourire)."
A.Z. : "Parfois nos stages se déroulent au même moment. Eux terminent et nous, on commence. Dans ce cas, on discute avec certains, souvent les mêmes : Thomas Meunier, Eden Hazard ou Romelu Lukaku."
Cela fait près de dix ans que vous jouez ensemble en club et en sélection. Quel regard portez-vous l’une sur l’autre ?
T.W. : "Je serai toujours reconnaissante envers Aline car elle m’a beaucoup aidée quand je suis arrivée en sélection à 17 ans. Je ne connaissais personne. Je n’étais pas heureuse. Je me suis même demandé si je ne devais pas partir. Mais Aline m’a prise sous son aile. Elle m’a appris beaucoup. Quand j’étais plus jeune, j’étais très expressive et je m’exprimais énormément sur le terrain, surtout de manière négative. Aline me disait toujours: ‘Si tu es positive aujourd’hui, tu auras un Coca après le match.’ C’était une façon de m’aider à m’améliorer. On a partagé de nombreux bons et mauvais moments ensemble. Ça m’arrache le cœur qu’elle arrête sa carrière."
A.Z. : "J’ai beaucoup de respect pour Tessa. On a joué au Standard de Liège et on a gagné la BeneLeague ensemble en 2015. Sur mes neuf titres en championnat, c’est celui que je retiens le plus. Quand elle est arrivée en équipe nationale, je l’ai accueillie. En tant que capitaine, ça peut paraître normal mais chez moi c’est naturel. Je l’ai fait avec plaisir. Elle a un beau parcours et va accomplir encore beaucoup de belles choses dans sa carrière. Ça va être dur de ne plus partager de moments ensemble. Mais on reste en contact via Whatsapp. D’ailleurs, c’est elle qui m’a montré comment l’utiliser. Elle m’a également initiée à Instagram. Finalement, je lui ai beaucoup appris mais elle aussi (rires)."
Aline, vous serez coach principale des Espoirs féminines du PSV Eindhoven la saison prochaine. Vous avez signé pour deux ans. Peut-on espérer vous voir un jour à la tête des Red Flames ?
A.Z. : "Oui car coacher, c’est en moi. J’aime donner des conseils, aider les jeunes à progresser. En plus, j’ai une formation d’enseignante en éducation physique. Apprendre, conseiller, diriger, communiquer, motiver : ce sont des compétences dont je dispose. Ce qui est super important, qu’on soit dans un club élite ou pas, c’est l’intégration. C’est pour ça que le coaching m’intéresse."
Tessa, vous n’avez que 26 ans et vous êtes encore loin de la retraite. Mais songez-vous déjà à votre reconversion ?
T.W. : "En ce moment, je suis une formation d’entraîneure avec Aline. Ça peut être une piste pour mon après-carrière parce que j’aimerais bien m’impliquer dans le football féminin belge. Mais j’ai aussi un diplôme en tourisme et le métier d’hôtesse de l’air m’attire. C’est un de mes rêves. En fait, quand je reviendrai en Belgique après avoir vécu à l’étranger pendant des années, le choc sera trop grand. Voyager et travailler dans des avions serait une bonne transition. Mais sauf blessure grave, j’ai encore beaucoup de temps devant moi !"