Lambert, des betteraves et des buts
Durant les fêtes, nous vous proposons une immersion dans le monde à part du football anglais. Aujourd’hui, place aux portraits de trois joueurs au parcours hors du commun.
- Publié le 29-12-2014 à 15h57
- Mis à jour le 29-12-2014 à 16h02
Durant les fêtes, nous vous proposons une immersion dans le monde à part du football anglais. Aujourd’hui, place aux portraits de trois joueurs au parcours hors du commun. À l’heure où il fait bon raconter des contes de Noël au coin du feu, peut-être que certains enfants qui se rendront ce soir à Anfield pour soutenir les Reds face à Swansea auront dans un coin de leur tête la fabuleuse odyssée de Rickie Lambert.
S’il nage un petit peu dans le costume que Luis Suarez a laissé traîner sur les bords de la Mersey, l’attaquant n’a pas grand-chose à envier aux héros qui viennent peupler les histoires que l’on raconte aux gamins anglais. Du moins au niveau de son parcours.
Il y a 20 ans, le jeune Rickie était l’un de ces enfants de la grande banlieue de Liverpool qui s’imaginaient un jour faire frémir le kop comme le faisaient à l’époque Ian Rush puis Robbie Fowler. Sauf que lui a touché du doigt ce rêve avant qu’il ne s’envole.
"J’étais à Liverpool de mes 10 à mes 15 ans" , narrait-il dans le Guardian à l’été 2013. "En gros, on m’a dit que je n’étais pas assez bon ce qui, évidemment, était dur à entendre à l’époque. Je pensais que c’était la fin du monde. Mais je peux maintenant dire aux gens qui sont dans la même situation que ce n’est pas le cas, cela m’a même renforcé."
Lambert parle avec la sagesse de ceux qui ont fait un long voyage. Le sien a eu pour point de départ Macclesfield, cette grosse ville de 50.000 habitants réputée comme étant l’une des moins cultivées du pays, quelque part entre Manchester, Sheffield et Liverpool où il a atterri en 2001 après avoir mis trois ans à faire le deuil de ses rêves d’enfant à Blackpool où il n’a joué que deux matches.
"Après Blackpool, je n’avais pas de contrat et durant 4, 5 mois, je n’avais pas de salaire. C’était une période difficile et je me demandais ce que je pouvais faire en dehors du football. Sauf que je ne voulais pas quitter le football. J’ai fait de mon mieux à Macclesfield qui était à 1h15 de chez moi et j’avais besoin d’un travail ", a expliqué l’attaquant au Guardian .
"Ce boulot dans cette usine de betteraves est le seul que j’ai pu avoir. Je mettais des couvercles sur les pots, je gagnais 20 livres par jour. La journée, je travaillais, le soir je m’entraînais."
Lambert ne reste qu’une saison chez les Silkmen à l’époque en D3 (4e niveau anglais) avant de tracer sa route sur l’autre versant du football anglais, loin des fastes de la Premier League dans cette Football League boueuse de Stockport à Bristol en passant par Rochdale avant que Southampton, qui descend à l’époque en League One (3e niveau anglais) n’investisse sur lui 1 million de livres en 2009.
La somme est considérable pour le niveau mais le riche homme d’affaires suisse Markus Liebherr qui a sauvé le club de la faillite ne regrettera jamais sa première folie. Chez les Saints , Lambert débarque précédé de sa petite notoriété et voit ce transfert à 27 ans comme le point culminant de sa carrière.
Mais Alan Pardew , arrivé en même temps que lui, est convaincu que l’attaquant peut encore mieux faire à une condition : arrêter la tournée des fast-foods.
"Il m’a dit que je n’étais pas assez pro. Et cela a tourné en boucle dans ma tête. J’étais en surpoids. Pour faire simple, je ne faisais pas attention à mon corps comme je le devais" , a reconnu avec humilité Lambert. "Je dois vraiment remercier le staff de Southampton qui a changé mon corps. Ils ont fait des miracles et j’ai commencé à changer sur le terrain."
Jusqu’à incarner la remontée vers les sommets des Saints grâce à son efficacité folle (106 buts en 207 matches), de la League One à la Premier League , tout en poussant le plaisir jusqu’à enfiler le maillot de la sélection anglaise puis celui des Reds cet été.
Une jolie fable qui le fait sourire et qui a aussi une morale : "Cette histoire prouve que je viens de loin et cela ne me dérange pas que les gens parlent de l’usine à betteraves."
Surtout que lui, les betteraves, il n’aime pas ça…
Dwight Gayle, profession charpentier
Dénicher des joueurs venus de nulle part est une spécialité à Crystal Palace. Il y a bien sûr la formidable ascension de Yannick Bolasie. Mais l’histoire de Dwight Gayle est elle aussi savoureuse.
Moins en lumière depuis septembre, cet attaquant lui aussi âgé de 25 ans avait explosé l’an passé, inscrivant face à Liverpool un doublé dans un match nul épique (3-3) qui avait plombé les Reds dans la course au titre.
Né dans la banlieue de Londres, Gayle a longtemps cru pouvoir passer pro à Arsenal où il a été formé avant de se faire montrer la porte de sortie en 2009. Motif du renvoi ? Sa taille (1,77 m).
Gayle a alors 20 ans et trouve refuge au Stansted FC qui évolue en Essex League . Parce qu’il est impossible de gagner sa croûte au 9e niveau du football anglais, l’attaquant se trouve un boulot de charpentier payé 250 euros la semaine, commence tous les matins à 5h avant, le soir venu, de s’entraîner et de marquer.
Partout où il passe, même aligné dans une position excentrée, Gayle affole les compteurs, que ce soit avec Stansted jusqu’en 2011 puis à Bishop’s Strotford (D6) l’espace d’une saison puis 18 mois à Peterborough en Championship où Crystal Palace l’a déniché contre 6 millions d’euros pour lui permettre de goûter à la Premier League .
"J’ai toujours rêvé d’y marquer" , expliquait-il l’an passé après y avoir inscrit son premier but face à Sunderland. "Mais je n’ai jamais pensé que ça se produirait vraiment pour être tout à fait honnête. J’avais abandonné ce rêve." Qui depuis est devenu réalité.
L’incroyable odyssée de Bolasie
Ses habitudes sont restées les mêmes et Yannick Bolasie ne se prendra jamais pour un autre malgré cette notoriété naissante qui pourrait faire de lui l’un des animateurs du mercato d’hiver.
Peut-être qu’au moment de songer à quitter Londres, le longiligne attaquant de Crystal Palace flânera encore une fois dans son quartier d’Hillingdon Borough pour affiner sa réflexion et mesurer le chemin parcouru. Le sien a été long et tortueux. Très tortueux.
Né à Lyon il y a 25 ans, Bolasie a passé toute son enfance à Londres où ses parents ont déménagé alors qu’il n’avait que quelques mois. Mais la carrière de l’attaquant a débuté à… Malte à l’été 2007 où il a atterri sur les conseils de son cousin Lomana Lualua, passé notamment par Newcastle.
La suite de son parcours est une invitation au voyage dans les profondeurs de la Football League à Barnet, Dagenham puis Plymouth où Crystal Palace mise en 2012 près de 500.000 euros sur un attaquant qui n’a jamais joué plus haut qu’au quatrième niveau anglais en ne marquant que 9 buts en 4 saisons…
Mais depuis deux ans en Premier League , le potentiel technique de ce fils d’un ancien international espoir congolais explose, à l’image de ce dribble incroyable face à Tottenham cet automne qui a fait le buzz. "Mais je dois oublier ce geste" , insiste Bolasie. "Maintenant, je dois plus marquer." Histoire de changer au moins une de ses habitudes.