Fifagate: Que sont devenus ceux qui ont choisi le Qatar pour le Mondial 2022 ?
- Publié le 23-06-2019 à 14h58
“Le Qatar a-t-il acheté sa Coupe du monde ?” Une question qui a fait sourire, tant le fait que le petit État du Golfe obtienne l’organisation de cet événement sportif majeur semblait improbable. Écologiquement, humainement et footballistiquement. C’était le 2 décembre 2010. Moins d’une décade plus tard, un rapide coup d’œil à ce que sont devenus les membres du Comité exécutif censé rendre son verdict agrandit les doutes : deux tiers d’entre eux (seize sur vingt-quatre) ont été radiés, suspendus ou à tout le moins inquiétés par une enquête. Petit récap’des pratiques douteuses des grands décideurs du foot mondial.
LES TÊTES D'AFFICHE: les icônes déchues
Parmi les visages les plus connus du comex de l’époque, on retrouve deux Ballons d’Or.
Michel Platini (France) : placé en garde à vue en début de semaine, l’ancien champion est de nouveau inquiété par la justice. Au centre de l’enquête du parquet financier, une réunion ayant eu lieu à la demande de Nicolas Sarkozy (alors Président de la République), neuf jours avant le scrutin de décembre 2010. Aussi, en 2015, juste après avoir annoncé sa candidature à la présidence de la FIFA, le Français est visé par une enquête du parquet suisse, qui examine un versement considéré comme “déloyal” de 1,8 million d’euros de Sepp Blatter (car effectué sans contrat écrit pour des missions réalisées entre 1999 et 2002). Entre appels et réductions de peine, l’ex-numéro 10 est finalement blanchi par la justice helvétique, mais reste suspendu de ses fonctions au sein du foot par la Commission d’éthique de l’institution internationale jusqu’en octobre de cette année.
Sepp Blatter (Suisse) : on le croyait indéboulonnable. Entre dérapages sexistes et autres affirmations comme quoi ni le dopage, ni le racisme n’existent en foot, tonton Sepp avait survécu à tout. Il tombe finalement en même temps que Platoche, son ex-grand ami, pour avoir “abusé de sa position”, selon le rapport de la Commission d’éthique de la FIFA. “Conflit d’intérêt”, “gestion déloyale”, autant d’accusations qui forcent celui qui régnait sur le foot mondial depuis 1998 à faire un pas de côté. Suspendu finalement six ans, il clame son innocence. Autre fait reproché : il signe en 2005 un contrat “jugé défavorable pour la FIFA”, concernant des droits télés des Mondiaux 2010 et 2014 revus à la baisse. Un contrat passé avec un certain Jack Warner (voir plus loin).
Franz Beckenbauer (Allemagne) : à l’instar de Platini, le beau Franz s’est lui aussi retrouvé dans de beaux draps. Concrètement, Kaiser Franz prend nonante jours de suspension en 2014, pour ne pas avoir montré assez d’entrain à aider l’enquête menée par la FIFA sur l’attribution des Mondiaux 2018 et 2022. Celle-ci est levée assez rapidement. Mais rebelote en 2015, quand il est de nouveau accusé, par le Spiegel cette fois, d’avoir puisé dans une caisse noire constituée pour aider l’Allemagne à obtenir la Coupe du monde 2006 (qu’elle organisera, en effet). L’ancien boss de la fédé allemande Theo Zwanziger balance au prestigieux hebdo que cette caisse existait bien et aurait notamment servi à glisser 6,7 millions d’euros dans la poche de Mohammed Bin Hammam (on en reparlera). Une façon de débloquer une subvention promise par la FIFA, et nullement une tentative d’acheter des voix, jure l’icône.
LES RADIÉS À VIE: Père Noël et Caraïbes
Voici les plus grands perdants, la faute à des manœuvres illicites.
Chuck Blazer (USA) : Sous ces airs de gentil Père Noël se cache un redoutable filou. Son surnom ? “Monsieur 10 %” , en référence au pourcentage que le New-Yorkais prenait sur les revenus de la CONCACAF, dont il fut le secrétaire général pendant plus de vingt ans, avant de faire sa joyeuse entrée au comex en 1996. Il s’en fait éjecter dix-sept ans plus tard. Capté par la patrouille en 2011 en raison des pots de vins qu’il touchait de ci, de là, il accepte de collaborer avec le FBI et de balancer pas mal de secrets de famille de la FIFA, et ce afin d’éviter la case prison. Parmi ses missions : piéger des dirigeants du foot dans le viseur des policiers, notamment via des porte-clés avec microphone intégré ! C’est donc par ce James Bond un peu atypique qu’éclate en 2015 le FIFAgate , cette gigantesque enquête menée par la police US pour racket, fraude et blanchiment d’argent. Il quitte la fédé américano-caribéenne en 2011 et l’internationale en 2013. Il en est suspendu à vie deux ans plus tard, pour avoir “commis une série d’actes inappropriés de façon répétée et continue” et accepté “des paiements illégaux” . Il décède finalement en 2017, des suites d’un cancer du côlon.
Jack Warner (Trinité et Tobago) : son plus gros fait d’armes aurait été d’avoir récupéré dix millions de dollars issus d’Afrique du Sud et destinés à un fonds de développement dans les Caraïbes, sur les comptes de sa CONCACAF (il en est le patron de 1990 à 2011). Le tout juste après que la nation arc-en-ciel a hérité de la première Coupe du monde africaine de l’histoire. On est en 2008. Plus tard, il est même accusé par la justice ricaine d’avoir détourné des fonds destinés à aider les victimes du séisme de 2010 en Haïti. Et des soupçons pèsent sur sa personne dans les attributions d’autres Mondiaux, grâce auxquelles il aurait à nouveau touché le pactole. Même ses fils Daryl et Daryan reconnaissent auprès des autorités américaines avoir reçu un beau paquet d’argent. Il lui est également reproché d’avoir aidé Mohamed Bin Hammam à être élu président de la FIFA en 2011. Lui nie, et contre-attaque en affirmant que Blatter, le rival du Qatari, a fait don d’un million de dollars à la CONCACAF. Sans succès. Le Trinidadien finit par démissionner en 2011, avant d’être radié à vie quatre ans plus tard. Il annonçait un “tsunami”, censé balayer la candidature de Sepp à l’élection pour le poste suprême. Au final, c’est lui qui trinque le plus, pour avoir “joué un rôle-clé dans des activités d’offre, d’acceptation et de réception de paiements dissimulés et illégaux, ainsi que dans d’autres projets visant à faire de l’argent.”
Mohamed Bin Hammam (Qatar) : L’homme qui rêvait de faire tomber Blatter de son trône. Peut-être un peu trop. Car en 2011, le scandale éclate : MBH aurait arrosé des dirigeants caribéens pour acheter leur voix à l’élection de mai de cette année. Le tout à Trinité-et-Tobago, patrie de son ami Jack Warner. À l’époque du vote pour le Mondial 2022, cet homme d’affaire proche du pouvoir de Doha est le président de l’AFC (l’UEFA asiatique). C’est surtout lui qui chapeaute en sous-main la candidature de son pays pour l’organisation du Mondial 2022, selon une vaste enquête menée par le Sunday Times. Accords secrets, dirigeants couverts de cadeaux, etc., toute la panoplie y passe, afin de récupérer les voix du comex. Peu après la présidentielle de 2011, la Commission d’éthique de la fédération internationale s’en mêle et le reconnaît coupable d’avoir en effet acheté des voix. Il est logiquement condamné à une radiation à vie. Une suspension définitive confirmée en 2015 “au nom de malversations au sein de la confédération asiatique.”
EN VRAC: Hyundai, FA Cup et garde à vue
Aucun continent n’est épargné par les histoires sombres qui rythment la vie de la FIFA.
Chung Mong-joon (Corée du Sud) : ce businessman (héritier de Hyundai) et politicien avait de grandes ambitions, notamment celle de devenir patron de la FIFA, après avoir chauffé le siège de vice-président, entre 1994 et 2011. Las, en 2015, la Commission d’éthique le suspend pour une durée de six années pour “violation du code éthique” en rapport avec le scrutin de décembre 2010. Il nie et voit sa peine réduite à quinze mois par le TAS.
Worawi Makudi (Thaïlande) : l’ancien président de la fédé thaïlandaise est d’abord suspendu trois mois en octobre 2015, avant de prendre six ans en 2016 pour “faux et falsification”. Il sera innocenté en 2019 par le TAS.
Nicolas Leoz (Paraguay) : il est à l’époque le président de la CONMEBOL (la confédération sud-américaine). En 2010, la BBC l’accuse de s’être servi des droits télé pour augmenter sa cassette personnelle. Mieux, il aurait demandé à ce que la FA Cup soit rebaptisée en son honneur en échange d’une voix pour l’Angleterre dans la course au Mondial 2018, finalement accordé à la Russie. Il est banni par la FIFA en mai 2015 et assigné à résidence.
Ricard Teixeira (Brésil) : patron du foot brésilien de 1989 à 2012, il doit démissionner suite aux accusations de corruption et de népotisme à son encontre. Ballot à deux ans du Mondial brésilien de 2014, censé être l’apogée de sa carrière. Tant pis pour l’ex-beau-fils de João Havelange.
Jacques Anouma (Côte d’Ivoire) : président de la fédé ivoirienne, de 2002 à 2011. Il quitte le comex en 2015 et est accusé par le Sunday Times d’avoir donné (ou plutôt vendu) sa voix au Qatar. Il nie.
Issa Hayatou (Cameroun) : comme son homologue ivoirien, le Camerounais est ciblé par le Times, qui indique que l’ancien président de la CAF (l’UEFA africaine), a lui aussi bénéficié des largesses de Doha pour accorder sa voix à la candidature qatarie. C’est lui aussi qui assure l’intérim entre l’éviction de Blatter et l’avènement de Gianni Infantino à la tête de la FIFA. D’autre part, il se prend un blâme de la part du CIO, dont il est membre, pour avoir reçu 15 000 euros d’un sponsor en liquide.
Julio Grondona (Argentine) : si Jack Warner a pu toucher ses dix millions de dollars arrivés via Pretoria, ce serait en partie grâce à cet Argentin, décédé en 2014 à l’âge de 82 ans. Et pour cause, celui-ci était le président de la Commission des finances de l’organisation à l’époque et n’aurait pu qu’être partie prenante de cette transaction, affirme la FIFA en 2015. Difficile de faire parler les morts, ceci dit.
Angel Miguel Villar (Espagne) : l’ancien big boss du foot espagnol avait d’abord écopé d’une amende et d’un avertissement pour ne pas avoir aidé le procureur américain dans son enquête sur l’attribution des Mondiaux 2018 et 2022. Mais en 2017, c’est plus grave. Il est placé en garde à vue “pour corruption entre particuliers, abus de confiance, détournements et faux en écriture présumés”. Et doit céder ses mandats à la RFEF, à l’UEFA et à la FIFA.
Reynald Temarii (Tahiti) et Amos Adamu (Nigeria) : suspendus avant le vote pour manquement à l’éthique, les deux hommes n’avaient même pas pu faire entendre leur voix.
Une bien étrange victoire
Retour le 2 décembre 2010, en Suisse, où le Qatar décroche l’organisation du Mondial 2022 malgré un dossier de candidature limité. Ses adversaires sont l’Australie, qui sera éliminée au premier tour du vote, le Japon, qui ne passera pas le suivant, la Corée du Sud, qui échoue en demi-finale, et surtout les États-Unis, grands favoris pour ramener le soccer outre-Atlantique après la World Cup 94. Mais les Américains déchantent lorsqu’ils découvrent le nom inscrit sur le papier de Sepp Blatter : le Qatar. L’émirat vient de l’emporter par quatorze voix contre huit seulement pour les States. Dès le lendemain, la presse britannique crie au trucage.