Premier League: le royaume désuni devant le Brexit
La fédération anglaise veut profiter du Brexit pour voir plus de joueurs anglais et moins de joueurs étrangers en Premier League.
- Publié le 19-03-2019 à 16h41
- Mis à jour le 19-03-2019 à 16h45
La fédération anglaise veut profiter du Brexit pour voir plus de joueurs anglais et moins de joueurs étrangers en Premier League.
À l’heure où le Brexit désunit le Royaume, pas besoin de vote pour savoir si le championnat anglais a profité de l’ouverture de ses frontières, lorsque la Cour de justice des Communautés européennes a rendu son célèbre Arrêt Bosman, le 15 décembre 1995, pour voir sa cote réévaluée. Sans la valeur ajoutée des stars du continent, la Premier League ne serait pas devenue la compétition la plus bankable de la planète. Les milliardaires des quatre coins du monde se disputent ses clubs, les sponsors s’arrachent ses maillots, et les droits télés coulent à flot. Et cela, c’est grâce aux étoiles européennes d’hier, les Bergkamp, Cantona, Ronaldo, Henry, van Nistelrooy, van Persie… et à celles d’aujourd’hui, les Hazard, De Bruyne, Pogba, Kanté, van Dijk, Silva…
En may, n’en déplaise à Theresa, le king 2019, qu’il soit Red ou Skyblue, devra sa couronne à un manager continental, Allemand (Klopp) ou Espagnol (Guardiola). Il faut remonter à 6 ans pour trouver trace du sacre d’un entraîneur britannique (l’Écossais Ferguson avec ManU en 2013), et à 27 ans pour applaudir un coach anglais prophète en son pays (Howard Wilkinson en 1992 avec Leeds United). Et le dernier Three Lion élu par ses pairs (PFA) meilleur joueur de Premier League ? Wayne Rooney (MU), en 2010…
Les partisans d’un Brexit footballistique arguent que depuis l’invasion de l’Union européenne sur le championnat, leur équipe nationale n’est plus conquérante. Beaucoup envient pourtant le statut de l’Angleterre : 5e au ranking Fifa, demi-finaliste du Mondial 2018, elle a aussi trusté ces dernières années des performances de choix grâce à ses jeunes (championne du monde U20, notamment…). Les Néerlandais, qui alignent près de 70 % de joueurs locaux dans leur EreDivisie (l’inverse des chiffres anglais !) mais qui ont regardé la Coupe du monde russe à la télé, échangeraient par exemple volontiers leurs stats…
La semaine dernière, pendant que les députés britanniques, divisés sur la manière de quitter le bloc européen, continuaient à tergiverser, les clubs anglais brillaient sur la scène européenne. Ils seront six à disputer les quarts de finale des Coupes d’Europe. Et la moitié des huit qualifiés de la prestigieuse Ligue des Champions sont des clubs au service de Sa Majesté. Grâce, notamment, à Romelu Lukaku, Virgil van Dijk, Leroy Sané ou Jan Vertonghen, fiers membres de l’Union européenne…
Par ici le Brexit...
Alors que se profile le divorce, le Brexit est de toutes les conversations outre-Manche. Joueurs, supporteurs et investisseurs s’interrogent sur les conséquences du retrait du Royaume-Uni de l’UE. Ce 29 mars ou le 30 juin au plus tard, il doit officiellement quitter la famille européenne. Et le retrait britannique pourrait avoir des conséquences sur la Premier League. Le plus lucratif des championnats de foot est dans l’incertitude au moment d’appréhender ce Brexit et son impact sur ses clubs.
Depuis la Cour de justice des Communautés européennes a rendu son Arrêt Bosman le 15 décembre 1995, l’Angleterre a été envahie par les meilleurs joueurs du monde. Un afflux d’étranger qui a réduit le temps de jeu des footballeurs anglais. La FA ne s’en cache pas : elle voit dans le Brexit une belle occasion de permettre à ses joueurs locaux de regagner du terrain, ce qui permettrait à son équipe nationale d’être meilleure encore. Un enthousiasme que ne partage pas la Premier League, qui rétorque que rien ne prouve que les Three Lions rugiraient davantage s’ils étaient plus nombreux en première division britannique. Les clubs craignent surtout que cela nuise à leurs performances sur la scène européenne, mais aussi que cela affecte à terme leurs faramineux droits télés, et donc leurs revenus. Pour la fédé, c’est clair, il faut d’abord protéger le homegrown player, le joueur formé localement (actuellement défini comme un joueur enregistré auprès de la FA depuis au moins trois ans avant ses 21 ans, quelle que soit sa nationalité, même s’il est aussi envisagé de descendre la barre à 18 ans). Comment ? En réduisant le nombre maximum autorisé de joueurs non formés, de 17 à 12 dans chaque noyau de 25.
Des négociations à ce sujet sont en cours, avec une période de transition prévue jusqu’en 2020. Mais parmi les cadors, seul Manchester United serait actuellement en règle…
Les clubs pourraient néanmoins être obligés d’accepter ce compromis, sous peine de devoir se plier aux exigences, plus radicales, d’une sortie britannique de l’Union européenne, et qui remettrait en cause leur politique d’embauches (un changement de règles d’immigration des footballeurs peut être réalisé de façon unilatérale par le Royaume-Uni, sans avoir l’accord de l’UE). Car avec le Brexit, les joueurs de l’Union européenne pourraient être soumis aux mêmes restrictions en matière de visas et de permis de travail que les footballeurs non-Européens ! Soit l’obligation pour le joueur d’être appelé, régulièrement et depuis deux ans, avec son équipe nationale, et que celle-ci fasse partie des 50 premières sélections au ranking Fifa (un footballeur belge, par exemple, doit avoir joué au moins 30 % des matchs des Diables lors des deux années précédentes puisque notre équipe nationale fait partie du top 10 mondial). Et fini de débaucher des joueurs mineurs…
Selon une étude réalisée par Miles Jacobson, le directeur du studio qui a créé le jeu vidéo Football Manager, 152 joueurs actuels, soit plus d’un quart des effectifs de la Premier League, n’auraient pas obtenu de visa sans leur statut de joueur de l’UE. Cela concerne des joueurs belges : certains, comme Denis Odoi, n’aurait pas pu débarquer en Angleterre sans le statut d’Européen…
Heureusement, il n’y aura pas d’effets rétroactifs. Les joueurs ressortissants de l’Union européenne "qui seront déjà en Grande-Bretagne le 29 mars, et qui ont donc signé avant, devront être autorisés à rester et auront les mêmes droits que les joueurs britanniques. Il n’y aura pas de quotas ou de permis de travail pour eux" , rappelle Borja Garcia, expert en politique européenne du sport.
Mais ils seront néanmoins impactés puisque les complications ne se limiteront pas au régime des visas pour les joueurs étrangers: le Brexit influencera l’ensemble de l’économie britannique et touchera d’autres aspects comme les ventes de billets, le merchandising, les droits de retransmission, les contrats.
"On négocie avec les clubs deux clauses additionnelles aux contrats des joueurs" , a confié Thierry Granturco, avocat du sport à Bruxelles, au Parisien. "D’une part, une compensation salariale en cas de dévaluation de la livre sterling supérieure à 10 %, afin que les joueurs n’aient pas à en pâtir. D’autre part, la garantie qu’ils soient payés toute la durée du contrat pour lequel ils ont été engagés, même s’ils n’obtiennent pas de visa après le Brexit."
Les clubs anglais espèrent échapper à l’exode. Insistant sur les "nombreux bénéfices économiques et culturels que la Premier League, mondialement populaire, apporte" au pays, ils plaident pour une exception sportive…
Odoi : "Le Brexit ? Entre joueurs, nous n’en parlons pas"
Denis Odoi est l’exemple d’un footballeur qui n’aurait pas pu prétendre jouer en Angleterre s’il n’avait pas le statut de joueur européen. Avec un petit match en 2 sélections chez les Diables (celui qui était alors Anderlechtois avait disputé le partage, 2-2, face au Montenegro, le 25 mai 2012, en amical… dans l’arrière-garde des Diables, aux côtés d’Alderweireld et Vertonghen, et devant Courtois !), l’actuel défenseur de Fulham ne remplissait pas les conditions d’obtention d’un visa pour un extra-communautaire en 2016 lors de son arrivée outre-Manche. Et le départ prochain du Royaume-Uni de l’Union européenne ne semble pas trop le tracasser…
"Franchement, le Brexit, entre joueurs, nous n’en parlons pas, ou très peu", avoue le Louvaniste. "Je n’ai aucune idée de l’impact que cela aura pour nous… Nous n’avons pas parlé de ça avec le club, et nous n’avons pas eu d’infos des instances. Mais, franchement, ça va être difficile de mettre les joueurs étrangers hors du championnat anglais. Si tous les joueurs partent, la Premier League ne sera plus pareille. Même avec des restrictions, ça risque de changer le paysage. Il y a tellement d’argent en jeu qu’il faudra bien réfléchir. Imaginez si Sky décide de réduire le contrat télé, ce serait une grosse perte pour la ligue anglaise, et même pour le pays car le football est une grosse source de revenus…" (R. V.P.)
Moins d'Anglais, mais plus jeunes
Dans son rapport hebdomadaire, publié ce jeudi, le très sérieux Observatoire du football (CIES) a analysé l’évolution de l’origine des joueurs alignés en Premier League lors des dix dernières saisons, afin de jauger les éventuelles implications d’un changement de règlement après le Brexit.
Le premier constat du CIES est que "le temps de jeu des joueurs ayant grandi en Angleterre a progressivement diminué pour atteindre un record négatif cette saison : 35,2 %. Une tendance similaire a été observée en ce qui concerne les buts inscrits : 30,7 %."
En ce qui concerne les Européens hors Royaume-Uni, ils ont battu des records au niveau du pourcentage de minutes (45,0 %) et de buts (43,3 %) : "Désormais, les ressortissants d’Europe continentale sont plus présents sur les terrains de Premier League que les joueurs britanniques."
Les Belges ont notamment vu leur cote grimpée : de 1,1 % de temps de jeu en 2009/2010, les footeux noir-jaune-rouge ont désormais 3 % de temps de jeu (comme leur voisin néerlandais), après avoir atteint un pic à 5,2 % en 2016/17. Et la tendance est identique pour les autres grands exportateurs de l’UE : si les Français restent stables, "autour de 9 % sur l’ensemble de la décennie couverte par l’étude", "la plus forte augmentation a été observée pour la deuxième origine la plus représentée : l’Espagne (de 2,5 % à 7,2 %). La présence allemande sur les terrains de Premier League s’est également fortement accrue : de 1,1 % à 4,8 %…"
De quoi donner du grain à moudre aux partisans d’une réduction des expats en PL, même si une limitation de recrutement international obligerait les équipes anglaises à modifier leurs stratégies de transfert. L’Observatoire du football nuance : "La montée en puissance d’une nouvelle génération de joueurs anglais très prometteurs suggère cependant que, sur un plan strictement sportif, un tel changement pourrait ne pas porter préjudice à la compétitivité des équipes de Premier League. Il pourrait même renforcer celle de la sélection nationale". Et si les Anglais sont moins présents sur le terrain qu’il y a dix ans, ils sont aujourd’hui nettement plus jeunes : 26,9 ans, "l’âge moyen le plus faible parmi toutes les zones d’origine analysées".