Mauricio Pochettino: l'Argentin qui a conquis l'Angleterre
Ou comment l’Argentin s’est imposé dans une Angleterre dont il ne parlait pas la langue.
- Publié le 01-06-2019 à 07h13
- Mis à jour le 01-06-2019 à 08h37
Ou comment l’Argentin s’est imposé dans une Angleterre dont il ne parlait pas la langue. Les larmes qui ont coulé sur son visage alors qu’il avait le nez dans le gazon d’Amsterdam à se demander comment un tel miracle était possible avaient un drôle de goût. Celui de la revanche sur le sort, avec, en arrière-fond, une bonne dose d’ironie.
À quoi pensait alors Mauricio Pochettino après cet exploit majuscule ? Peut-être au chemin parcouru. Mais aussi à son histoire anglaise devenue une success story alors que franchement, rien, mais vraiment rien ne le prédestinait à briller à Londres.
Dans tout ce que l’Angleterre aime moquer, les Argentins occupent une place de choix, même si le traumatisme de la Guerre des Malouines est plus prégnant à Buenos Aires qu’à Londres. Quand ce conflit a éclaté durant deux mois en 1982, Pochettino avait dix ans.
Vingt ans plus tard, pas loin d’être au sommet de son art, sa relation avec la Perfide Albion avait débuté par un épisode cruel pour lui. Dans cette double revanche après le traumatisme des Coupes du monde 1986 avec la main de Dieu et de 1998 quand David Beckham avait été exclu, les Anglais s’étaient imposés en phase de groupe sur un penalty concédé par celui qui était à l’époque l’un des soldats du grand favori du tournoi éliminé après trois matchs.
"Je ne l’ai jamais touché ; il a plongé", a souvent répété le défenseur au sujet de Michael Owen, quand les images montrent le contraire.
Onze années plus loin, l’annonce de son arrivée en janvier 2013 au chevet de Southampton a été au mieux incomprise, au pire critiquée.
Son expérience de trois ans à l’Espanyol achevée en novembre 2012 ne pesait pas lourd dans ce climat qui n’était pas sans rappeler celui qui avait accompagné le débarquement d’Arsène Wenger à Arsenal. "Je suis dévasté et je pense que c’est juste un nouvel exemple d’un propriétaire qui ne sait plus quoi faire et qui ne comprend rien au football", avait notamment lâché Jamie Redknapp.
Heureusement pour lui, la maîtrise de l’Anglais de Pochettino était pour le moins rudimentaire. "L’anglais, c’était du chinois pour moi", a-t-il reconnu plus tard dans le Daily Mail. Les cours particuliers pris à Barcelone après son départ de l’Espanyol n’avaient pas fait effet.
"La première leçon, longue de deux heures, était tellement ennuyante que la professeure a dit : ‘OK, nous allons essayer quelque chose d’un peu différent, apprenons en chanson.’ Elle a mis Adele, ‘Skyfall’ qui est tellement dur. Et je ne connaissais rien. À chaque fois que j’entends cette chanson maintenant, j’y repense et je souris. Je n’avais pris qu’un cours et je me disais : ‘Impossible, je ne vais pas pouvoir parler cette langue.’ "
Son sourire avait ensuite laissé place à une confession plus surprenante qui éclaire d’une autre lumière sa relation avec un pays où il a connu ses plus belles heures d’entraîneur.
"Passer de l’Espagne à l’Angleterre a été la période la plus difficile de ma vie", a-t-il confié au site anglais Joe. "Ce n’était pas le choix en lui-même mais l’adaptation. Il y a beaucoup de nuits où je n’ai pas dormi. Je me rappelle cette première nuit à l’hôtel à Southampton, c’était un vendredi et le lendemain, je devais diriger mon premier entraînement. J’étais stressé, je bougeais, je n’arrivais pas à fermer l’œil. J’ai pris mon téléphone, il était presque 4 heures du matin et j’ai envoyé un message WhatsApp à Jesus (son adjoint) : ‘Tu es réveillé ?’ Il m’a immédiatement répondu ‘oui’. Je lui ai dit de venir dans ma chambre pour parler. Et je lui ai juste dit : ‘Jesus, demain…’ Je ne savais pas quoi faire. Je ne pouvais pas dire le moindre mot en anglais et je devais me présenter devant 50 personnes, dont le président. J’en tremblais."
Ce qui ne l’a pas empêché de faire adhérer son auditoire : "Quand je suis devant les gens, tout change. C’est comme si j’étais né pour cela. C’est dur à expliquer. Mais j’arrive à trouver dans le regard des gens un moyen de les accrocher. Je ne pouvais rien dire en anglais mais je les ai fait croire en moi. C’est une question d’énergie." Et de compétence aussi.
Si les mots lui ont parfois manqué pour affiner sa pensée, Pochettino a très vite intrigué, clamant dans le Daily Mail dès son arrivée "qu’en termes de talent pur, les joueurs anglais n’ont rien à envier aux Brésiliens, aux Argentins ou aux Espagnols. Tout est une question de travail et de confiance en eux, en leur donnant des opportunités et en les soutenant, de continuer à leur donner une chance en Premier League en ayant conscience que les erreurs font partie de l’apprentissage. L’Angleterre doit croire en ses talents."
Lui, l’Argentin, l’a fait plus qu’un autre : Luke Shaw, Adam Lallana et Nathanel Clyne à Southampton de janvier 2013 à juin 2014, puis à Tottenham Danny Rose, Harry Winks, Eric Dier, Dele Alli et Harry Kane pour ne citer qu’eux : le manager a fait émerger plus d’une quinzaine d’internationaux anglais. Ce qui lui vaut d’être considéré comme l’un des pères fondateurs du renouveau des Three Lions. Tel un conquistador.