Les Belges du bout du monde (9/10): Yves Makalambay reprend du service après deux ans d'arrêt, "Le foot n’était plus fait pour moi"
- Publié le 10-01-2019 à 08h43
- Mis à jour le 10-01-2019 à 14h31
Après avoir arrêté sa carrière durant deux ans et demi, Yves Makalambay l’a reprise à Wycombe depuis octobre 2017. Tout en étant un coach personnel à la notoriété grandissante à Londres et entraîneur des jeunes gardiens de Chelsea. Récit de cette histoire incroyable. Il a été un précurseur. Yves Makalambay a été le premier Belge à être sous contrat avec Chelsea, signant au début de l’ère Roman Abramovitch en mars 2004, soit trois mois seulement avant l’arrivée de José Mourinho. Prometteuse, sa carrière n’a pas épousé les contours de l’immense potentiel de ce gardien. Lui-même l’admet avec beaucoup de sagesse : "J’ai eu tellement de hauts et de bas. J’ai vécu des coups durs alors que j’aurais pu m’installer au sommet. J’ai été à Chelsea sans jouer alors qu’on gagnait plein de trophées. Avec Swansea, j’ai été promu sans avoir le temps de jeu que je voulais mais je fais partie de l’histoire de ce groupe qui a été promu pour la première fois de l’histoire du football gallois. J’étais aux JO de Pékin mais derrière Logan (Bailly). En fait, j’ai toujours été à un brin d’éclore."
À un rien de s’affirmer.
Le gardien a quitté l’autoroute de la gloire pour des chemins plus escarpés avec un retour en Belgique à Malines puis à l’Antwerp entre 2011 et 2015. En jouant très peu à chaque fois. Avant de brutalement disparaître des radars. Désormais installé à Londres, Makalambay en sourit et prévient : "Franchement, c’est vrai, mon histoire est trop bizarre."
Mais elle mérite surtout d’être contée…
Yves, en février 2015, vous avez quitté l’Antwerp pour Otelul Galati en Roumanie. Pourquoi ?
"L’Antwerp me faisait jouer et m’entraîner en réserve. On a eu certains différends. On a trouvé un arrangement en février mais les fenêtres de transfert étaient fermées partout. Sauf en Roumanie. Au lieu de ne rien faire, je suis parti à Otelul Galati pour six mois, pour vivre une aventure parce que j’avais besoin de changer d’air après la galère à Anvers. Cela faisait aussi du bien de se sentir désiré. Mais c’était une mauvaise expérience."
Dans quel sens ?
"Vu mon parcours, me retrouver à 29 ans en Roumanie ne collait pas à ce que j’avais imaginé. Je me suis dit qu’il était peut-être temps d’arrêter. J’ai eu un déclic. La Roumanie m’a ouvert les yeux : cela ne servait à rien de continuer et j’ai commencé à réfléchir pour continuer ma vie sans le football. Arrêter ne me faisait ni chaud, ni froid. Certains le font à 40 ans, d’autres à 22, moi à 30. Le foot n’était plus fait pour moi, tout simplement."
Quelle a été la réaction de vos proches ?
"Quand, à l’été 2015, je suis revenu à Bruxelles et que je leur ai dit que le foot était fini, c’était un peu la crise. Parce que pour eux, Yves, c’est le foot. J’ai arrêté l’école à 14 ans et je suis parti en Angleterre. Ils se demandaient ce que j’allais faire. Je suis resté six mois à Bruxelles pour m’occuper de ma maman, renouer le contact avec mes frères mais j’ai commencé à m’ennuyer. Je ne trouvais pas ma voie. Un footeux qui veut se remettre dans la vie active, ce n’est pas simple. Je ne savais pas où aller en fait pour me remettre dans le circuit. Et je suis retourné à Londres auprès de ma femme et de mes enfants. Je voulais reprendre une petite vie pépère, à Londres, en famille. Je voulais être un père à plein-temps et si jamais je trouvais une profession qui m’intéressait, je me lancerais à fond dedans. Après trois mois à Londres, de voyages, de petits week-ends, j’ai commencé à m’ennuyer grave. Cela faisait huit mois que je ne faisais rien."
Vous aviez complètement coupé les ponts avec le monde du football ?
"Non. Je parlais à Eden (Hazard). Il me disait : ‘viens t’entraîner à Chelsea si tu n’as rien’. Ou viens au moins en salle. Il me poussait à faire autre chose. Didier Drogba aussi me disait que mes économies allaient durer juste un temps car je n’avais plus de rentrées d’argent. Mes contacts du foot me remettaient dans la réalité des choses : vivre de petits voyages, de petits week-ends, tu ne peux pas faire ça toute ta vie à moins de t’appeler Drogba ou Hazard. J’aurais pu continuer six ou sept ans avant de me retrouver à sec. J’ai accentué mes recherches, je voulais reprendre l’école aussi."
Jusqu’à cette improbable rencontre dans la rue…
"(Sourires). Oui. Une personne m’a abordé en me demandant si je n’étais pas un coach sportif personnel car j’en avais l’allure. Quand je lui ai dit que non, elle m’a dit que c’était dommage car elle m’aurait embauché. Je suis rentré à la maison, j’ai raconté cela à ma femme. Elle en a rigolé puis m’a dit que c’était un métier qui était en vogue et qui pourrait m’aller. Qu’il y avait juste un diplôme à passer. Et c’est parti comme cela. J’ai suivi une formation durant neuf semaines, de 9 h à 17 h, avec neuf examens écrits et cinq pratiques. Et j’ai été diplômé par un organisme qui, vu mon parcours, a fait ma promotion et fait de moi une vraie hype dans ce milieu. J’ai eu mon diplôme le vendredi, le lundi, j’avais neuf demandes d’entretien de différentes salles de sport. J’ai choisi pour Virgin qui est une salle prestigieuse en plein centre-ville près de Harrod’s dans les beaux quartiers. Ils m’ont embauché et depuis, cela n’arrête pas. Je fais beaucoup de chiffres, j’ai eu de nombreuses récompenses, j’ai terminé meilleur coach perso de Virgin à Londres. Je suis connu dans ce monde."
Et cette notoriété est arrivée jusqu’aux oreilles de Chelsea. Où vous êtes de retour…
"Oui, ils m’ont contacté pour voir si j’étais intéressé par un poste d’entraîneur des gardiens à l’Academy et j’ai accepté. Je m’occupe de ceux des U13 et U14 depuis un an et demi maintenant. Je me suis aussi lancé dans les diplômes d’entraîneurs, j’ai eu le UEFA B et j’ai commencé le A. Je trouvais mon équilibre entre le coaching personnel et celui des gardiens. J’avais accepté que le foot était fini."
Comment les gens de Chelsea ont-ils réagi en apprenant que vous aviez arrêté votre carrière à 29 ans ?
"Quand je suis revenu au club, beaucoup me disaient que c’était dommage que j’aie arrêté. Vraiment beaucoup (sourire). Puis au printemps 2017, Thibaut Courtois s’est blessé à la cheville. Il jouait les matchs mais ne s’entraînait pas ou plus. L’équipe première m’a alors appelé pour faire quelques frappes. J’ai joué les bouche-trous. Mais quand Carlo Cudicini et Hilario, deux des entraîneurs des gardiens avec qui j’ai joué jeune, m’ont vu jouer, ils m’ont dit : ‘arrêter, c’est une bêtise. Tu es agile, fit ! On peut t’entraîner’. Pour eux, c’était un gâchis que j’arrête et je pouvais encore jouer en League One ou en League Two. Cela a commencé à me titiller. Christophe Lollichon, qui gère tous les gardiens du club, a alors pris sur son temps libre pour m’entraîner. Je suis revenu en forme."
Et vous l’avez montré à Wycombe…
"Encore une fois, de manière complètement inattendue. Christophe devait aller à Wycombe pour discuter avec Jamal Blackman qui était prêté là-bas. Il m’a demandé de l’accompagner pour apprendre. Sauf qu’ils avaient aussi besoin d’un gardien pour leur séance. Je me suis entraîné avec eux et en rentrant à Chelsea, Christophe m’a dit : ‘Yves, le coach est amoureux de toi ! Quand Blackman reviendra à Chelsea, ils sont prêts à te prendre.’ Je n’y croyais pas."
Jusqu’à votre signature en octobre 2017.
"Oui, en début de saison Wycombe n’avait pas le budget. Ils l’ont eu plus tard et j’ai signé. J’ai même terminé la saison en étant aussi entraîneur des gardiens à partir de janvier. Une expérience incroyable car on a été promu en League One et j’ai prolongé depuis comme simple joueur."
Votre temps de jeu n’est pas forcément très élevé…
"Oui. Mais vu d’où je reviens, tout n’est que du bonus. Les mots du coach après la montée, qui a insisté sur mon rôle, m’ont beaucoup touché. J’ai toujours cette envie de jouer mais j’ai plus de maturité maintenant. Jouer, c’est un bonus mais il y a deux ans, le football, c’était fini. Après, vu ma préparation, personne n’a vraiment compris pourquoi je n’avais pas commencé la saison vu mes performances. Mais je relativise beaucoup plus qu’avant. Je reviens de loin, je sais ce que c’est d’être sans le football. Qu’un club ait cru en moi après deux ans sans rien, c’est flatteur vu tous les jeunes des grands clubs qui cherchent du temps de jeu en Angleterre. Je joue, tant mieux, je ne joue pas, tant pis."
Tout en continuant vos activités de coach personnel et d’entraîneur des gardiens à Chelsea.
"Oui. Quand j’ai signé à Wycombe, Chelsea ne voulait pas que j’arrête de travailler chez eux. Les bonnes relations entre les deux clubs me permettent de concilier tout cela. Chelsea m’a dit que j’incarnais le futur du club en tant qu’entraîneur des gardiens. Entendre cela et me dire que je pourrai peut-être prendre la suite de Christophe Lollichon, c’est dingue. Chelsea a été mon premier club en Angleterre et a été le seul club à m’appeler pour me proposer quelque chose. Le club me valorise, se sert de mon parcours avec les jeunes qui hallucinent en voyant que je joue encore. Pour eux, je suis Superman ! Et cela me crédibilise. Maintenant, je sais que Chelsea est là si le football s’arrête à nouveau. Tout en étant coach perso. Je suis épanoui, heureux. Serein. Je suis toujours dans le glamour du foot mais je suis au contact de la réalité avec mes clients. Je travaille pour eux aussi. Tous les soirs, je peux dire bonne nuit à mes enfants. J’ai trouvé cette stabilité absente pendant ma carrière. Je suis serein. Je contrôle mon présent et mon futur désormais."
Que demander de plus ?