La Liga à la sauce américaine: de l'inédit normalisé
La Liga a pour ambition de délocaliser une rencontre aux Etats-Unis cette saison. Telle est la grande nouveauté qui touche le football espagnol, mais elle cadre avec une tendance vieille de quelques années et qui devrait prendre de l'ampleur.
- Publié le 12-09-2018 à 14h17
- Mis à jour le 12-09-2018 à 15h58
La Liga a pour ambition de délocaliser une rencontre aux Etats-Unis cette saison. Telle est la grande nouveauté qui touche le football espagnol, mais elle cadre avec une tendance vieille de quelques années et qui devrait prendre de l'ampleur.
Ce mardi, le FC Gérone et le FC Barcelone ont officiellement demandé, avec l'appui de la Liga, de jouer leur match de championnat à Miami le 26 janvier prochain. Toujours soumise à l'approbation de la Fédération espagnole de football (FEF) et du syndicat des joueurs du championnat, ce dernier y étant très opposé, cette exportation aux States serait une grande première dans le cadre d'une rencontre de championnat.
Ce faisant, la Liga de Futból Profesional (LFP) cherche à détrôner la Premier League de son statut de championnat le plus rentable. "La Liga croit marquer un point en délocalisant un match, mais il s'agit d'une pratique qui risque de lui retomber dessus et de menacer l'équilibre établi entre les différents championnats" avertit Jean-Michel De Waele, professeur de sciences politiques à l'Université libre de Bruxelles (ULB). "Un championnat dispose d'un ancrage national qui risque d'être perdu en exportant ses matches au motif de générer davantage d'argent."
La volonté des grands clubs de s'expatrier n'est pourtant pas neuve et relève d'"une tension permanente entre l'ancrage local et les intérêts économiques des entités sportives dans des marchés émergents". Dernièrement, la Supercoupe d'Espagne s'est ainsi jouée au Maroc et le Trophée des champions français a, depuis dix ans, pris pour habitude de voyager du Canada à la Chine en passant par les Etats-Unis, le Maroc ou le Gabon.
Cette logique fait office de parallèle avec, par exemple, la NBA, dont certaines franchises débarquent annuellement en Europe pour disputer un match officiel. "Mais comparaison n'est pas raison" rappelle le Pr. De Waele. "Plus régulé et organisé, le modèle économique américain n'est pas le même qu'en Europe. Composés de franchises, les championnats nord-américains reposent moins sur cet ancrage local, comme c'est le cas sur le Vieux Continent."
Cela répond par ailleurs à la mondialisation sans cesse croissante du ballon rond. Devenus de puissantes machines commerciales, les clubs drainent désormais des (dizaines de) millions de supporters à travers le monde. Un coup d'œil dans les travées des stades des grosses pointures suffit à s'en convaincre. Se mêlent désormais aux fans de la première heure des touristes venus de la planète entière pour assister à un spectacle plutôt qu'à un match.
Pour rendre la pareille à ces personnes venues des antipodes, les clubs décident alors de s'exporter au gré de tournées dans le but de proposer ce spectacle aux quatre coins du globe, "à l'image des vedettes de la chanson ou des troupes de danse" pointe Jean-Michel De Waele.
La manœuvre est cependant loin d'être désintéressée. Si elle permet aux suiveurs desdits clubs de voir leur équipe jouer sur leur sol, elle offre en outre une exposition, une vitrine et de (conséquentes) rentrées financières supplémentaires aux clubs. "Sans répondre à cette demande, les clubs se priveraient d'une large part du public qui achète maillots et produits estampillés, car ce n'est pas en Europe que le marché se développe le plus à l'heure actuelle" avance encore le professeur De Waele.
C'est dans cette optique que l'International Champions Cup a vu le jour à l'été 2013. Regroupant huit clubs à la base, le tournoi s'est considérablement développé au fil des ans et se décline depuis à l'envi. Une version féminine a même été mise sur pied cette année. Principalement disputé aux Etats-Unis à sa création, le tournoi masculin accueille aujourd'hui dix-huit équipes des plus grands championnats européens qui s'affrontent outre-Atlantique mais aussi en Asie (Chine, Singapour) et en Australie.
Cette compétition de préparation a généré des petits comme l'Audi Cup à Munich ou l'Emirates Cup d'Arsenal. Autant d'exemples témoignant du fait que les clubs, voire les championnats dans le cas de la Liga, visent toujours plus de visibilité et d'argent au détriment d'autres aspects comme la santé des joueurs, contraints de multiplier les matches avec des déplacements de milliers de kilomètres.
"C'est également la qualité du jeu qui en pâtit car les joueurs, qui ne sont pas des machines, ont trop de matches par saison" souligne enfin Jean-Michel De Waele.
Si la tendance à l'exportation du football pour générer davantage de recettes et faire croître un produit parfois méconnu à l'étranger n'est plus toute neuve, elle continue de susciter pas mal d'idées dans l'esprit des décideurs du ballon rond. La dernière en date étant la possibilité de voir la finale de la Ligue des Champions se disputer à New York à l'horizon de la décennie 2020.