A la rencontre de Luc Eymael, entraîneur belge en Egypte : "En Belgique, il y a zéro pression"
Luc Eymael est à la tête d'El geish, une équipe égyptienne qui a terminé la saison régulière à la huitième place du championnat.
- Publié le 10-06-2019 à 15h28
- Mis à jour le 10-06-2019 à 17h02
Luc Eymael est à la tête d'El Geish, une équipe égyptienne qui a terminé la saison régulière à la huitième place du championnat.
Il est dix heures du matin et le soleil frappe déjà fort sur Le Caire. La barre des 25 degrés est en train d’être doucement dépassée dans le centre de la capitale égyptienne quand nous retrouvons Luc Eymael. Cet homme imposant de 59 ans semble être comme à la maison en Egypte, même si le mal du pays le prend parfois. Reconnu dans la rue et photographié avec quelques passants, ce Belge est une personne connue en Egypte. Il est à la tête d’El Geish, l’équipe militaire égyptienne qui évolue en Division 1 et qu’il retrouve ce jour-là pour une séance d’entraînement matinal.
Après plusieurs expériences en Afrique, Eymael s’est retrouvé au Caire, en novembre 2018, à la tête d’une équipe du milieu de classement du championnat égyptien. “C’est l’une des équipes les plus riches d’Egypte mais elle n’est pas vraiment dépensière”, nous explique Luc Eymael dans le taxi personnel qui le conduit chaque jour au complexe d’entraînement et plus globalement où il souhaite aller, jour et nuit. “Ils ne veulent pas investir alors qu’ils pourraient rivaliser avec Zamalek ou Al-Ahly, les deux plus grands clubs d’Egypte. Je suis le premier coach étranger du club et ils ne sont pas vraiment tous habitués par ma manière de fonctionner.”
Car si Luc Eymael semble être une personne attachante au premier abord, il n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. Au sein du club cairote, c’est lui le boss et personne d’autre. “Avec moi, les dirigeants ne s’immiscent pas dans l’équipe”, avance-t-il alors que le taxi se gare au pied de l’énorme stade militaire. “Avant, ils arrivaient dans le vestiaire pour engueuler les joueurs. J’ai été choqué par leur manière de faire et je leur ai dit “Vous sortez tout de suite d’ici !” Ils me répondaient “Je suis Général”. Mais cela ne fonctionne pas comme cela avec moi, je leur rétorquais “Je m’en fous, tu sors d’ici !”
Si le Liégeois d’origine a dû composer avec une direction insistante, il travaille aussi avec des joueurs pas toujours très heureux au sein du club. “La spécificité de cette équipe militaire est que mes joueurs sont obligés de jouer ici”, raconte Luc Eymael. “C’est ça ou la prison ou le service militaire. Les dirigeants vont chercher des joueurs d’autres équipes et les amènent dans ce club. J’entraîne donc des joueurs qui ne sont pour la plupart pas heureux car ils pourraient gagner beaucoup plus d’argent dans d’autres clubs.”
A onze heures, l’entraînement débute par une prière et par un retour sur la rencontre amicale remportée la veille. Luc Eymael s’exprime en anglais et est traduit en arabe par un joueur. Les messages semblent passer au sein de l’équipe qui pointe à la huitième place du classement général. “Nous avons connu des hauts et des bas”, raconte le coach d’El Geish. “Nous aurions pu finir dans le Top 6 mais nos joueurs sont trop irréguliers : c’est une caractéristique des joueurs égyptiens qui évoluent dans des équipes moyennes. J’ai un contrat avec une option mutuelle mais je n’ai pas très envie de rester dans ce club. Il y a trop de choses à changer ici pour arriver à un certain stade de professionnalisme.”
Le professionnalisme, Luc Eymael l’a connu et a tenté de le mettre en place durant ses différentes expériences qui l’ont fait voyager partout en Afrique. Tout comme la pression qui est toujours présente dans le football africain. C’est ce qu’il nous explique dans son bureau du stade, après un entraînement d’une grosse heure, lui qui a débuté sa carrière de coach en Belgique. “On me reprochait d’être trop professionnel pour le monde amateur belge”, se souvient celui qui est passé par Arlon mais aussi Spy ou encore Hamoir. “C’est vrai que je n’étais pas du genre à jouer au poker et boire des bières à la buvette après les rencontres. Quand l’équipe de Vita Club au Congo m’a appelé, je suis parti. J’ai été mis directement dans le bain lors de mon premier entraînement avec…30 000 personnes venues assister au premier entraînement. C’est le stade du Standard rempli hein ! Pour mon premier match, il y avait 60 000 fans dans les tribunes. Si tu peux résister à cela, tu te dis que tu es prêt pour l’aventure.”
Luc Eymael, lui, rigole quand on lui parle de la pression qui pourrait exister au sein du championnat belge. “En Belgique, il y a zéro pression”, explique-t-il, un sourire en coin. “Tu vas au Congo, au Soudan, au Kénya, il y a des milliers de gens à l’entraînement. Que cela soit ici en Egypte ou ailleurs en Afrique, les gens sont très fanatiques et cela engendre parfois des réactions disproportionnées de leur part. Pour eux, le football est une religion. A la limite, ils vont se priver de manger pour voir un match. Alors si leur équipe perd, je peux comprendre certaines réactions…”
Il est 14 heures quand nous quittons le centre d’entraînement d’El Geish et le soleil frappe toujours très fort sur Le Caire. La barre des 25 degrés est désormais largement dépassée quand nous suivons Luc Eymael jusqu’à l’hôtel militaire où il a pris ses quartiers. Au moment de notre visite, Cedomir Janevski (ex-Mons, Mouscron, Waasland-Beveren) est viré du club d’Ismaily, à la tête duquel il était arrivé quatre mois plus tôt. En Egypte comme partout en Afrique, le mot “stabilité” ne semble pas faire partie du dictionnaire des dirigeants. “Il est très compliqué de construire quelque chose sur la durée en Afrique”, explique Luc Eymael, qui aura tenu jusqu’à la fin de la saison au sein de son club. “Un entraîneur va faire 5 ou 6 mauvais résultats et il sera dehors. Il n’y a aucune stabilité dans les clubs africains. Et puis, les autres clubs viennent aussi chercher les entraîneurs plus facilement. Si une autre équipe t’offre 8000 euros en plus par mois, tu n’y va pas ? Bien sûr que oui, tout le monde irait ! C’est très difficile de rester sur du long-terme en Afrique.”
Le championnat égyptien clôturé, Luc Eymael ne sait pas encore de quoi son avenir sera fait. S’il intéresse des clubs du top en Egypte, il ne dirait pas non à se rapprocher de sa famille. Quoi qu’il arrive, il ne compte pas ranger son costume d’entraîneur de sitôt. “Dans cinq ans, je me vois à la tête d’une équipe nationale ou d’un club européen”, explique celui qui semble avoir encore très faim de football, en Egypte, en Europe ou partout ailleurs…
"Nul n'est prophète en son pays..."
Luc Eymael voudrait démontrer qu'il a les qualités pour entraîner en Belgique.
En 2010, Luc Eymael quitte la Belgique pour connaître sa première expérience à l’étranger, au sein du club congolais de Vita Club. Depuis, il a pas mal bourlingué du Gabon au Rwanda en passant par le Soudan, l’Afrique du Sud et maintenant l’Egypte. Si toutes ces expériences étrangères ont été enrichissantes pour lui, la volonté de revenir entraîner au pays lui reste ancrée dans un coin de sa tête. “Je vais avoir 60 ans en septembre, c’est évident que cela me plairait de revenir en Belgique”, explique Eymael. “J’ai une grande envie de montrer que je suis capable de diriger un club dans mon pays et y faire des résultats. Le problème n’est pas de se faire connaître en Belgique, car je suis connu au pays. Le souci est qu’un club me fasse confiance. Nul n’est prophète en son pays…”
Des contacts ont déjà existé entre Luc Eymael et plusieurs clubs belges, nous explique-t-il. Mais bien souvent, le côté financier semble être un frein aux négociations, même si le coach d’El-Geish est conscient qu’il ne s’agit pas du plus important à l’aube de ses 60 printemps. “J’ai reçu des offres de Waasland-Beveren cette saison mais aussi de Saint-Trond avant que le club ne soit repris par les Japonais ou encore Mouscron”, se souvient Luc Eymael. “Mais le salaire proposé est très inférieur à celui qu’on peut toucher en Afrique. Je gagnerais la moitié de ce que je gagne ici…”
Malgré l’aspect financier qui pourrait poser problème, Luc Eymael en est certain : il a les capacités pour réussir au sein d’un club belge. “En Belgique, le niveau global du championnat n’est pas supérieur à différents championnats africains”, compare-t-il. “Quand je regarde un match de bas de tableau du championnat belge, cela joue beaucoup mieux ici ! Les gens vont peut-être me prendre pour quelqu’un d’arrogant mais je suis certain de pouvoir faire des résultats en D1 belge, en fonction, bien sûr, des moyens que j’aurais. Tu ne peux pas arriver à coacher des dizaines de fois devant 80 000 ou 100 000 personnes comme je l’ai fait à Vita Club, arriver à faire des résultats et ne pas être capable de réussir dans un club belge. Entouré de gens compétents, je réussirai en Belgique !”
Luc Eymael est prêt pour un nouveau défi et lance un message aux dirigeants du football belge. “Si j’avais un message à leur faire passer, je leur dirais de regarder le nombre de titre que j’ai gagnés en huit ans et de comparer avec d’autres coaches. Ils verront que j’ai largement le niveau pour entraîner en D1 belge.”
Jean-François Losciuto, adjoint de Luc Eymael : "Je me réveillais à 5h du matin pour aller à la centrale de Tihange..."
En Egypte, Luc Eymael a amené un collègue belge avec lui. Jean-François Losciuto, qui a connu plusieurs expériences en Belgique mais aussi en Afrique avant d'arriver dans le championnat égyptien, est le T2 d'Eymael. "J'avais une académie à Houffalize et je donnais des entraînements au Luxembourg", se rappelle celui que tout le monde surnomme "Jef". "Je me réveillais à 5h du matin pour aller bosser à la centrale de Tihange et je revenais chez moi à 23h après les entraînements..."
Losciuto en a eu marre et a rejoint l'Afrique. "L'Afrique est un continent qui t'offre la chance de faire ton métier", explique Jean-François Losciuto. "Ce n'est pas facile d'y arriver mais une fois que tu y es, c'est plus facile. Mon objectif est de retravailler pour une équipe nationale (Ndlr : il a été l'adjoint de Sunday Oliseh au Nigéria) ou de découvrir l'Asie."
Ici en Egypte, il seconde Luc Eymael avec qui une forte amitié s'est créée. "Luc est un coach très exigeant", raconte Losciuto. "Il a une main de fer dans un gant de velours. Nous pratiquons un football offensif, un football de possession. Cette expérience en Egypte est vraiment une réussite."