Zinedine Zidane, un entraîneur en trois dimensions
- Publié le 25-05-2018 à 10h40
- Mis à jour le 25-05-2018 à 12h49
La saison qui s’est écoulée a mis en lumière des facettes nouvelles du Français dans le coaching. Éclairage
Communication: Il a musclé son je
Le technicien s’est montré offensif dans les médias. Jamais, en 28 mois passés dans le costume d’entraîneur du Real Madrid, Zinédine Zidane n’avait été confronté à de pareilles tempêtes que cette saison. Porteur depuis ses premiers pas, le vent a parfois tourné. Jusqu’à souffler de face. Et Zizou s’est retrouvé à l’affronter. À sa manière.
Les deux défaites en trois jours à Gérone puis à Wembley contre Tottenham au cœur de l’automne ont révélé un autre pan de sa communication. Avant ce match contre Las Palmas où la pression était montée d’un cran, Zidane a assumé. Le tout frais meilleur entraîneur du monde pour la Fifa l’a admis : "Je ne peux pas empêcher les critiques, je l’avais dit avant le prix, je ne suis pas le meilleur entraîneur du monde mais je ne suis pas non plus devenu le pire. Je suis fort dans l’adversité." Ce que le reste de la saison prouvera.
Robinet d’eau tiède lorsqu’il était joueur, consultant trop lisse en raison de sa volonté de ne heurter personne mais aussi parce qu’il avait conscience de ne plus s’appartenir et que n’importe laquelle de ses paroles prendrait une sacrée résonance dans la caisse médiatique, Zidane a fini par maîtriser l’exercice de la conférence de presse. De la communication. Le joueur intuitif parvient désormais à trouver les bons mots.
Au pied du mur avant les huitièmes de finales contre le Paris SG alors que la Liga était déjà perdue, Zizou avait surpris tout son monde, loin des copeaux de langues de bois que peuvent déverser certains. Ou de la technique des contre-feux de José Mourinho. Le Français avait préféré assumer : "Bien évidemment que je joue mon poste face au PSG, c’est très clair", avait-il lancé.
Sa communication s’est encore musclée après la qualification arrachée contre la Juventus Turin et le fameux penalty qualifié au mieux de vol, au pire de scandale par une partie de la presse catalane mais aussi française. "C’est une honte quand on parle de vol. Je suis très déçu, très remonté. Tout ce qu’on peut dire derrière, qu’on n’a qu’à nous donner la Ligue des Champions au mois de septembre, qu’on a qu’à faire ceci ou cela, il faut arrêter", avait-il lancé. Cette offensive qui s’est aussi traduite par ce refus de la fameuse pastilla pour célébrer le titre de champion du Barça ou l’évocation de l’antimadridisme a encore renforcé son statut.
Tactique: De plus en plus imprévisible
Sa griffe est de plus en plus visible.
Si le monde des entraîneurs devait se diviser entre dogmatiques et pragmatiques, Zinédine Zidane vivrait dans le second hémisphère. "Ce n’est pas aux joueurs de s’adapter à moi, c’est à moi de m’adapter à eux" , a-t-il coutume de répéter.
La conquête de sa première Ligue des Champions il y a trois ans a été marquée du sceau de la continuité. Pourquoi vouloir toucher à un équilibre gagnant ? Zidane s’était inscrit dans les pas de Carlo Ancelotti, maintenant sa confiance à la fameuse BBC. La saison dernière, l’avènement d’Isco conjugué à la baisse de rayonnement de Gareth Bale a fait bouger les lignes en dessinant une nouvelle tendance autour d’un 4-4-2 en losange qui a offert deux grands avantages en permettant à l’Espagnol de créer des déséquilibres entre les lignes et en offrant un nouveau rôle plus central à Cristiano Ronaldo.
"Zidane m’offre la liberté de jouer plus librement sur le front de l’attaque et c’est ce que j’aime", a expliqué le Portugais il y a un an sur le site de l’UEFA.
Cette saison , le Real compte une nouvelle corde à son arc avec un 4-4-2 à plat qui s’est notamment révélé un casse-tête insoluble contre le PSG. Lors du match aller, les Madrilènes avaient commencé avec leur losange habituel avant que le coaching de Zidane ne fasse effet à la 79e, quand Marco Asensio et Lucas Vazquez ont remplacé Isco et Casemiro. De 1-1, le score est passé à 3-1.
"Leur entrée a fait basculer le match. Ces deux changements illustrent la différence de coaching entre Zidane et Emery", nous avait confié Alex Teklak. La démonstration de force fut encore plus nette au retour : sans Kroos, ni Modric, blessé, le Français avait disposé ses hommes d’emblée en 4-4-2 à plat avec Casemiro et Kovacic dans le cœur du jeu. Un coup à nouveau gagnant.
"Cette animation a tué le PSG", avait résumé l’ancien milieu brésilien du PSG Valdo dans Le Parisien, parlant "de grande victoire tactique de Zidane".
"En fait, les avènements de Vazquez et Asensio élargissent l’éventail du Real : Zidane peut maintenant commencer ou terminer un match dans un 4-4-2 à plat alors qu’avant il ne pouvait que les achever", souligne Teklak. ZZ, lui, minimise son rôle. "À l’arrivée, ce sont les joueurs qui sont convaincus de ce qu’on peut faire pour gagner un match. La clé de tout cela est de croire en ce que nous faisons." Et lui parvient à susciter mieux que quiconque cette adhésion à ses idées. Tout en parvenant à créer l’incertitude chez les adversaires, qui ont de plus en plus de mal à savoir quel visage aura son Real.
Gestion humaine: La force du pacte
Le Français a su fédérer son vestiaire cet hiver.
Bien évidemment, son statut d’icône du jeu agit comme facilitateur. "Vous n’avez pas tendance à remettre en cause son opinion parce que vous savez combien il a été grand lorsqu’il a été joueur", a rappelé Toni Kroos sur le site de la Fifa. Mais enfermer Zidane dans ce carcan serait réducteur. Et la gestion de ses hommes s’est imposée comme l’une des clefs de l’épopée européenne. Cet hiver, alors que la pression se faisait intense, la nécessité de recrutement apparemment impérieuse, le technicien a responsabilisé ses hommes. Scellant avec eux un pacte tacite.
Pendant que les noms des recrues éventuelles ne cessaient de s’amonceler (le gardien de l’Atletico Kepa, l’attaquant de l’Inter Milan Mauro Icardi), Zidane a certifié à son vestiaire qu’aucune nouvelle tête n’y ferait irruption. Une manière de réaffirmer sa confiance en ses troupes tout en les plaçant face à leur responsabilité.
Au soir de la finale victorieuse contre la Juventus l’an passé à Cardiff au bout d’une saison où le doublé avait été rendu possible par son turn-over qui avait offert à son effectif une fraîcheur décisive, Zidane avait confié : "La clef de notre succès c’est que chacun des joueurs s’est senti important cette saison et que tout s’est bien passé entre eux."
Dans cet équilibre toujours précaire, le Français sait activer les bons leviers. Avoir été l’adjoint d’Ancelotti durant une saison lui a permis de mieux comprendre encore le fonctionnement du vestiaire du Real, son vécu de joueur et son feeling dans la gestion de groupe ont fait le reste. Exemple cette saison avec Isco. Éblouissant avec l’Espagne lors de la victoire sur l’Argentine face à qui il inscrit un triplé, le milieu peine à cacher son spleen. Zidane le recadre dans la foulée. Poliment mais fermement. "C’est comme cela que je travaille et je ne changerai pas", répète-t-il. À l’arrivée, l’Andalou a vu son temps de jeu augmenter en cette fin de saison tout comme son niveau de performances. Preuve que ZZ trouve souvent les mots justes.
"Ce qui m’avait frappé, c’est qu’il ne perdait jamais ses nerfs, même quand nous connaissions des revers importants. Il restait très calme et nous rassurait. En fait, il savait nous transmettre sa confiance au moment où nous en avions le plus besoin", avait expliqué Alvaro Arbeloa dans L’Équipe l’an dernier. "Je suis quelqu’un de passionné, quelqu’un qui aime le jeu. Je suis un compétiteur et je transmets aux joueurs ce que je suis", avait rappelé le technicien dans les colonnes du quotidien français. "De la même manière, je suis là aussi pour leur transmettre la sérénité, la tranquillité parce que je sais qu’un joueur a besoin de cela pour s’exprimer pleinement."
Voilà sans doute pourquoi il ponctue ses causeries quasi systématiquement par les mêmes mots : "Et maintenant, faites-vous plaisir sur le terrain."
"Le but va venir en centrant en retrait depuis l’extérieur de la surface"
Comment Zidane avait identifié une faille dans la défense de la Juventus l’an passé.
Trois buts d’écart après 90 minutes de jeu. Depuis l’avènement de la Ligue des Champions en 1993, seul Porto face à Monaco en 2004 et le Real Madrid, déjà, contre Valence en 2000, sont parvenus à s’imposer avec une si grande marge, la référence en la matière restant la démonstration de l’AC Milan qui avait explosé le FC Barcelone 4-0 en 1994. Combien, pourtant, aurait parié sur un tel écroulement de la Juventus l’an passé ?
Avant de s’incliner 4-1, la Vieille Dame semblait porter par une vraie dynamique quand Mario Mandzukic (27e) avait répondu à Cristiano Ronaldo (20e). Mais elle avait ensuite explosé physiquement face à la plus grande fraîcheur du Real mais aussi tactiquement.
Le documentaire En el corazon de la Duodecima diffusé en février par la chaîne du Real retrace l’épopée victorieuse de Merengue avec notamment cette scène mythique captée dans les vestiaires de Cardiff à la pause.
Zinédine Zidane est au milieu de la pièce. Le Français prend d’abord le temps de laisser souffler ses hommes durant de longues minutes. Avant de s’adresser à eux. Brièvement. Sobrement. Efficacement aussi.
"Seulement deux choses, énonce-t-il. C’est une finale, c’est un match difficile. Mais pour eux aussi ! Le plus important pour nous est d’être désormais plus agressifs défensivement. Dans le bon sens du terme, pas pour qu’on reçoive des cartons. Pour cela, il faut arriver un peu plus vite sur l’adversaire, donc se situer un peu plus proches les uns des autres. Vous avez remarqué qu’ils jouent en 4-4-2 avec Alves et Mandzukic très haut, nous devons les faire reculer. Quand nous avons le ballon, nous devons jouer plus rapidement et plus vers les ailes notamment avec Dani (Carvajal) et Marcelo, exactement comme on a travaillé cette semaine. Le but va venir en ouvrant le jeu et en centrant en retrait depuis l’extérieur de la surface."
Derrière cette dernière phrase aux allures prophétiques puisque deux des trois buts madrilènes en seconde période naîtront d’une telle action se cache en fait un travail minutieux. "Zidane et son staff ont détecté une faiblesse dans la défense de la Juventus sur laquelle on a travaillé toute la semaine, a dévoilé plus tard Luka Modric dans la presse croate. Sur les deux matches contre Barcelone, il nous a montré que les défenseurs de la Juventus étaient très forts quand il s’agissait de couper les centres forts dans la zone proche de Buffon, mais qu’ils laissaient des espaces sur les centres en retrait. Je félicite l’entraîneur pour avoir remarqué ce détail, parce que c’est la clef de notre victoire."