A la découverte de Vorogovskiy : “Je gagnais plus d’argent ici qu’au Beerschot"
Le Belgicain du Kazakhstan veut donner l’exemple en jouant en Europe . "Le grand Arshavin m’a donné raison."
- Publié le 12-10-2019 à 14h18
Le Belgicain du Kazakhstan veut donner l’exemple en jouant en Europe. "Le grand Arshavin m’a donné raison." Qui dit le Kazakhstan, dit Borat la comédie américaine de 2006 qui avait été censurée dans le monde arabe et qui avait provoqué des incidents diplomatiques avec l’ancien président kazakh Nursultan Nazarbayev. Mais l’adversaire de nos Diables rouges est-il vraiment un pays barbare et arriéré, comme le suggère le film ? Nous avons rendu visite au Belgicain de la sélection, Yan Vorogovskiy (24 ans), le Kazakh du Beerschot.
En tout cas, le Radisson Hotel Astana aux cinq étoiles qui loge l’équipe nationale respire le luxe. Vorogovskiy sourit quand on lui soumet l’image que son pays a en Europe. "Vous vous souvenez de vos cours de chimie ? Vous connaissez la table de Mendeleïev ? Eh bien, le Kazakhstan dispose de tous les éléments chimiques de ce tableau, du gaz aux métaux. C’est unique dans le monde. Plus notre pétrole, évidemment. Je ne dois pas vous expliquer que nous faisons du bon business avec des pays comme les États-Unis et la Chine."
Le football profite de la richesse de cet immense pays (il est le neuvième plus grand pays du monde et a la superficie de l’Europe de l’Ouest). "Nous sommes en train de construire beaucoup d’académies de football. Je ne le cache pas : les joueurs gagnent bien leur vie dans le championnat kazakh, la Premjer Liga . Pendant deux saisons, j’ai été le coéquipier du grand Andreï Arshavin à Kairat, mon ancien club. L’ancienne star d’Arsenal y a relancé sa carrière. Il était le meilleur joueur du championnat et surtout le plus intelligent. Combien il gagnait (Rires) ? Je ne sais pas."
Les gros salaires du championnat local expliquent en partie pourquoi 20 des 22 internationaux (le plus jeune évolue en Russie) jouent encore au Kazakhstan. "Mais il y a aussi une autre explication", dit Vorogovskiy. "Le Kazakhstan est trop loin pour les scouts européens. Ils ne suivent pas notre Premjer Liga , qui n’est pas considérée comme attrayante. On ne tape à l’œil que quand on élimine l’AZ en Ligue Europa, comme on a fait l’année passée (2-0 à Kairat, 2-1 à Alkmaar). Ou quand on joue avec l’équipe nationale contre la Belgique."
Son transfert au Beerschot, Vorogovskiy le doit à son match du 8 juin au Stade Roi Baudouin (3-0). "Un agent a contacté mon agent et j’ai tenté l’aventure. Je gagne pourtant moins d’argent au Beerschot qu’au Kazakhstan, mais je veux réussir une carrière en Europe. De plus, je veux montrer l’exemple aux jeunes talents du Kazakhstan : osez partir à l’étranger ! Arshavin est actuellement consultant télé pour une chaîne russe. Il m’a félicité pour mon transfert et m’a donné raison d’avoir signé en Belgique."
Lundi, il reprend l’avion pour notre pays, afin de préparer le match du Beerschot contre Westerlo. "Bien sûr que ma famille me manque en Belgique. Ma copine est déjà venue, mais elle ne peut rester qu’un mois. Son visa n’est valable que pour cette durée."
La vie à Anvers lui a déjà réservé plusieurs surprises. "Un bête exemple. On m’avait dit que Virton était un très long déplacement. Plus de deux heures de route ! Cela m’a fait rire. Au Kazakhstan, tous les déplacements se font en avion ! Chaque ville a son aéroport. Je viens d’Almaty. La ville la plus proche est à quatre heures en voiture. Et qu’est-ce que vos villes sont petites ! On traverse Anvers en dix minutes. Chez nous, elles sont gigantesques."
En parlant d’Anvers, il sourit et s’adresse à un équipier. "Je n’en croyais pas mes yeux quand je suis arrivé en Belgique. Tout le monde roule à vélo. Même les vieux. Et même quand il pleut ! Chez nous, ils se déplacent en tram. Ou en marchroutka, des mini-bus. C’est quand même plus facile..."
Tiens, est-ce que le vélo n’est pas populaire au Kazakhstan ? Astana est quand même une équipe cycliste du sommet mondial... Et Vinokourov est carrément un demi-dieu. Vorogovskiy : "Oui, c’est vrai. C’est un héros. Mais la star sportive numéro un du pays est actuellement un boxeur : le champion du monde Gennady Golovkin. Non, je ne l’ai jamais vu boxer. Il habite Los Angeles et tous ses combats ont lieu aux États-Unis. On aime les sports de combat dans mon pays. La lutte est également populaire."
Quid d’autres différences avec la Belgique ? Vorogovskiy et un coéquipier se parlent en russe et rigolent tout haut. On croit avoir compris le mot "gay", mais il refuse de parler du sujet qu’il trouve trop délicat. Par contre, il donne un autre exemple qui illustre l’énorme différence entre les cultures. "En Belgique, je suis choqué quand la copine ou la femme d’un homme fait la bise à d’autres hommes en arrivant quelque part. Chez nous, cela ne se fait pas. C’est ma femme et les autres ne la touchent pas. Au grand maximum, elle serre la main, mais encore… Le nom de ma copine ? C’est important ? Je ne le pense pas…"
On n’insiste pas. Passons à un autre sujet. La nourriture. "Heureusement, mon coéquipier ukrainien du Beerschot, Prychynenko, a découvert un restaurant tchétchène dans l’Abdijstraat, à Anvers. J’y mange mon plat favori, beshbarmak : du cheval couvert sous une couche de pâtes. Dans mon pays, la cuisine est très différente, vu les nombreuses origines des habitants. On a même des Allemands au Kazakhstan ! Beaucoup de Kazakhs sont asiatiques. Vu qu’un des pays voisins est la Chine, on a aussi des restaurants qui servent du chien, mais ce n’est pas mon truc."
Vorogovskiy n’a jamais été en Chine. "Une zone inhospitalière avec des montagnes et des forêts séparent Almaty, ma ville, de la Chine. Mais en fait, ce n’est pas si loin que cela."
On a fait la recherche : 2 576 kilomètres. On comprend pourquoi il trouve que Virton est à côté d’Anvers...
"Il a refusé le maillot de Hazard"
Malgré la tuile contre Chypre, notre Kazakh promet un accueil chaleureux aux Diables. "On les a trop respectés à l’aller..."
Quelle tuile pour Vorogovskiy et le Kazakhstan. Ce jeudi, ils ont été battus par Chypre (1-2). Yan a joué les 90 minutes. "On est très déçus" , dit-il . "Chypre n’était pas meilleur que nous. Ce n’était pas notre jour. Mais on est toujours en course pour la troisième place dans le groupe."
Le joueur du Beerschot ne baisse pas les bras. "Si on termine troisième, on réalisera le meilleur résultat depuis notre indépendance, en 1991. Mon papa était aussi footballeur, mais il ne jouait pas dans la D1 de la grande URSS. Il n’y avait qu’un seul club kazakh."
Le plus beau résultat du Kazakhstan a été le 3-0 contre l’Écosse, en mars. Ses yeux pétillent. "Oui, j’ai inscrit le 2-0, mon premier but en équipe nationale. C’est la plus belle victoire de l’histoire de notre pays. On n’a pas gagné beaucoup de grands matchs. Je me souviens d’un 2-1 contre la Serbie en 2007. J’étais encore gamin ; je me trouvais dans les tribunes."
Le Kazakhstan ne s’avoue pas vaincu face au n° 1 mondial. Avec un petit sourire malicieux, Vorogovskiy énumère les arguments d’un éventuel miracle. "On espère surtout que les Belges, qualifiés, ne seront pas motivés. J’ai entendu qu’ils n’aiment pas venir jouer ici ? Et que Lukaku n’est pas ici ? On joue sur un terrain synthétique, le décalage horaire est de quatre heures et il y a six heures de vol."
Le Kazakhstan fait penser au froid glacial qui règne dans les steppes. Vorogovskiy sourit : "Vos joueurs s’attendaient à un climat polaire ? Il ne fait pas trop froid pour le moment (NdlR : il fait 14 degrés samedi et il fera 18 degrés dimanche). Et je les rassure : on peut fermer le toit du stade quand il y a trop de vent."
Vorogovskiy garde des sentiments mitigés du 3-0 du mois de juin en Belgique. "On a trop respecté les Diables rouges en première mi-temps. On n’a pensé qu’à défendre. En seconde mi-temps, on a vu que ce ne sont aussi que des êtres humains. Je leur promets un accueil chaleureux : il y aura 30 000 personnes dans l’Astana Arena."
Le joueur favori de Vorogovskiy est évidemment Eden Hazard. "Je ne vais pas lui demander son maillot. Je n’aime pas en échanger après un match."
Un équipier intervient. "Eden lui a proposé son maillot après le match à Bruxelles, mais Yan a refusé."
Ils ont de l’humour malgré tout, ces Kazakhs...
"Anderlecht éprouverait du mal en 1B"
Il y a deux semaines, Vorogovskiy a affronté le club le plus titré du Royaume en Coupe de Belgique. Anderlecht l’a emporté après les prolongations (2-3). Au terme du match, Vorogovskiy est resté étalé sur la pelouse, tellement sa déception et sa fatigue étaient grandes.
Le gardien, Mike Vanhamel, a dû le relever. “Nous étions meilleurs qu’Anderlecht”, explique Vorogovskiy, qui était l’adversaire direct de l’homme du match, Alexis Saelemaekers. “Nous avons eu plus d’occasions franches qu’Anderlecht. Cet Anderlecht-là éprouverait du mal en 1B. La D2 n’est vraiment pas un championnat facile.”
En principe, Vorogovskiy aurait dû jouer plusieurs fois contre Anderlecht. “C’est vrai. Quand j’ai signé au Beerschot, je pensais que je jouerais en 1A. On m’a dit : ‘C’est très probable qu‘on monte suite à l’affaire de Malines.’ Mais je n’en veux pas à ces gens. Je suis bien au Beerschot ; je vais tout donner pour qu’on monte dans le classement.”