Eric Depireux, agent de joueurs: "J’ai gagné moins d’argent que Bayat mais je dors mieux"
Dégoûté par les pratiques du milieu, Éric Depireux avait arrêté son métier d’agent pendant cinq ans. Il s’est relancé juste avant l’opération Mains Propres qui lui donne aujourd’hui un nouvel élan.
- Publié le 19-10-2018 à 06h57
- Mis à jour le 19-10-2018 à 08h32
Dégoûté par les pratiques du milieu, Éric Depireux avait arrêté son métier d’agent pendant cinq ans. Il s’est relancé juste avant l’opération Mains Propres qui lui donne aujourd’hui un nouvel élan. Le nettoyage donne de l’espoir. De l’espoir aux agents qui avaient subi de plein fouet le système mis en place par Mogi Bayat. Sans l’agent tout-puissant, certains espèrent grandir, d’autres exister. À 46 ans, Éric Depireux veut, lui, se relancer dans le métier. "J’ai arrêté pendant cinq ans" , nous explique-t-il. "J’étais dégoûté par ces pratiques mafieuses. Il était plus que temps que le football belge soit nettoyé."
Vous étiez l’agent de plusieurs joueurs importants, dont des Diables comme Silvio Proto, Émile Mpenza, Luigi Pieroni et Yassine El Ghanassy. Comment les choses ont-elles pu mal tourner pour vous ?
"Ces dernières années, j’ai souvent eu l’impression que je ne faisais plus partie d’une certaine caste quand j’allais présenter des joueurs. Et donc, je n’avais pas droit au pot de confiture…"
C’est-à-dire ?
"Certains clubs préféraient manifestement travailler avec des intermédiaires peu scrupuleux plutôt qu’avec certains agents, comme moi. Des gars honnêtes qui n’arrivaient plus à faire leur métier."
On vous piquait aussi des joueurs ?
"Oui, énormément. Vincent Kompany a dit que le système était comparable au milieu de la prostitution. Il a entièrement raison. Les joueurs étaient comme les prostituées. Et certains agents comme les maquereaux. Je n’en veux finalement pas aux joueurs, ni aux clubs. Ils étaient contraints et forcés de s’adapter au système."
Le système Mogi Bayat ?
"Bayat n’est pas le seul responsable dans cette histoire. Il y a une sorte d’omerta dans le milieu. Vous savez, quand vous volez du chocolat au magasin, vous vous faites rarement prendre la première fois. Et certains ne se font jamais prendre. Bayat m’a piqué des joueurs mais il a aussi parfois bien fait son travail. Je prends l’exemple de Belhocine. C’était un de mes joueurs mais il me l’a pris. Quand je vois l’évolution de la carrière et son rôle d’adjoint de Vanhaezebrouck, je me dis qu’il a bien fait de suivre Bayat. Je n’aurais pas pu lui offrir de telles perspectives. Pareil pour Dirar. J’avais tout réglé pour le mettre au Standard mais il est finalement parti à Monaco avec Bayat. Financièrement, c’était une belle opportunité."
Vous le défendez ?
"Non mais ce que je veux dire, c’est qu’il ne faut pas croire qu’en enlevant Mogi Bayat du système, tout va maintenant aller pour le mieux. Ça ne suffira pas. Il faut mettre en place une structure qui permette de faire un travail d’agent propre et sain."
Pour une bonne partie de l’opinion publique, il est aujourd’hui impossible de trouver un agent honnête.
"Mais ça existe pourtant ! Il ne faut pas tous les mettre dans le même panier. Le milieu du football est devenu désordonné depuis que la FIFA a décidé de ne plus obliger les fédérations à réglementer la profession. Aujourd’hui, n’importe qui peut s’improviser agent de joueurs, sans aucune connaissance, ni légitimité."
La FIFA veut justement prendre des mesures pour réglementer le métier d’agent lors de son prochain congrès, les 25 et 26 octobre.
"Ce serait une excellente nouvelle. Beaucoup d’intermédiaires font miroiter des choses à des joueurs bien souvent très jeunes. Des gamins toujours à l’école et qui ont besoin de toute leur énergie pour combiner football et études. Mais on les détourne de leur scolarité pour tout miser sur la loterie du football. C’est un trop gros risque. Un agent est là pour bien conseiller un joueur, on l’oublie trop souvent. Il doit pouvoir parler argent mais aussi football. Ces dernières années, on a vu débarquer plein de gars qui n’avaient même jamais tapé dans un ballon. C’est un non-sens dans la gestion de la carrière d’un footballeur !"
Les agents proposent souvent d’encadrer totalement le joueur, ce que vous ne faisiez pas à l’époque. Le métier a peut-être évolué, non ?
"Ces agents qui proposent des structures complètes, avec l’achat d’un appartement, la création d’un site internet et toutes sortes d’autres choses, ça me fait bien rire. Ça permet juste de profiter encore plus du joueur. Ou plutôt de la vache à lait dans ce cas-là. Ils gèrent toute la vie du joueur pour se sucrer sur tout. Le joueur laisse faire et ne se rend même pas compte qu’on profite de lui. Il n’est pourtant pas compliqué de trouver un avocat ou un agent immobilier."
Quel est le rôle d’un agent aujourd’hui, selon vous ?
"Il faut d’abord démystifier l’image de l’agent de joueurs. Tous les contrats sont standardisés. On peut juste apporter quelques détails via des clauses mais rien d’incroyable. Là où un agent peut faire la différence, c’est en sentant les choses. Apporter le bon conseil au bon moment. Dire à un joueur de rester, de s’accrocher ou de partir. Ou négocier un contrat dans le bon timing. C’est pour ça qu’un passé dans le football aide bien."
De l’extérieur, on peut avoir l’impression que tous les agents sont surtout là pour empocher un maximum d’argent.
"Je comprends qu’on puisse penser ça. Quand je lis les montants de certaines commissions sur des transferts en Belgique, ça dépasse l’entendement. Le supporter qui se prive de vacances pour se payer un abonnement doit être dégoûté. Mais il faut savoir que des agents sont aussi très contents de cette enquête. Ça donne espoir en l’avenir."
Vous croyez que ça va tout révolutionner dans le football belge ?
"Je l’espère. Ce serait triste que tout retombe, comme dans bien d’autres affaires qui font beaucoup de bruit mais qui accouchent d’une souris."
L’Union semble vouloir faire bouger les choses. Marc Coucke aussi avec la Pro League.
"C’est une excellente chose. Son rachat du RSCA aussi d’ailleurs. Il va faire souffler un vent nouveau, plus transparent, sur le football belge. J’ai eu l’occasion de travailler de nombreuses fois avec Luc Devroe quand il était à Roulers puis à Bruges. Son honnêteté n’est pas à mettre en doute. Ce renouveau se sent aussi au Standard."
Le Standard, comme plusieurs autres clubs, a quand même été cité pour ses liens avec Veljkovic.
"Je ne crois pas un seul instant que le Standard soit impliqué. Je connais personnellement Bruno Venanzi, c’est un type intègre et intelligent. C’est avec des gens comme ça que le football belge pourra repartir sur des bases saines et transparentes."
Il y a la fraude financière mais aussi les matches truqués dans cette affaire. Avec un agent qui aurait corrompu des arbitres et des joueurs…
"Oui mais ça ne m’étonne pas. J’ai un jour été approché par un club de D1 belge. Les dirigeants m’ont invité au restaurant en me proposant de l’argent pour tenter de truquer un match. J’étais furieux. Je leur ai dit : ‘C’est ça l’image que vous avez de moi ? Celle d’un tricheur, d’un malhonnête ?’ Je le dis aujourd’hui car ces deux dirigeants ne sont plus dans le monde du football. L’un des deux n’est même plus de ce monde."
Avaient-ils finalement truqué le match avec quelqu’un d’autre ?
"Non, ils avaient fini par comprendre que ça n’était pas dans leur intérêt. Ils m’avaient même remercié à la fin. S’ils étaient pris en train de faire ça, c’était terminé pour eux. On le voit bien dans l’affaire aujourd’hui."
L’image des agents pourra-t-elle être redorée un jour ?
"Je l’espère. Quand j’avais approché le papa de Samuel Bastien avec l’espoir de m’occuper de son fils quand il était chez les jeunes du Standard, il avait accepté en me remerciant. C’était un compliment de susciter l’intérêt d’un agent. Aujourd’hui, ça fait peur quand un agent se pointe. Les gens ont l’impression qu’il débarque pour te piquer ton argent."
Mogi Bayat pourra-t-il un jour revenir dans le monde du football ?
"Il va peut-être réapparaître dans un ou deux ans via des acteurs du football qu’il aura protégés pendant l’affaire. Des gens qui lui seront redevables…"
Ça ne vous fait pas peur ?
"Non. Vous savez, j’ai gagné moins d’argent que lui mais je dors mieux. Et quand mon fils me pose des questions sur l’affaire, je peux lui dire que son papa est un homme honnête."