Entretien avec le président de Genk: "Mazzu sait faire déjouer les grandes équipes"
Peter Croonen s’exprime au moment de vivre sa première Champions League en tant que président de Genk.
- Publié le 17-09-2019 à 08h05
- Mis à jour le 17-09-2019 à 10h03
Peter Croonen s’exprime au moment de vivre sa première Champions League en tant que président de Genk. À Genk, tout le monde est en ébullition ces dernières semaines. Il faut tout préparer pour le premier match de Champions League à domicile qui aura lieu le 2 octobre.
Peter Croonen reste tranquille. Le président de Genk n’a qu’un seul objectif : bien démarrer sa campagne à Salzbourg ce mardi soir. "On joue déjà un match capital qui pourrait déterminer la suite de notre campagne. La rencontre arrive un peu tôt pour nous mais nous avons les armes pour nous en sortir."
S’il est aussi tranquille, c’est parce que la Champions League est déjà une réussite populaire à Genk. Le stade sera comble à domicile. Tous les billets sont vendus. "Nous avons eu une politique de prix bas afin de remercier nos fans les plus fidèles. Ils ont répondu présent."
Ancien joueur de Winterslag ("Pas assez doué pour percer", sourit-il), il va vivre le rêve européen non pas sur le terrain mais à la tête d’un club dont il est garant du projet à long terme.
Est-ce un rêve qui se réalise ?
"C’est spécial mais je reste très calme. Je reste dans ma stratégie à long terme. Je ne vais pas commencer à m’enflammer car tout va bien ou à tout remettre en question après une défaite. Céder à l’émotion est une erreur."
Même si vous prenez un 5-0 d’entrée de jeu ?
"Je ne nous imagine pas perdre sur un tel score. J’ai confiance et je me dis que nous pourrions même surprendre. Lors de notre dernière campagne en Champions League, nous n’avions pas perdu à la maison et ce serait magique de réitérer cet exploit. Nos adversaires sont plus costauds cette saison. Regardez leur budget par rapport au nôtre et vous avez tout compris. Salzbourg a un projet qui ressemble à celui de Genk. Mais à une autre échelle. Je suis un grand romantique du football donc je me dis que tout est possible."
Felice Mazzù a une réputation de coach capable d’ennuyer un adversaire supposé plus fort que son équipe…
"Il sait faire déjouer les grands. C’est aussi pourquoi j’ai entièrement confiance en lui. Charleroi était un bloc très difficile à jouer. Tous les joueurs suivaient le plan. Il a de la qualité dans son noyau et Felice leur inculque une grosse mentalité. Il aura un plan de jeu précis."
Pourrez-vous jouer offensivement comme le veut l’ADN genkois ?
"C’est en jouant de l’avant que nous sommes les plus forts. Si nous jouons défensivement, nous perdrons. Après, on ne peut pas avoir la même approche à Liverpool qu’à Beveren."
La Champions League change-t-elle quelque chose dans votre gestion du club ?
"Non. Nous sommes dans un processus et nous maintenons notre rythme. La C1 permet juste de donner un léger coup de boost. On doit saisir le momentum pour renforcer le projet."
Genk s’est érigé en modèle en Belgique. Avec le cinquième ou le sixième budget du pays, vous faites la différence en étant fort sur le recrutement de cadres, de futurs talents mais également sur la formation…
"Notre priorité absolue est l’académie. Nous allons d’ailleurs l’améliorer en ayant un complexe pour les jeunes puis pour les A. Nous sommes en négociations pour une rénovation du stade ou la construction d’un nouveau mais ce n’est pas pour tout de suite. Chaque année, nous voulons dix à douze talents locaux dans le groupe. Nous devons aller plus loin dans ce projet car les jeunes doués sont de plus en plus importants dans notre championnat. Nous devons aussi améliorer le cadre transitoire entre les U21 et les A. Bryan Heynen a mis six ans à s’imposer, preuve que l’écart est encore énorme. Je suis très favorable à l’intégration des équipes espoirs en D1B ou D1 Amateurs mais le projet n’est pas passé. Il reste néanmoins dans ma liste de plans pour l’avenir de notre football."
Votre recrutement est-il basé sur ce que vous avez en magasin à l’académie ?
"Toujours. Le recrutement de Vukovic est le meilleur exemple : nous ne voulions pas acheter un gardien de 25 ans qui allait bloquer nos jeunes comme Gaëtan Coucke. Nous voulions faire progresser Coucke mais quand Vukovic s’est blessé, nous n’avons pas paniqué et il a reçu sa chance."
Vous êtes, de réputation, l’une des meilleures cellules de scouting de Belgique.
"J’ai la chance d’avoir Dimitri De Condé qui, avec Dirk Schoofs, a compris comment créer un groupe complémentaire et équilibré. Il sait quand nous avons besoin d’un joueur directement efficace mais sait aussi dénicher un jeune qui va grandir chez nous. La grande différence avec le passé récent est que nous parvenons à garder nos jeunes. Il y a quelques années, Berge aurait filé après un an. Il est là depuis plus de deux ans et a choisi de rester. Il sait que le championnat de Belgique, que trop sous-estiment, est la meilleure école possible."
"Le footgate ? Une nécessité"
Peter Croonen espère que cette crise marquera un tournant de notre football.
En tant que président de la Pro League, Peter Croonen a pris le dossier qui a secoué le football belge à cœur. Il le qualifie de "moment difficile pour le football" mais également de "nécessité". Cette enquête, il la voit comme une opportunité "d’organiser et de protéger" le milieu du football. "Si on le laisse comme cela, on file droit dans le mur."
À quel point avez-vous été secoué par ces affaires ?
"Pour le moment, tout est négatif et turbulent mais il faut passer par là pour s’améliorer. On doit déterminer les responsabilités de chacun et avancer. Le règlement va être modifié pour endiguer le problème de trucage de matchs. Le contexte juridique doit évoluer car il faut pouvoir être extrêmement sévère envers ces faits qui sont les plus graves dans le sport de haut niveau."
Un règlement a été présenté pour cadrer le travail des agents. Qu’en pensez-vous ?
"C’est une nécessité. Nous devons avoir l’ambition de changer les choses en Belgique et à l’étranger sans pour autant se tirer une balle dans le pied et ne plus être attrayant pour les joueurs étrangers. Ce texte va permettre une transparence des transactions."
Cela vous choque de voir un agent prendre 7 millions de commission sur un transfert à 25 millions ?
"C’est énorme. Les agents ont profité de la faiblesse des clubs dans les négociations. Ce n’est pas la faute des agents car les clubs auraient dû se montrer plus durs. Nous sommes plus sévères dans les négociations et il nous arrive de refuser un deal car il y a trop de commissions à verser. Nous avons choisi de d’abord cibler le joueur et puis de négocier avec l’agent. Ce n’est pas simple car il existe un gros flou dans les mandats. Parfois, dix personnes prétendent être le représentant du joueur. Un cadre légal pourrait changer cela."
Auriez-vous pensé que le monde du football était gangrené par l’argent noir ?
"C’était pire par le passé. Je n’y ai jamais été confronté mais ça me choque de voir ce que le footgate a soulevé en termes de rétrocommission et d’autres magouilles. Je suis très sévère à ce niveau et tout est à 100 % légal à Genk."
Vous avez réalisé des deals avec Mogi Bayat cet été. N’est-ce pas envoyer un mauvais signal ?
"Il n’a pas été condamné et il nous affirme qu’il n’y a aucun problème. Je ne veux pas être naïf mais je n’ai jamais eu de souci avec lui. Après, nous ne cherchons pas absolument à travailler avec Mogi mais s’il le faut, nous le faisons."
"Je ne suis pas l'anti-Coucke"
Peter Croonen est réputé pour ses méthodes modernes.
"Con Amore."
Le management prôné par Peter Croonen est basé sur plusieurs piliers, dont la passion. "Nous sommes dans un cadre de sport de haut niveau qui pousse à aller chercher les derniers deux pour cent qui font la différence. Pour y arriver, il faut être passionné et avoir un but commun."
Vous êtes du genre à aller chercher le maximum de chacun de vos collaborateurs ?
"Je veux qu’ils donnent leur maximum car nous sommes dans un milieu exigeant mais je sais qu’ils doivent être heureux pour bien travailler. Je les pousse à toujours faire mieux mais, vu le chemin accompli, je serais bête de ne pas me réjouir."
On dit qu’il ne faut pas être surpris de votre communication directe…
"Je le répète sans cesse car c’est mon mantra : la communication est la clé et elle doit être honnête, ouverte mais constructive. Il faut la manière et le moment pour faire passer le message sans tuer son interlocuteur."
Vous êtes discret. Est-ce un choix ?
"Oui, car je ne pense pas qu’on résout les problèmes d’un club avec des interviews."
On dit que vous êtes l’anti-Marc Coucke…
"C’est faux. J’aimerais même avoir sa réussite dans les affaires. Marc est un homme bien, qui souffre pour le moment. Il est plus exubérant que moi mais c’est une question de caractère."
Vous avez récemment été élu à la tête de la Pro League. Quels défis devez-vous y relever ?
"Nous devons absolument changer le règlement de l’UB. Une partie sera modifiée rapidement mais il faut revoir l’ensemble du document. En tant que juriste, cela me fait mal de voir cela. Il faudra aussi renégocier les droits TV. Le défi est grand car il faut un montant plus élevé pour réussir à trouver une bonne clé de distribution."
On vous considère comme le président pro-playoffs !
"Notre pays a besoin de playoffs car nous avons besoin d’un maximum de matchs à haute intensité. C’est là qu’on mesure la qualité d’une compétition. On ne peut pas sous-estimer la corrélation entre la mise en place des playoffs et le niveau de jeu du championnat."
"Les Néerlandais n’ont jamais été aussi ouverts à une BeNeleague"
Peter Croonen fait partie des cinq présidents belges qui ont discuté avec les grands dirigeants de clubs néerlandais. Des discussions qui ont débouché sur un mandat d’audit adressé à Deloitte qui doit analyser la faisabilité d’un projet de championnat regroupant la Belgique et son voisin du nord.
"Si nous ne réagissons pas face à la globalisation du football, nous risquons de perdre nos places européennes" , assure notre interlocuteur. "Cette compétition augmenterait grandement le niveau de jeu. Pour moi, à l’inverse de ce que pense Bart Verhaeghe, il faut avant tout penser à la compétition domestique et au nombre de matchs de haut niveau avant de penser à l’Europe. Le projet de BeNeleague est compliqué mais les Néerlandais sont plus ouverts que jamais à ce sujet."