Entre orgueil, conflits d'intérêts et menaces : Comment Mogi Bayat était devenu le roi de la jungle
Portrait de la machine à cash du football belge, entre orgueil, menaces, carnet d’adresses, conflits d’intérêts et même… un rap
- Publié le 10-10-2018 à 14h41
- Mis à jour le 11-10-2018 à 13h04
Portrait de la machine à cash du football belge, entre orgueil, menaces, carnet d’adresses, conflits d’intérêts et même… un rap.
“Viens, on va la faire dans ma nouvelle maison. C’est le chantier mais on trouvera bien une place.” C’était le 27 avril 2017. Mogi Bayat (44 ans) nous accueillait pour une longue interview dans un coin cossu du Brabant Wallon. Une double maison immense où quelques ouvriers s’occupaient des finitions. Double maison ? La première comme bureau professionnel, la seconde pour la grande famille (il a 4 enfants). Le tout relié par une sorte de tunnel en verre donnant sur un magnifique jardin sans aucun vis-à-vis.
Une maison comme symbole de la réussite fulgurante de Mogi Bayat dans le monde des agents. Lancée en janvier 2011, sa carrière de manager l’a quasi instantanément emmené au sommet du football belge. Au point que beaucoup ont aujourd’hui oublié qu’il avait eu une précédente vie au Sporting de Charleroi. Huit années comme directeur sportif/général sous l’aile souvent pesante de son oncle Abbas Bayat. Un oncle qui finira par le mettre à la porte en novembre 2010, quelques semaines à peine avant ses grands débuts de l’autre côté du rideau.
Lion dominant
Un travail dans l’ombre qui convenait mieux au caractère bouillonnant du grand frère de Mehdi. Ses coups de colère, ses taquineries et sa communication parfois déroutante ne concernaient, cette fois, plus que lui. Sans ternir, ni colorer l’image des Zèbres dont il est toujours resté un supporter acharné.
Dans la jungle des managers, il est vite devenu le roi en Belgique. “Mais ce n’est par pour ça que j’ai mis un lion comme photo de profil sur Twitter”, nous avait-il un jour confié. “En fait, j’ai eu un lion de compagnie pendant mon enfance en Iran, un cadeau de mes grands-parents. Ça peut paraître bizarre ici mais c’était courant à l’époque dans mon pays d’origine. Cet animal m’a toujours fasciné.”
Comme le lion, Mogi Bayat a un caractère dominant. Par orgueil, vis-à-vis de son oncle et de tous ses détracteurs dans le microcosme du fooball belge, il veut rapidement s’imposer. Trop rapidement.
Sa première tactique consiste à piquer des joueurs à droite et à gauche. Ses contacts, son efficacité, sa connaissance du domaine juridique et sa soif de travail séduisent les joueurs. Mogi Bayat lance et relance des carrières, offre des perspectives et des contrats alléchants, parfois inespérés. En un SMS, beaucoup de footballeurs rompent avec leur agent pour rejoindre la jeune écurie Bayat.
Mogi n’est pourtant pas du genre à biberonner ses joueurs. Ce qui l’intéresse, ce sont les deals. Tous à les à-côtés du football, il laisse ça à d’autres. “Mais c’est quand même quelqu’un qui a un grand cœur”, nous confie-t-on dans l’entourage de l’un de ses joueurs. “Récemment, il a accueilli en catastrophe chez lui toute la famille d’un joueur, traumatisée par un cambriolage qui venait de se dérouler.” Le Genkois Dieumerci Ndongala, l’un des premiers clients de Bayat, finira même par lui écrire un rap :
“L’homme qui redonne le sourire.
L’homme qui met bien le joueur.
L’homme qui met bien les couleurs.
Tu sais comment ça se passe.
Tu sais comment ça se passe quand Mogi vient changer ton statut d’amateur en statut de pro.
Les mecs se demandent, c’est qui ? Mogi Bayat.
En cas de détresse, il te fait sortir de la galère. Juste un appel ou un SMS et il vient de suite à ton aide.”
Docteur Mogi, Mister Renard
La chanson est sympa mais le système est agressif. Mogi Bayat se met à dos une bonne partie des agents en Belgique. Certains vont jusqu’aux menaces physiques. L’intimidation finit par marcher : la tactique change. Le lion fait place au renard. Plutôt que d’écarter les agents rivaux, il propose de collaborer avec eux. Il se greffe alors à un nombre ahurissant de dossiers. Dossiers qu’il aime ponctuer par une photo sur son compte Twitter où il grille régulièrement la politesse au service communication du club acheteur. Pour asseoir son pouvoir.
Les commissions, elles, sont partagées entre agents mais il en profite pour élargir son carnet d’adresses. D’abord concentré sur le marché français, notamment grâce à sa jeunesse passée à Cannes avec son frère Mehdi, Mogi étend petit à petit ses contacts en Italie, en Allemagne et Angleterre. Il devient ainsi le grand ami de la famille Pozzo, propriétaire de Watford et d’Udinese. Deux clubs avec lesquels il multiplie les deals depuis 2015 (Kums, Teodorczyk, Oulare, Lukebakio…).
Cashmaker
De nouvelles perspectives qui séduisent les grands dirigeants des clubs belges. Herman Van Holsbeeck à Anderlecht et Michel Louwagie à Gand (les deux hommes se téléphonent tous les matins) font de Mogi Bayat leur agent-maison. Pratiquement tous les dossiers de ces deux clubs passent dans les mains du manager. C’est aussi le cas à Mouscron (où le directeur sportif fut un temps l’un de ses collaborateurs dans son écurie de management) et à Charleroi, forcément. Bruges, Genk, Courtrai, Lokeren, Beveren, Louvain et d’autres encore travaillent aussi énormément avec lui. Lors de mercato estival 2015, il ira jusqu’à faire 28 transactions, pratiquement une tous les deux jours.
Ce qui séduit le plus tous ses clubs ? La capacité de Mogi Bayat à bien vendre. Il aide Anderlecht à toucher près de 30 millions pour la vente groupée de Mitrovic et Mbemba à Newcastle en 2015. Et le pactole gantois de plus de 35 millions cet été ? Encore et toujours avec Bayat. Il aime faire rentrer une rengaine dans les cerveaux des décideurs du football belge : si tu veux être une riche, il faut travailler avec moi.
Le Club Brugeois a d’ailleurs fini par changer son fusil d’épaule. Après une grosse dispute suite au départ de Nabil Dirar à Monaco en 2012 (Bayat avait même menacé de rompre unilatéralement le contrat du joueur), les dirigeants blauw en zwart ont fait un pas vers l’agent en 2015 pour vendre Obbi Oulare. Quelques semaines plus tard, Watford arrivait avec une offre de 8 millions pour cet attaquant de 19 ans qui n’avait marqué que 4 buts en championnat de Belgique.
Longtemps en froid au Standard (il déteste Roland Duchâtelet), Mogi Bayat finira par y faire son trou cet été en plaçant Michel Preud’homme. C’est lui qui a tout réglé alors que Ricardo Sa Pinto était toujours en place. Après l’arrivée de MPH, Bayat fera aussi le transfert… d’Oulare en bord de Meuse.
Impossible ménage à trois
Cette mainmise sur le football belge le place souvent dans des situations inconfortables. Voire ubuesques, comme en janvier 2017 quand Anderlecht se manifeste pour le Standardman Adrien Trebel alors que tout était quasi réglé avec Gand. Mogi Bayat est alors l’agent mandaté par Gand, Anderlecht et Trebel ! Un impossible ménage à trois. “C’est un boulot d’équilibriste mais ce dossier m’a mis en difficulté. Pour moi, il aurait été plus facile que Trebel signe à Gand…”, reconnaissait-il après coup. De toute manière, pas question de rancune dans le QG des clubs. Bayat est trop important pour bouder. Et tant pis pour d’éventuels conflits d’intérêt…
Le départ forcé d’Herman Van Holsbeeck à Anderlecht était l’un de ses rares coups durs de ces derniers mois, le successeur Luc Devroe privilégiant d’autres voies que le système Bayat. Et Marc Coucke n’étant surtout pas un grand fan du personnage. Mogi tentait quand même de revenir par la fenêtre à Neerpede, débarrassant notamment le club de Kara et de Teodorczyk à la fin du dernier mercato. Une tentative de retour en grâce au Sporting que la justice a stoppée ce matin en venant cueillir Bayat chez lui, dans sa grande et belle maison du Brabant wallon.