Emilio Ferrera se livre: "Je sais travailler dans l’impopularité, cela fait ma force"
Présenté en début de saison par Michel Preud’homme comme étant son entraîneur bis, Emilio Ferrera se livre sur ses méthodes.
- Publié le 29-03-2019 à 06h47
- Mis à jour le 29-03-2019 à 08h01
Présenté en début de saison par Michel Preud’homme comme étant son entraîneur bis, Emilio Ferrera se livre sur ses méthodes. Le temps d’un entretien de près de deux heures, Emilio Ferrera a délaissé le training de travail pour le costume tiré à quatre épingles. À 51 ans, l’homme, qui est aussi exigeant envers lui-même qu’il ne l’est envers ses joueurs, s’entretient toujours et présente une ligne impressionnante. "J’essaie de courir une heure tous les jours à l’Académie", lance le fidèle compagnon de route de Michel Preud’homme. Souvent pointé du doigt pour son côté froid, renfermé et dur, Ferrera se livre sur ses méthodes sans faux-fuyants.
Emilio, revenons sur le début de saison au cours duquel vous avez dû marquer une rupture avec ce qui a été fait la saison dernière.
"Comme partout, on a établi nos règles de vie qui n’étaient pas les mêmes que sous Sa Pinto, tout comme les siennes n’étaient celles préconisées avant lui. On a dû être stricts, mais cela fait partie d’une culture de club. Tu es au Standard, il faut donc être à la hauteur."
On dit de vous que vous êtes souvent dur avec les joueurs. C’était le cas en ce début de saison ?
"Où que j’aille, les premiers mois sont toujours difficiles car il n’y a pas de favoritisme et on traite tout le monde de la même façon. Je suis capable de travailler dans l’impopularité. C’est ce qui fait ma force. Je n’ai pas besoin de sentir que le joueur m’apprécie pour fonctionner normalement. Mais les joueurs, je les adore au même titre que j’adore mes enfants. Au Standard, ce qui ne gâche rien, c’est que ce sont tous des chouettes gars même s’il y en a certains qui sont plus compliqués que d’autres, mais on a plaisir à les connaître en tant que personne."
Il y a parfois eu des étincelles.
"Sans doute, et c’est revenu aux oreilles de journalistes qui en ont fait état, mais c’est propre à partout où j’ai été. Je suis un personnage assez polémique. On ne m’a pas beaucoup vu sur le plan médiatique car je n’avais pas envie de commencer à m’étaler. Avec Michel, on sait très bien comment on fonctionne; c’est ce qui prime sur tout."
Comment décrieriez-vous votre relation avec le groupe ?
"J’adore les joueurs et j’espère que c’est réciproque, mais ça ne me tracasse pas et ce n’est pas quelque chose qui va m’empêcher de fonctionner. Ils comprendront plus tard. J’ai eu beaucoup de joueurs et c’est fréquent que certains me contactent pour savoir ce qu’ils doivent faire. Plusieurs d’entre eux sont devenus coachs comme Leko, Clément ou Jonas De Roeck."
Léandro Trossard, que vous avez eu à OHL, a récemment dit que Clément lui faisait penser à vous.
"Quand je suis arrivé à Louvain, il ne jouait pas. Je l’ai remis dans une position bien spécifique et deux mois plus tard, Genk voulait le récupérer et aujourd’hui, il est Diable rouge. Sur le moment même, les joueurs ne m’apprécient peut-être pas mais, après, ils comprennent."
C’est si dur de travailler avec vous ?
"Je suis quelqu’un de créatif et comme tout créatif, je suis parfois excessif. C’est comme ça que je me sens le mieux et que je peux aider les joueurs. J’ai ce besoin d’être constamment dans l’innovation. Quand j’ai débuté ma carrière professionnelle, je voulais être innovant et donner entraînement d’une autre façon. En 1999, j’ai débuté les analyses vidéo, mais on n’avait pas les outils actuels. Tracer les lignes sur le terrain pour délimiter les zones, je le faisais déjà à cette époque. Je n’aime pas répéter des schémas pendant 10 ou 15 ans. C’est la même chose pour une émission télé ou un journal qui reste le même pendant des années, il faut bien lui apporter des touches de nouveauté. La particularité du foot, c’est que les années d’expérience ne s’accumulent pas pour les coachs. Si tu penses ça, tu es foutu."
On dit de vous que vous auriez jugé certains joueurs pas suffisamment éveillés intellectuellement pour assimiler votre projet.
"Je n’ai jamais dit ça. Si un joueur n’est pas assez éveillé pour comprendre, c’est que je n’ai pas bien expliqué. Intellectuellement, je n’ai jamais dit que des joueurs étaient limités. Par contre, on doit être exigeant dans l’aspect technique et quand tu joues dans une équipe comme le Standard, cet aspect est essentiel. Un joueur du Standard doit avoir des exigences techniques élevées. Techniquement, parfois, je me disais que, si tel ou tel joueur était plus exigeant avec lui-même, ce serait bénéfique en match."
Parlons un peu de votre vision du foot.
"Vous avez le temps (rires) ? Le plus important, c’est d’avoir un concept de jeu et par rapport à ce dernier, définir ce que tu préconises quand tu as le ballon et quand tu ne l’as pas. C’est primordial de définir, avec exactitude et précision, ce que tu attends dans ces cas-là. À partir de là, on peut aller à la suite, à savoir élaborer les entraînements, construire un plan d’évolution. J’ai coaché des équipes qui luttaient pour le maintien mais également celles qui jouaient l’Europe et j’ai fait ce constat qui dit que les règles, si elles sont bien réfléchies, peuvent être adaptées dans les deux cas de figure. Si je préconise des règles comme celles de Guardiola, c’est bien, mais tu ne peux pas le faire à Westerlo ou Lokeren, c’est risqué. La problématique est d’essayer de trouver quelque chose qui soit cohérent, que tu sois entraîneur du Standard ou d’une plus petite équipe."
Quels ont été vos exemples ?
"Il y a eu Cruyff, Sacchi, Bielsa et Sarri. Prenons le coach de Chelsea, il a su se renouveler tout en étant fidèle à ses principes. Ce qu’il a fait avec Naples, il fallait le faire. Maintenant, il est dans la difficulté car Chelsea est passé d’un style de football à un autre, totalement différent."
Tout comme le Standard cette saison.
"La saison dernière, le Standard a connu des PO1 brillants en se qualifiant tout juste. Avec 44 points, comme en 2018, tu ne te qualifiais pas cette année en PO1. Là, déjà il y a une grosse différence. La deuxième, c’est qu’on a tout de même réalisé une belle campagne européenne. On a dû la digérer. Enfin, il y a une façon de jouer qui est fondamentalement différente et qui est encore perfectible. On a laissé, par moments, une empreinte, qui n’est pas toujours présente, tu vois que c’est encore quelque chose de très frais."
“L’expérience Standard, il faut la vivre”
Emilio Ferrera se dit impressionné par ce qui se dégage à Sclessin qui sera la force du club en PO1. Après la remontada face à Waasland-Beveren, Michel Preud’homme avait tempéré les ardeurs de certains. “Le titre ? Avec ce que j’ai vu, je ne rêve pas.” Mais avec cinq points de retard sur Genk, le Standard n’a-t-il pas le droit de rêver ? Les Liégeois n’ont-ils pas le potentiel pour rafler le titre ? “Le potentiel, oui, mais il y a ce souci des matchs en déplacement, que nous ne sommes pas les seuls à avoir”, souligne Emilio Ferrera. “À Sclessin, où seul l’Antwerp est parvenu à nous battre, il y a quelque chose de particulier qui se dégage et qui est probablement unique en Belgique. Ce qui s’est passé face à Waasland-Beveren n’aurait pas été possible dans un autre stade. Les supporters nous ont largement aidés. Cela fait partie de l’expérience Standard qu’il faut vraiment vivre pour la comprendre.”
Emilio Ferrera met ensuite en balance deux éléments fondamentaux : l’émotionnel et le rationnel.
“Soit on se positionne d’un point de vue émotionnel et on se dit que tout est possible surtout quand on voit ce qu’on a su faire à domicile face à Waasland, contre Bruges, Anderlecht, Séville ou encore l’Ajax. Mais il y a aussi le côté rationnel dans lequel on analyse les chiffres et on voit que le bilan away dans les confrontations directes avec les membres du top 6 n’est pas brillant (1/15). L’histoire des PO1 nous dit que l’émotionnel a parfois joué un grand rôle comme pour le Standard la saison dernière ou en 2011 avec Dominique mais aussi Anderlecht en 2014 avec Hasi mais aussi que le côté rationnel a primé à plusieurs reprises avec l’équipe qui a terminé première à l’issue de la phase classique qui remporte le titre en fin de saison.”
L’émotionnel, voilà ce qui a souvent primé la saison dernière à Sclessin, notamment en PO1. Cette saison, le duo Ferrera-Preud’homme tend à rééquilibrer la balance.
“Déjà, ce côté émotionnel, on l’a gardé. Au début, on disait que nous ne laissions pas les joueurs s’exprimer, qu’ils étaient brimés et qu’ils avaient du mal à assimiler nos demandes. Beaucoup de choses ont été écrites et dites et on voit bien, aujourd’hui, qu’on n’a pas proscrit cet aspect du jeu de nos joueurs qui est vraiment ancré dans l’ADN du club plus que dans celui des joueurs et j’espère que cela va perdurer dans les prochaines années.”
Quant à la course au titre, le Bruxellois ne pointe pas de favori.
“Il n’y en a pas. Chaque équipe à sa particularité. Le niveau technique de Genk, avec Pozuelo, est largement au-dessus de la moyenne. Pareil pour Bruges au niveau de l’expérience. C’est une équipe qui a l’habitude de jouer sous pression et cela se ressent très fort. Le Standard, on l’a déjà dit, c’est le côté Sclessin, institutionnel, folie et ferveur. On sait qu’il va se passer quelque chose.”
“Concernant Gand, on se plaisait à dire qu’il y a de bons joueurs mais que cela tardait à se traduire dans les chiffres. Est ensuite venue cette série de quatre succès de rang dont un gros match à Saint-Trond. L’Antwerp, au niveau physique, taille et impact dans les duels, ils sont au-dessus de la mêlée. Enfin, Anderlecht reste un grand du championnat qu’on avait donné pour mort et ils sont là. Cela peut jouer en leur faveur. Chacun à ses points forts et il faudra gommer les points faibles. Allons-nous connaître des PO1 émotionnels ou rationnels ? Là est toute la question.”