Le 50-50 de Julian Michel: "Avec De Boeck, il n'y avait pas forcément de fond de jeu"
A peine arrivé à Waasland-Beveren, Julien Michel revient sur sa période mouscronnoise, son écolage entre Lyon et Lille et sa vision calme et posée du métier de footeux. Un entretien riche en enseignements footballistiques. Mais pas que. Rencontre.
- Publié le 17-09-2016 à 11h56
- Mis à jour le 18-09-2016 à 13h46
Pour le nouveau volet de notre rubrique "50-50", nous nous sommes rendus au Freethiel pour rencontrer Julian Michel. Cité un moment au Standard, considéré comme l'une des plus belles pattes gauches du championnat, le milieu de terrain français a surpris tout le monde en signant pour trois ans à Waasland-Beveren. Etonnant ? Oui et non quand on regarde les nouveaux arrivants chez les Waeslandiens, des joueurs qui ont du foot "dans les pieds". Et pour Michel, cette arrivée dans le groupe de Stijn Vreven est surtout l'occasion de relancer sa carrière, lui qui semblait ne plus entrer dans les plans de Glen De Boeck du côté de Mouscron. Entretien au long cours avec un homme posé et philosophe.
1 | Comment se passe votre acclimatation à Waasland-Beveren ?
"Très bien. Là, je recherche toujours un logement. Mais avec l'équipe et le staff, je pense qu'il y a vraiment quelque chose à faire. Au niveau travail, on est au point. Mais il nous manque encore... les points justement (sourire) Après, je connaissais quand même quelques joueurs et l'équipe. J'ai joué plusieurs fois contre eux en deux ans. Je connaissais l'ambiance pour être venu au stade. C'est aussi un club qui avait des vues sur moi l'an passé. L'acclimatation s'est donc bien déroulée."
2 | Comment ce transfert s'est-il fait ?
"De mon côté, je voulais partir en début de saison. Puis Glen De Boeck m'a dit qu'il comptait sur moi pour faire partie des cadres de l'équipe. J'étais flatté et j'étais prêt à faire de mon mieux, à tout donner. J'ai donc débuté la saison très concentré. Puis au fur et à mesure, son discours a changé vis-à-vis de moi. Il a un peu douté de moi. Il ne m'a pas aligné contre Anderlecht. Je ressentais certes une petite douleur au pied, mais je pouvais jouer. A Charleroi, il m'a sorti à la mi-temps. Je sentais que l'air était un peu vicié. De plus, mon meilleur ami, Anice Badri, avait quitté le club, du coup, je n'y avais plus trop d'attaches. Je me suis alors tourné vers mon agent et lui ai dit que je voulais trouver un nouveau challenge. Waasland était la meilleure option."
3 | Vous n'avez pas tenté de vous accrocher jusqu'au bout ?
"Parfois, les choses sont ce qu'elles sont. J'aurais certes pu continuer à parler avec le coach. Mais moi-même, je ne me sentais plus à l'aise dans cette ambiance. Il fallait ouvrir une nouvelle page, découvrir un nouveau décor pour me relancer."
4 | On connaît vos qualités balle au pied. Ne pensez-vous pas que vous auriez pu viser plus haut ?
"S'il y avait eu des offres, oui. Mais je n'ai pas fait une très bonne deuxième partie de saison et cette année, avec Mouscron, je n'ai pas très bien commencé. J'allais voir mon agent, qui me disait que cela ne bougeait pas trop. J'ai pu lire sur les réseaux sociaux que j'aurais pu aller au Standard etc. Je ne me pose pas trop la question. Je me dis que si je ne suis pas ailleurs, c'est qu'il me manque encore quelque chose."
5 | Il y a deux ans, on vous citait en effet au Standard. Vous n'avez pas de regrets par rapport à ça ?
"Non, pas des regrets. Ce sont plutôt des leçons à tirer. Il y a deux ans, notre première partie de saison était bonne. Puis il y a eu ma blessure, un changement de coach. Quand on est blessé deux mois et demi, on sait qu'on ne peut pas revendiquer des choses qui ne sont pas atteignables."
6 | C'est aussi important d'évoluer désormais dans un club plus stable ?
"Oui, je cherchais cela, de la stabilité. J'ai rencontré le président dès le premier jour. Ce qui ne m'était jamais arrivé à Mouscron. Il y avait aussi ce désir du coach de me voir arriver. Il avait déjà parlé de moi à Steeven Langil. C'est l'une des choses les plus importantes quand on arrive dans un club. Quand De Boeck est arrivé l'an passé, j'étais un peu blessé, c'est vrai, mais il ne m'a jamais vraiment repris dans son onze, j'étais vu comme un back-up."
7 | Que vous a-t-il dit à l'époque ?
"Il me disait qu'il avait entendu beaucoup de bien de moi, mais qu'il ne retrouvait pas ça dans les matches. Même s'il voyait que j'étais l'un des meilleurs aux entraînements. Je lui disais que le contexte était différent, que je cherchais des solutions. Je préfère ne plus trop revenir sur le passé. Je ne suis pas particulièrement déçu, mais j'ai donné beaucoup au club, qui m'a rendu beaucoup aussi. Mais partir comme ça, ce n'était pas la meilleure façon de dire au revoir."
8 | Le niveau actuel de cette équipe n'est-il pas un peu décevant quand on repense au potentiel d'il y a deux ans ?
"Et avec le départ de Dussenne en plus... C'est aussi pour cela que je voulais partir, en plus de la relation que je pouvais avoir avec le coach. Je voyais ce qu'il se passait autour. Les déclarations de Yuri Selak nous concernant, Badri et moi (NdlR: le manager sportif avait déclaré que Michel et Badri n'étaient aptes que pour jouer 25% à 30% des matches)... Ce n'est pas propre, vous voyez ? Je fais mon boulot de joueur. Il ment, il dit qu'on a fait 20 à 30% du championnat, alors que j'ai joué plus que cela. Si vous regardez ces déclarations, c'est à l'image du club: vicié. Alors que la réalité ne correspond pas à ça."
9 | Votre bilan n'est pas exceptionnel en club avec un 2/15 (NdlR: l'interview a été réalisée avant la victoire contre Bruges). Comment Vreven parvient-il à vous remobiliser ?
"Je suis assez d'accord avec son message. Il dit que quand on voit la physionomie des matches, les buts qu'on prend, ce bilan n'est pas forcément mérité. Il ne faut pas tirer le signal d'alarme trop vite. On a un groupe jeune, en plus."
10 | Vous pensez que parfois on sous-estime Waasland-Beveren ?
"Ah, ça, c'est à vous de me le dire. Mais j'ai vu que les joueurs étaient bons. Des joueurs comme Vanzo, Marquet, je sais ce qu'ils valent. C'est aussi pour ça que je suis venu. Parfois, les journalistes mettent des gars qui ne m'impressionnent pas sur un piédestal. Car ils sont jeunes, bons, Belges, c'est normal. Mais quand je vois parfois les notes, y compris celles que je me suis prises en fin de saison dernière... Je me demandais parfois si on ne m'en voulait pas, que ce n'était pas possible. Des gars qui avaient moins fait que moi étaient mieux notés. Peut-être espérait-on plus de moi, car j'étais attendu. C'est ce que De Boeck m'avait dit, que je ne revenais pas à mon meilleur niveau."
11 | De Boeck et Vreven étaient deux joueurs aux profils similaires. Quelles différences ou similitudes voyez-vous entre leur coaching ?
"Chez De Boeck, il n'y avait pas forcément de fond de jeu. A Waasland, c'est significatif. Quand je suis arrivé ici, j'ai été convoqué deux jours après par le coach, il s'est présenté, ainsi que sa vision du foot. Je lui ai expliqué qu'à Mouscron, on réalisait une phase de jeu de telle façon, que je n'étais pas forcément d'accord avec son déroulement et j'ai demandé à Vreven quel était son avis par rapport à cette manière de faire. Il m'a dit que j'avais raison et cela m'a rassuré, dans un certain sens. Je me suis dit 'On s'entend sur ça, c'est déjà bien'. Ce sont ces petites choses qui font la différence dans la relation joueur-coach. Dans la méthode de travail, il veut qu'on soit un bloc offensivement ET défensivement. Il y avait cela aussi chez De Boeck, mais son message passe mieux. C'est difficile à expliquer. A Mouscron, il y avait une coach mental qui faisait le lien entre le coach et nous. Ce qui fait que ce n'était pas toujours efficace dans la communication."
12 | Cette coach, cela vous aidait vraiment ?
"Oui, c'est important, mais il ne faut pas en abuser. Il faut laisser cela à sa place. On peut être le meilleur du monde mentalement, mais si tu ne sais pas faire un contrôle, tu ne sais pas faire un contrôle, point. Mais il faut voir pourquoi Marquet est parti. Il est parti car il ne se retrouvait pas dans ce que le coach disait, il ne comptait pas trop sur lui. Marquet et moi, on est des joueurs de ballons. Et De Boeck, cela ne lui parle pas. C'est très défensif. L'an passé, face à Ostende, on avait deux n°6 pour ne pas encaisser de but. Et on en a pris trois, dans le jeu, en plus. Quand j'étais sur le banc et que je jouais à l'entraînement contre l'équipe-type, c'était presque facile de les contrer. Car le milieu de terrain ne demandait pas le jeu. C'était facile. Quand on a des costauds devant soi, il faut être plus vivace et voila. Si encore c'était efficace, je m'y résoudrais. Mais là, ce n'était pas le cas. Et personne ne s'y retrouvait, en fait. Mickaël Tirpan, c'est un joueur qui a des jambes de feu, pour peu qu'il ait de l'espace. Mais là, il joue en 6, un peu malgré lui. Or, ce n'est pas comme s'il n'y avait pas eu de signaux avant..."
13 | N'est-ce pas peut-être à cause de ce qui est arrivé à une équipe comme OHL, plus joueuse, mais finalement reléguée ?
"C'est vrai qu'ils avaient une bonne équipe. Mais je pense qu'il leur manquait un costaud en défense et un vrai buteur. Mais à Louvain, on avait du mal l'an passé ! Ils savaient bouger n'importe qui. Peut-être que les joueurs et le coach de Louvain ont pris plus de plaisir que nous. Mais ils sont en D2 et Mouscron en D1. Il faut parfois faire des sacrifices. Mais je suis persuadé qu'on peut joindre les deux."
14 | Vous êtes plutôt étiqueté "beau joueur", ce qui ne correspond pas forcément à l'identité du club.
"Je ne connaissais pas forcément la réputation de ce club à l'époque. Mais en discutant avec le président et le directeur sportif, ils sont plus ouverts que vous pouvez le penser. Ils veulent des joueurs de qualités, c'est en train de changer. Il y a Siebe Schrijvers, François Marquet. Il y a peut-être des Buatu, des Seck, mais ce sont des joueurs de qualités. Au-delà de l'envie, qui est primordiale, ils savent jouer au foot."
15 | Avec Schrijvers, retrouvez-vous la même complicité que vous avez pu avoir avec Abdoulaye Diaby, par exemple ?
"Oui, mais bon après, il y a une différence entre eux: quand je donnais la balle à Diaby, c'était au fond. Siebe est plus dans l'entrejeu. Mais c'est un plaisir de jouer avec ce genre de joueurs, techniquement parlant. Comme avec Marquet. Toutefois, c'est difficile de les comparer."
16 | Vous jouez dans un rôle plus reculé qu'au RMP, cela vous permet d'exploiter votre jeu long.
"Durant les quelques minutes que j'ai jouées contre Malines, on n'a pas trop eu le ballon. Mais contre Ostende, quand je suis rentré, j'étais dans une position que j'affectionne, car j'avais le jeu devant moi. Après, on doit plus travailler les lignes de courses, les appels. Je suis un joueur d'équipe et sans les autres, je ne peux pas faire la différence. Car s'il n'y a pas d'appel, il n'y a pas de bonne passe. Ça marchait comme ça avec Diaby. Ou Dussenne sur phases arrêtées, car il avait faim dans la surface. Ici, je sais que Gano a de la taille et je peux l'alimenter."
17 | Vous sentez que ça se fait instinctivement ou cela va prendre un peu de temps ?
"Il y a Schrijvers qui est un joueur intelligent, Floriano Vanzo qui a aussi des qualités. Rudy Camacho aussi sait relancer et Buatu. Erdin Demir, Laurent Jans à droite. Mais je n'ai pas encore assez joué."
18 | Vous avez même déjà joué ailier gauche, ce n'était pas vraiment naturel pour vous.
"La semaine, quand le coach vous dit de jouer à ce poste, vous répondez oui. Après, en match, c'est autre chose. A gauche, je subissais un peu le jeu, j'attendais la balle. Et je préfère prendre le jeu à mon compte et distiller les ballons, trouver les espaces pour les joueurs, les mettre à l'aise dans de bonnes conditions."
19 | Vous dites que le milieu de terrain doit être dominant, mais Waasland n'est pas le genre d'équipe qui peut avoir la possession, comment parvenez-vous à vous y habituer ?
"Je ne m'y habitue pas. Je me dis que dans n'importe quelle équipe où je vais jouer, le milieu de terrain doit être dominant, que ça soit à Waasland ou ailleurs. Si vous regardez l'an passé, durant les matches où je jouais, le milieu de terrain mouscronnois était au-dessus. Même si on est dans une équipe qui peut subir le match, je tente d'apporter quelque chose et on se crée des opportunités."
20 | Est-ce vous qui avez le rôle, si pas le plus important, le plus déterminant ?
"Je pense, oui. Les défenseurs et les attaquants sont importants. Mais le lien se crée entre eux grâce au milieu de terrain, même si la défense doit avoir une bonne capacité de relance. Mais c'est nous qui déterminons la qualité de cette relance, je pense. On peut mieux travailler avec les attaquants si on est au point au milieu."
21 | En Belgique, quel joueur vous a le plus impressionné ?
"Sven Kums a des qualités. Ce n'est évidemment pas que lui qui brillait à Gand, c'était tout un système. Mais l'an passé, à Gand, j'ai vu qu'il savait nous bousculer en termes d'intelligence de jeu. Il y a aussi Hans Vanaken, qui peut jouer comme deuxième attaquant, qui a déjà joué ailier, qui est grand. C'est moins un organisateur. J'aime bien ce genre de joueurs. Quand je l'ai joué contre Bruges, il m'a fait de l'effet."
22 | Cette philosophie estampillée "beau jeu", vous l'avez acquise lors de votre écolage ?
"Oui, surtout à Lyon, où j'ai passé sept ans. Là-bas, j'ai passé sept ans à tout gagner, car on est dans l'obligation de le faire. Les autres ne touchaient pas le ballon. C'était peut-être parfois trop facile. L'année d'après, je suis parti dans un plus petit club (NdlR: Louhaux-Cuiseaux) et j'ai compris que dans certaines équipes, des joueurs n'ont pas toujours la même philosophie ou la même mentalité. Au début, c'est compliqué, car on ne comprend pas pourquoi."
23 | Ce passage à Louhan-Cuiseaux, cela vous a formé ?
"Oui, bien sûr. Ce passage, avec le recul, je me dis que c'est ça qui fait la différence entre un grand club et un petit club. Le petit club a peut-être quelques bons joueurs, mais il n'y a pas d'équipe. Aujourd'hui, Anderlecht a de belles individualités, mais tout le monde est impliqué dans une même philosophie de jeu. C'est pour ça que Beveren ne peut pas garder un Langil, un Moulin, ou des joueurs de ce style. Des joueurs individuellement forts. Quand tu es dans un petit club, mais que tu as un niveau plus élevé, tu t'adaptes au niveau général. Certes, tu apportes quelque chose, mais bon..."
24 | Vous avez eu peur de stagner ?
"C'est sûr que c'est difficile de remonter après. On se voit à travers les autres. Si mon équipier rate un contrôle, je me dis qu'il est dans mon équipe, donc, je suis dans le doute aussi. Mais si on est dans une équipe solide mentalement, techniquement appliquée, alors je me dis que je suis comme eux, et je ne vois alors pas pourquoi je raterais mon contrôle, alors que tout le monde l'a réussi. C'est ce qui fait la différence et que j'essaye d'inculquer. Par exemple, mon premier match contre Malines, les joueurs paniquaient quand ils avaient la balle, alors qu'on menait au score. Ce n'était limite pas normal. Il faut avoir confiance en soi, en son équipe..."
25 | Vous vous considérez comme un des leaders ?
"Oui, je pense. En tout cas durant les entraînements. Pour vous, les journalistes, la différence se fait en match. Mais vous-mêmes vous me dites que je pourrais aspirer à plus haut, donc, c'est logique que je sois un cadre dans une équipe comme Waasland ou Mouscron."
26 | Vous avez l'air confiant en vous, mais vous avez déclaré par le passé que c'était le doute qui faisait avancer. C'est un peu paradoxal avec le milieu du foot où on dit qu'il ne faut pas trop se poser de questions ?
"Je ne parlais pas forcément du doute envers soi-même ou de tout remettre en question. Certaines choses sont actées. J'ai un bon pied gauche, j'ai un bon pied gauche. Même si je rate une transversale, je ne me dirais jamais que mon pied gauche est pourri. Je parlais plus du doute après un match 'Ai-je tout donné ?' 'Aurais-je plus faire plus ?' 'Que peuvent me dire les autres'. La confiance en soi peut nourrir l'égoïsme. Avoir de l'ego, OK, mais pas au point de ne plus écouter les autres."
27 | On en revient à votre vision du foot, très collective.
"C'est ma vision du foot, qui n'est pas toujours partagée (je ne sais pas pourquoi d'ailleurs...): le foot, ça se joue à onze, on est obligé de passer par le collectif pour réussir. Ne pas interagir les uns avec les autres durant le match, ne penser qu'individuellement, ce n'est pas possible. J'ai parfois du mal à ce niveau-là, à penser à moi, à mon jeu, à mes stats. Tout ça, cela viendra si tout roule avec les autres. On ne prend pas de plaisir à jouer comme cela."
28 | Cela vient aussi du message de Stijn Vreven, un ancien défenseur ?
"J'ai parlé avec lui dès le début, il m'a expliqué sa vision du jeu, que je partage totalement. On a surtout parlé du jeu défensif, car il veut partir d'une bonne base défensive, avec des espaces fermés. Il veut qu'on court intelligemment, etc. C'est basique finalement."
29 | A Mouscron, on vous reprochait de ne pas être assez décisif, mais vous n'êtes pas non plus le genre de joueur qui va mettre quinze buts et vingt assists par saison.
"C'est comme ça aujourd'hui, dans le foot et dans la vie: il faut tout rentabiliser, avec des stats, des chiffres. Vous allez demander un score à un ami et directement demander qui marque. Dans les bulletins de notes des journaux, le mieux noté est le buteur, même s'il a fait un mauvais match. Personnellement, je ne suis pas toujours d'accord avec ces cotes. Et tout le travail du milieu de terrain qui a permis de conserver le ballon pour faire des actions sera un peu oublié. Car on préfère les noms."
30 | Quand on vous entend, on a l'impression que vous n'êtes pas né à la bonne époque.
"Je ne sais pas. Je m'y fais, tout le monde s'y fait, on n'a pas le choix. Le football reste un métier que j'aime, magnifique, même si je ne suis pas sur le devant de la scène. C'était amusant, lors du dernier match de PO2 contre Courtrai, j'avais marqué deux buts. Les journalistes m'avaient demandé ce que je ressentais. J'avais juste répondu que moi aussi j'étais capable de marquer. De nos jours, on aime mettre les gens dans des cases: lui il va marquer, lui pas. Ce n'est pas si simple."
31 | Que pensez-vous d'un gars comme Andrea Pirlo qui a pu réhabiliter le rôle de passeur ?
"Je n'ai pas vraiment eu de modèle, ce qui est logique à partir du moment où je pense plus en terme de collectif. Pour moi, ce sont plus les coaches qui mettent les choses en place. Les joueurs de Manchester City, ce sont les mêmes qu'avant, mais Guardiola, c'est comme si il avait tout changé. Nous, les joueurs on subit: on nous dit d'aller à droite, on va à droite. Si chacun fait ce qu'il veut, ça va partir dans tous les sens. Le coach doit garder et tirer tout le monde dans le même sens."
32 | Mais si vous deviez citer un nom qui vous inspire ?
"Thiago Motta, c'était quand même quelque chose il y a deux ans, surtout. C'est un joueur intelligent, qui court peut, mais qui crée des espaces pour les autres. Il y a aussi Marco Verratti, qui est pour moi l'un des trois meilleurs milieux de terrain du monde. Mais je ne dirais pas que je suis inspiré par ces joueurs. Quand j'étais jeune il y avait Zizou, car c'était le meilleur, tout simplement."
33 | C'est amusant que vous citiez Motta, car vous qui disiez à l'époque que vous ne pourriez pas vous montrer "vicelard".
"Oui, mais j'ai pu évoluer aussi (sourire). C'est sûr que c'est un peu sale de mettre un coup, mais pourquoi pas un croche-patte ou retenir un joueur par le bras pour éviter une contre-attaque. Après, je ne pense pas que ça soit vicieux. Ce n'est pas méchant, c'est de l'expérience. Plus jeune, j'ai pu faire des choses moins belles, par frustration, mais c'est du passé."
34 | Quand vous étiez jeune, vous étiez à Lyon. Vous pouvez nous expliquer comment ça se passait là-bas ?
"Ce qui caractérise le club, en tout cas à l'époque de Juninho etc., c'était qu'on prenait l'équipe première comme base. Les A jouaient en 4-3-3, donc tout le monde jouait comme ça, dès les plus jeunes catégories. On regardait les matches le week-end, on se disait qu'on pouvait faire comme les grands qui jouaient à notre poste, car on avait le même maillot. C'était toute une philosophie de jeu, une vision. Les entraînements étaient basés sur la technique, avec des contrôles, des passes, des jonglages. Quand j'étais petit, on devait faire des jongles pour se départager en cas de match nul. Mais tous les joueurs, du gardien à l'attaquant, en faisaient tellement que l'arbitre nous disait d'arrêter. Ce jonglage va t'amener une sensibilité par rapport au ballon que tu n'auras pas ailleurs."
35 | Y avait-il des entraînements tactiques dès le plus jeune âge ?
"Non, je n'en ai pas souvenir. A Lyon, les joueurs à côté de toi sont tellement bons que tu te fonds là-dedans. C'est dur de mettre des mots là-dessus. C'était Lyon, quoi. Les A étaient heptuples champions de France. Les jeunes étaient automatiquement respectés. Même à l'école, on voulait être les meilleurs. Les week-ends, on n'avait même pas besoin de "forcer" pour se motiver. C'était 'On gagne aujourd'hui', et pas 'Ah, ça va être dur'. C'était jamais dur."
36 | Vous êtes quasi de la même génération qu'Alexandre Lacazette et Clément Grenier. Que vous a-t-il manqué pour les rejoindre ?
"J'avais seize ans à l'époque, j'étais sous contrat. J'ai vécu une expérience extra-sportive qui m'a fait sortir du circuit. Peut-être que je serais à leur niveau si je n'en étais pas sorti. Mais c'est comme ça. Je n'ai pas de frustration. Je suis très heureux dans le Nord, je m'y plais. J'ai signé un premier contrat pro à Lille, je m'y suis marié, j'y ai vécu mes premières minutes en pro. Je suis allé à Mouscron en D2, je m'y suis aguerri, j'ai vécu une montée. C'est intense ! A Lyon, il y a des joueurs qui étaient renvoyés vers quinze, seize ans et qui ont arrêté. Mais pourquoi ? Parce qu'après Lyon, où qu'on aille, on est déçu. Moi après Lyon, je suis allé à Louhan-Cuiseaux. Je sais pas si vous êtes déjà allés là-bas (il souffle). Mais je savais ce que je voulais: ne pas y rester."
37 | Et la vie en Belgique, ça se passe bien ?
"Oui, tout à fait. Je n'ai pas encore d'appartement en Belgique, mais je vais en prendre un bientôt et tout va bien se passer."
38 | Ca signifie que vous vous voyez à plus ou moins long terme ici ?
"Il y a deux ans, je ne connaissais pas bien le pays. Je connaissais le Standard, Anderlecht. Mais c'était des noms, des clubs là-haut (sourire). Mais une fois qu'on y est, on se rend compte qu'il y a tout un monde pro. C'est comme partout, on a toujours des a priori sur les choses. Et quand on s'y confronte, on se rend compte qu'elles ne sont pas si différentes de ce qu'on connait."
39 | Et partir dans un autre pays, peut-être dans un grand championnat, cela vous tenterait ?
"Pourquoi pas. Après, je viens tout juste d'arriver ici, à une centaine de kilomètres de chez moi, cela fait déjà un changement."
40 | Quel regard portez-vous sur la Ligue 1 ?
"Ouh, la Ligue 1, je vois des joueurs qui courent dans tous les sens. Des fois, je pense même qu'ils courent plus que le ballon. Je ne peux plus regarder ça... A part peut-être Paris... Ce n'est pas un championnat qui me parle. Je ne sais pas expliquer pourquoi. Par contre, l'Espagne, ça me dit plus. Après il faudrait y jouer pour juger sur pièce. Là-bas, le ballon circule, mais il circule bien. Ce n'est pas le cas en France. En Liga, ils ont de meilleurs joueurs, c'est tout."
41 | Parfois, on peut avoir un certain complexe par rapport au foot français en Belgique.
"Ah, mais il y a un niveau tout à fait respectable ici, évidemment. Vous l'avez vu l'an passé, avec Lyon-Gand, Anderlecht-Monaco. Pour moi, la Ligue 1, ça ne fait plus rêver. A une époque, quand j'étais à Lille, ça me faisait rêver, avec Canal+, tout ça (sourire)."
42 | Vous êtes plutôt un petit format, on a pu voir que le retour en grâce d'Hatem Ben Arfa a rendu ses lettres de noblesse à ce genre de joueurs en France.
"Quand j'étais à Lyon, il venait d'exploser. C'est l'exemple type de la formation à la française: un joueur technique, qui peut faire la différence. Tactiquement, il a beaucoup progressé aussi, alors que ça l'avait freiné à un moment, tout comme les blessures. Il revient à son meilleur niveau. Il peut faire partie de cinq meilleurs joueurs mondiaux. Pour moi, il ne revient pas en France, mais au PSG. Il n'aurait jamais quitté Nice pour un autre club français. A Nice, il avait le monopole du jeu."
43 | Comme vous, il a su se faire violence en revenant à Nice ?
"Oui, mais moi, c'est différent, car je n'ai pas trop eu le choix, finalement. Il faut aussi savoir qu'il y avait Claude Puel à Nice. C'est comme un second père pour Ben Arfa. Finalement, ce n'était pas un grand club, mais le projet a dû lui plaire, lui qui était en Angleterre. Il a dû se dire qu'il n'avait plus rien à perdre. Et le voila qui met dix-sept buts. Il pouvait partir où il voulait. Paris, c'est comme le Barça, mais à côté de chez lui (sourire)."
44 | Un autre petit format qui a brillé cet été, c'est Antoine Griezmann.
"Pour moi, c'était le meilleur joueur de l'Euro. Il a dû quitter la France après Lyon. Il a pris un risque, mais il a bien tracé son chemin, malgré tout. Il a été bien encadré à la Real Sociedad, ils l'ont poussé jusqu'au bout. Et il a fait la différence par ses qualités. Car au plus haut niveau (je veux dire encore au-dessus de la Ligue 1), les qualités techniques priment. Pas forcément la puissance ou le physique, mais la technique. Regardez les équipes qui vont loin en Ligue des Champions. C'est un foot qui sait se réinventer et ça ne changera pas."
45 | Comment voyez-vous le foot anglais, qui baigne dans l'argent à défaut d'obtenir des résultats ?
"Ah, mais les joueurs y vont pour l'argent et pour le spectacle. Dans le championnat anglais, et c'est une caractéristique qu'on retrouve parfois en Belgique, il n'y a pas de fond de jeu. Ça court, ça fait des passes, des appels, des contre-attaques. Ça va vite, hein ! Mais après, il y a de l'argent là-bas, c'est important aussi."
46 | Vous auriez pu faire un choix "à la Griezmann", avec un départ pour l'étranger assez jeune ?
"Bien sûr. Je n'ai pas de limites. D'un pays à un autre, c'est difficile de s'acclimater. Mais cela doit durer quoi ? Un, deux mois. Au final, c'est du foot, on parle tous la même langue. Je suis vite parti de chez moi, donc, je ne crains pas d'aller ailleurs."
47 | L'Equipe de France, vous y avez pensé à un moment ?
"J'y ai pensé car ceux que je côtoyais à Lyon chez les jeunes y allaient. alors je me disais 'pourquoi pas moi ?' Mais au final, ce n'est pas quelque chose qui me fait rêver. Je me dis que c'est un plus. Pour certains c'est un aboutissement, une consécration. Mais bon, je suis réaliste. Les Bleus, c'est Paul Pogba. Même si c'est vrai que Steve Savidan a été international lui aussi. Le souci, c'est que vers quinze, seize ans, je jouais à un poste, disons, un peu bâtard. Ni vraiment milieu, ni vraiment attaquant. Depuis, j'ai reculé dans le jeu, mais ce n'était pas le cas à l'époque. J'étais un n°10. Or, les Bleuets jouaient en 4-4-2, sans meneur de jeu. J'ai dit 'OK, salut', sans être chagriné. J'étais bien dans mon club, et voila."
48 | Vous êtes jeune, mais semblez très posé, très mature...
"Je l'explique par mon expérience de vie. Même si je ne prétends pas avoir tout vécu, non plus. Mais j'ai déjà subi des déceptions, des choses difficiles. Ça m'a donné une faculté à relativiser les choses. Ça, on l'acquiert on côtoyant des gens, en étant curieux par rapport à ce qui nous entoure. Certains ne veulent rien vivre ou se contentent du foot. Entraînements, SMS, séries, Snapchat, voila, tout tourne autour de ça. Et ça leur va. Je ne blâme personne, si ça leur suffit. Moi, ça ne me suffit pas. J'ai besoin de connaître la personne en face de moi, d'apprendre à me connaître, à connaître autre chose que ce que je vis. Le football, pour moi, ce n'est plus une passion. C'est un plaisir, un travail, mais je ne passe pas mon temps à regarder des matches. J'ai ma femme, ma famille, mes amis. Je passe mon temps avec l'humain. Regardez les gens qui manquent de maturité, ce sont des gens qui ont du mal à s'acclimater à l'humain, qui sont sur leur téléphone, leur ordinateur. Mais ils ratent quelque chose de vital. La maturité, cela vient par la curiosité."
49 | Pour vous, cette maturité, cela vient par un travail personnel, sans qu'il y ait une cause extérieure ?
"Les causes externes, ce sont les choses qu'on vit et surtout comment on les gère. Par exemple, on peut avoir la même expérience vous et moi, l'un de nous va mieux la gérer que l'autre. Mais votre gestion de cet événement est aussi due à la personne que vous êtes. Prenons l'exemple de la mort: un proche meurt. Peut-être que vous allez vous effondrer et votre frère va prendre ça comme une leçon de vie. Le foot, c'est comme dans la vie. Si un joueur expérimenté doit contrôler un ballon dans une situation chaude, il le fera plus sereinement qu'un jeune joueur, car il aura vécu plus de matches. C'est ça qui fait la différence. Pourtant, c'est le même ballon ! Les joueurs évoluent devant 20 000 personnes et peuvent se sentir dépassés. Mais si on est plus âgé, on a déjà fait ça des milliers de fois, on ne va pas réfléchir à tout ça. On va juste contrôler son ballon."
50 | Une bonne fois pour toutes, c'est Julian ou "Joulianne" ?
"'Djoulianne'. Les gens m'appellent Julien, parfois ici (rires)"