Les hommes du titre brugeois
S'ils ont brillé par leur collectif pour remporter leur 15e championnat, cinq individualités ressortent quand même chez les Blauw en Zwart. Décryptage.
- Publié le 14-05-2018 à 15h28
- Mis à jour le 14-05-2018 à 15h37
S'ils ont brillé par leur collectif pour remporter leur 15e championnat, cinq individualités ressortent quand même chez les Blauw en Zwart. Décryptage.
Ivan Leko, le romantisme à la mode slave
Le pari, immense, n’était pas gagné d’avance. Pour remplacer Michel Preud’homme, monument adulé, le Club avait osé confier les rênes de son équipe à l’un de ses anciens joueurs, presque néophyte de la fonction : Ivan Leko. L’intelligent, avisé et passionné jeune Croate a relevé le défi avec une maîtrise de plus en plus consommée. Investi à fond dès le début, il a imposé sa personnalité, par de vibrantes touches répétées et appuyées, sans jamais verser ni dans l’esbrouffe, ni dans l’outrance verbale. Sûr de son fait, totalement investi dans sa mission, il a su marteler ses conceptions avec une conviction de tous les instants, qui a fini par ébranler puis par convaincre les réfractaires aux changements de style.
Ce romantique du ballon rond, comme il se définit lui-même, est un adepte irréductible du football offensif. Il n’a eu de cesse, tout au long d’une saison qui avait débuté par un couac international – une élimination sans gloire dans les qualifications de l’Europa League – de prôner le jeu d’attaque, tissé de préférence par d’amples et vifs mouvements collectifs précis et variés. Jamais Ivan Leko n’a relâché ni son emprise sur ses joueurs dans le vestiaire, ni son empreinte sur le jeu des siens dans les rencontres de championnat.
Mais, plus encore que les assists et les buts de Vormer, davantage que l’épanouissement de Vanaken, l’éclosion de Mechele ou l’efficacité de Diaby, c’est la mentalité jamais défaillante, jamais prise en défaut du groupe tout entier qui a érigé le Club Bruges en meneur incontesté de la Pro League. Cette saison, l’ambiance du vestiaire n’a jamais constitué un problème au Club. Sans réticence, chacun s’est jeté au feu pour son partenaire à tout moment de la compétition. Cette saison, Bruges a fait bloc. Vigilant, Ivan Leko a stimulé sans relâche cet altruisme collectif, sans tolérer le moindre manquement. Ce dépassement de soi permanent qu’a prôné le Croate était son credo. Il l’a mené au Graal.
Nakamba a été... Marvelous
Il incarne la véritable révélation de la campagne victorieuse du Club Bruges. Son transfert atteste la sagacité des scouts brugeois, séduits par l’engagement que Marvelous Nakamba, jeune Zimbabwéen de 23 ans, avait révélé dans son club néerlandais de Vitesse Arnhem, dont il avait porté le maillot pendant 36 rencontres de championnat. À Bruges, le recrutement d’un médian défensif performant s’imposait. Il constituait même la priorité du staff technique, après que la direction eut convaincu Timmy Simons de s’éloigner doucement de l’équipe fanion tout en s’érigeant en chef de meute avisé dans le vestiaire. Nakamba avait été pressenti pour succéder au quadragénaire brugeois.
Cette force de la nature africaine a largement rempli son contrat. Marvelous Nakamba n’a pas débarqué à Bruges en terrain conquis d’avance. Il a d’abord eu la sagesse de solliciter les conseils que son aîné lui prodiguait volontiers et d’appliquer aussitôt ceux-ci sur les pelouses.
Attentif, aussi, aux injonctions de son coach, Nakamba n’a pas tardé à faire totalement oublier Timmy Simons.
Inlassable arracheur de ballons, en apparence jamais émoussé, cet énergique et rageur médian défensif a étalé un extraordinaire volume de jeu, qui a souvent forcé l’admiration de ses adversaires.
Nakamba n’a jamais cherché à déborder de son rôle. Quand il récupérait le ballon, il cherchait aussitôt à servir un partenaire plus apte que lui à amorcer les relances collectives. Son abnégation et son dévouement à la cause commune étaient tels qu’il a souvent donné l’impression d’évoluer seul comme médian défensif.
Confiant dans sa charge de travail, Ruud Vormer a pu ainsi se libérer de quelques tâches défensives pour mieux se consacrer à ses infiltrations rémunératrices. Nakamba n’a jamais faibli. Il a remporté de haute lutte le duel que Clasie a cherché à lui imposer.
Vormer, bien plus qu'un roi des assists
Le jeudi de l’Ascension, sur la pelouse du Mambourg, Ruud Vormer s’est abîmé, quelques secondes, dans une pure extase. D’un magistral coup-franc dans l’angle du but, le spécialiste brugeois des phases arrêtées venait d’égaliser. Pressentait-il que son équipe n’allait pas en rester là ? Fou de bonheur, il a expulsé sa joie en sautant comme un cabri et en invitant, d’un large geste des deux bras, les nombreux supporters brugeois à communier à son euphorie débridée : le titre ne pouvait plus échapper au Club Bruges. Un titre qui est un peu – beaucoup – le sien. Au début de sa quatrième saison brugeoise, pourtant, Ruud Vormer paraissait un peu sceptique. Auréolé de son nouveau statut de capitaine d’équipe, le médian néerlandais n’avait pas adhéré aveuglément à ce 3-5-2 qu’Ivan Leko s’appliquait à imposer à sa formation.
Mais, en parfait relais de son coach, il s’est totalement investi dans le projet. Il n’a pas tardé à s’y épanouir, recueillant un bénéfice personnel – un Soulier d’or amplement mérité – et faisant largement profiter ses partenaires de son altruisme éclairé. Il n’a connu une brève baisse de régime qu’après son sacre individuel, quand un léger phénomène de décompression s’est greffé à un petit problème physique.
Moteur dynamique de sa formation, prêchant d’exemple en permanence sur la pelouse, meneur d’hommes toujours à l’écoute du bon conseil de Simons, qui lui avait cédé le brassard de bonne grâce, Ruud Vormer a réalisé sa saison la plus accomplie, alors qu’il vient de fêter ses trente ans.
Pour la seconde fois depuis qu’il évolue à Bruges, il a participé à tous les matches. Il a inscrit 13 buts et, roi consacré du genre, il a délivré 17 assists. Le plus souvent de sa position de prédilection, celle de faux ailier droit, à proximité ou de l’intérieur du grand rectangle adverse. Oui, ce titre est largement le sien.
Mechele: un sans-faute d'un bout à l'autre
Son attitude, dans le vestiaire, n’a pas évolué : tout en ayant acquis de l’assurance, Brandon Mechele y est demeuré discret, presque réservé. Seul son comportement sur la pelouse s’est métamorphosé, au point que le défenseur central du Club est le seul des trente-deux éléments alignés cette saison par Ivan Leko à avoir disputé l’intégralité des trente-neuf premières journées de compétition. “Brandon incarne, avec Vanaken et Vormer, un de nos trois hommes clés de la saison”, répète à l’envi l’entraîneur croate.
Mechele ne remerciera jamais assez Ivan Leko, alors coach de Saint-Trond, d’avoir cru en lui. L’enfant de Bredene n’avait pas disputé la moindre rencontre la saison dernière quand Bruges le céda, à titre temporaire, au club trudonnaire. Oserait-on prétendre que le Club ne s’attendait plus à ce que son enfant du cru réenfilât, un jour, son maillot? Certainement.
Mais Ivan Leko croyait résolument en lui. Il l’érigea instantanément en titulaire de son équipe limbourgeoise.
Renouant avec la compétition, Mechele y forgea une nouvelle confiance en lui. Il s’affina comme joueur. L’ancien défenseur central un peu lent, limité techniquement, acquit du volume comme patron de la défense, surtout en l’absence, trop fréquente, de Poulain.
Sans peut-être briller individuellement, comme certains de ses équipiers, mais aussi sans jamais fléchir vraiment, Brandon Mechele s’imposa progressivement comme une certitude absolue dans le secteur défensif du Club.
Il eut l’intelligence de ne pas chercher à forcer son talent. Il ne courut jamais aucun risque dans ses relances, qu’il veilla toujours à assurer. Il réussit la plupart de ses tacles défensifs et émergea souvent dans les airs. Le retour au premier plan de Mechele s’inscrit parmi les belles réussites individuelles d’Ivan Leko.
Vanaken, l'artiste altruiste d'un beau collectif
Le tout début de la saison a failli lui faire craindre le pire. Hans Vanaken a entamé les deux premiers matches de la compétition régulière, à Lokeren puis contre Eupen, sur le banc de touche. Il n’y a effectué que deux jonctions de fin de rencontre. Estimant que les deux artistes, trop amateurs du ballon, ne pouvaient évoluer ensemble dans un système qui prônait une reconversion rapide et un pressing vers l’avant, Ivan Leko avait opté pour Lior Refaelov plutôt que pour le longiligne Limbourgeois.
L’expérimentation n’a duré que ces deux matches-là. Vite rentré en grâce, Hans Vanaken n’a pas tardé à démontrer qu’il se fondait à merveille dans le système de jeu préconisé par son entraîneur croate, au point de s’imposer à la fois comme le meneur de jeu du Club mais aussi le parfait auxiliaire et le faire-valoir de ses partenaires dont il valorise la prestation en les engageant toujours aux moments opportuns dans de judicieuses combinaisons. Anthony Limbombe, pour ne citer que lui, ne prétendra pas le contraire.
Figure de proue du jeu brugeois, tout en sobriété, Hans Vanaken n’est pas un individualiste même si personne, au Club, ne domestique ou ne maîtrise le ballon aussi adroitement que lui. Le Limbourgeois préfère se distinguer par une distribution éclairée plutôt que par un exploit individuel. Dès qu’il entre en possession du ballon, il pèse sur le jeu des siens, qu’il ne freine pas mais qu’il oriente avec lucidité, souvent pour décontenancer l’adversaire. Il possède aussi l’art de se démarquer, parfois en se faisant légèrement oublier, pour mieux griffer une réaction ou une offensive.
Jamais émoussé en apparence, Hans Vanaken n’hésite pas à se porter au secours de sa défense quand le cours du match l’exige. Mais il se révèle surtout redoutable à proximité du but adverse: ses 11 assists l’attestent.