Le RSCA sans Europe: les héros mauves de Madrid avaient aussi loupé un ticket européen
Il y a 56 ans, Anderlecht n’était pas inscrit pour la C2 de cette époque. Et donc, la grande équipe de 1962-1963 ne s’était pas qualifiée, comme le Sporting de 2019.
- Publié le 24-05-2019 à 18h41
- Mis à jour le 24-05-2019 à 18h42
Il y a 56 ans, Anderlecht n’était pas inscrit pour la C2 de cette époque. Et donc, la grande équipe de 1962-1963 ne s’était pas qualifiée, comme le Sporting de 2019. Petite consolation pour l’équipe actuelle d’Anderlecht qui n’est pas parvenue à se qualifier pour la Coupe d’Europe. La dernière équipe mauve qui n’avait pas obtenu de ticket européen - celle de la saison 1962-1963 - était l’une des meilleures d’Europe. Mais comment le grand Sporting de cette époque avait-il pu louper l’Europe ?
Après avoir survolé la saison 1961-1962 (9 points d’avance sur le Standard, goal average de 75-29), l’Anderlecht du coach corse Pierre Sinibaldi s’apprête une nouvelle fois à manger la concurrence. Jacky Stockman (29 buts en 1961-1962) est le meilleur buteur du pays, Paul Van Himst (17 ans et 10 buts en 1961-1962) est le Yari Verschaeren de cette période. Tous les bons joueurs sont restés ; le gardien Arpad Fazekas (ex-Bayern Munich) et l’international gantois Richard Orlans (à 30 ans) sont venus renforcer l’effectif.
Le début de saison n’intéresse pas trop les Anderlechtois. Ils ont d’autres chats à fouetter que d’aller jouer au Beerschot (1-1) et au Cercle (1-1). Le premier adversaire en Coupe d’Europe des Clubs Champions (l’ancienne Ligue des champions) est… le grand Real Madrid de Puskas et Di Stefano. Le Real avait gagné les cinq premières éditions de cette compétition, et s’était incliné face à Benfica en finale (3-5), la saison précédente.
Fière de pouvoir affronter les Messi des années ‘60, la délégation anderlechtoise pose devant l’avion qui doit les transporter à Madrid pour ce match de prestige. "Mais nous croyions vraiment que nous pouvions gagner", dit Georges Heylens (77 ans), l’arrière droit. "À l’hôtel, on s’était réunis dans la chambre de Paul Van Himst pour régler les derniers détails tactiques. On devait jouer le match de notre vie. Moi, je m’apprêtais à affronter le grand extérieur gauche Gento."
La suite est connue : 3-3, grâce à un but tardif de Wilfried Puis, décédé à 38 ans des suites d’un cancer. Le spectacle était total, vu que Madrid avait mené 2-0. Le match retour - au Heysel - est plus fermé, mais les 65 000 spectateurs (dont le roi Baudouin et son épouse espagnole Fabiola) n’en croient pas leurs yeux quand Jef Jurion marque le but de la victoire après un une-deux avec Richard Orlans.
"Je n’avais pas de pied gauche", nous raconte Mister Europe. "Mais là, j’avais touché le ballon à la perfection de ce pied gauche. C’est un souvenir magnifique. Connaissez-vous la prime de match ? 5 000 francs, soit 125 euros…"
Comme après chaque grande victoire, l’équipe va fêter l’exploit au restaurant Chez Henry, près de la Grand-Place. Quelques jours plus tard, Anderlecht se déplace à Berchem, le néo-promu. Le Sporting perd 1-0 et dans les semaines suivantes, la même chose se passe à Saint-Trond (3-1) et au Lierse (2-1). La Coupe d’Europe fascine davantage les Mauves, qui éliminent la grande équipe de Sofia et se qualifient pour les quarts de finale de la C1. Mais en championnat, les choses ne tournent pas comme il le faut. "Les primes étaient plus basses en championnat de Belgique qu’en Coupe d’Europe", explique Heylens. "Et c’est en Coupe d’Europe qu’on parvenait mieux à se montrer au sélectionneur de l’équipe nationale, Constant Vanden Stock."
Paul Van Himst a un autre argument pour expliquer les défaites. "Le problème, c’était la tactique parfois trop audacieuse de Sinibaldi, qui venait de l’école de Reims. On jouait à quatre sur une ligne en défense ; le but était de mettre l’adversaire hors-jeu à la ligne médiane. On devait jouer sur la moitié de terrain de l’adversaire. Mais chaque balle dans le dos de notre défense était dangereuse."
Après les défaites contre Saint-Trond et au Lierse, c’est la panique au Château de Beersel, où les joueurs sont en mise au vert à la veille de la visite du Daring. Richard Orlans (88 ans) raconte : "Le gardien Fazekas, avec qui je partageais la chambre, avait une angine et était forfait. Notre autre gardien - Trappeniers - avait une commotion cérébrale. Le numéro 3, le Français Bernard Versini, avait joué en réserves et était déjà rentré à Reims. Et le numéro 4, un jeune Limbourgeois, était introuvable. Sinibaldi m’a désigné comme dépanneur, vu que j’étais l’aîné et que j’avais déjà joué au but dans un championnat amateur. Le stade était comble : il y avait 35 000 personnes. Suite à une mauvaise passe de Hanon, j’avais encaissé le 0-1 du pied d’Andre Assaka, surnommé l’ Assassin . Laurent Verbiest, qui selon moi était plus mobile que Kompany, s’est retourné et m’a dit que les joueurs du Daring ne viendraient plus à mon but. Et c’est ce qui s’est passé. On a gagné 2-1. Le lundi, j’étais l’invité de Lundi Sports . Je crois que c’était l’une des toutes premières interviews de Roger Laboureur."
Anderlecht revient dans le coup, mais l’hiver le plus long et le plus rigoureux enregistré depuis la fin du XIXe siècle (50 000 morts en France !) perturbe le championnat. Pendant treize semaines, on ne jouera pas au football en Belgique. Afin de pouvoir s’entraîner de façon correcte, Sinibaldi emmène ses joueurs à Montpellier. "Mais arrivés là, il a aussi commencé à neiger", sourit Orlans.
Le premier match après la trêve est le quart de finale en C1 contre le Dundee FC : 1-4 au Heysel et 2-1 en Écosse, deux fois contre le cours du jeu. "Sinibaldi aurait mieux fait de visionner les Écossais au lieu de partir à Montpellier", écrivent les journaux.
Heylens : "C’était typiquement Sinibaldi. Il jouait son propre jeu et se fichait de l’adversaire : il ne s’adaptait jamais."
Anderlecht revient toutefois en tête du championnat de Belgique, mais en mai, la crise est totale, après quatre défaites de suite, un record qui ne sera égalé que cette saison-ci en playoffs 1. Van Himst tombe des nues. "Vous dites que nous avons perdu quatre fois de suite ? Avec l’équipe qu’on avait ? Je ne me souviens pas de cela. Impossible !"
Eh oui, cher Paul : 3-1 à l’Antwerp, 0-1 contre le Lierse, 2-0 au Daring et 1-2 contre l’Union. "Il y avait un trop grand écart entre les salaires des jeunes du club comme Cornélis et moi, et les joueurs transférés comme Verbiest et Puis", dit Heylens. "Moi, je m’en fichais, mais un type comme Cornelis n’était pas content. Cela n’a pas été bon pour l’esprit d’équipe. Je me souviens que nous avons dû aller un à un chez le président Albert Roossens, qui nous a bien sermonnés."
Finalement, Anderlecht termine troisième, à sept points du Standard, que le Sporting avait pourtant battu deux fois (4-2 et 0-1). L’Antwerp était deuxième. Tiens, il y avait quand même trois tickets européens à cette époque ? Un pour le champion et deux pour les participants à la Coupe des Villes de Foires, le prédécesseur de l’Europa League ? Seulement, il fallait être inscrit à l’avance. Et Anderlecht… ne l’était pas.
La direction était-elle trop sûre que son équipe allait être championne ? S’agissait-il d’un simple oubli ou alors d’une erreur administrative ? Ou y a-t-il une autre raison ? "Aucune idée", disent nos quatre interlocuteurs.
Et les dirigeants, eux, ne sont plus de ce monde. Les participants à la Coupe des Villes de Foires étaient Gand et le FC Liège, qui atteindra les demi-finales après avoir éliminé Arsenal…
Plus de la moitié de l'équipe est décédée
Plus de la moitié de l’équipe de la saison 1962-1963 est décédée.
- Pierre Sinibaldi Décédé en 2012 à 87 ans
- Jean Trappeniers Décédé en 2016 à 74 ans
- Arpad Fazekas Décédé en 2018 à 88 ans
- Jean Cornelis Décédé en 2016 à 74 ans
- Pierre Hanon Décédé en 2017 à 80 ans
- Laurent Verbiest Décédé en 1966 à 26 ans
- Martin Lippens Décédé en 2016 à 82 ans
- Jacky Stockman Décédé en 2013 à 74 ans
- Jean Plaskie Décédé en 2017 à 76 ans
- Wilfried Puis Décédé en 1981 à 38 ans
- François Konter Décédé en 2018 à 84 ans
- Ils sont encore vivants Paul Van Himst (75 ans)
- Georges Heylens (77 ans)
- Jef Jurion (82 ans)
- Richard Orlans (88 ans)
- Jean-Pierre Janssens (81 ans)
- René Van der Eekt (75 ans)
- Bernard Versini (84 ans)