Théo Collette, plus vieux Diable encore en vie: "Paul Van Himst était bon mais c’était un casse-pieds"
Théo Collette est, à 92 ans, le plus vieux Diable en vie. Il nous raconte son football, celui des fifties. Avec émotion et sans filtre.
- Publié le 19-11-2019 à 06h58
Théo Collette est, à 92 ans, le plus vieux Diable en vie. Il nous raconte son football, celui des fifties. Avec émotion et sans filtre. Comme beaucoup d’autres Belges, Théo Collette sera devant sa télévision ce mardi soir pour encourager les Diables rouges face à Chypre. Il ne rate jamais le rendez-vous. Mais Théo Collette n’est pas un téléspectateur comme les autres : il est le plus vieux Diable en vie. Cet ancien gardien de but du CS Verviers avait connu deux caps. Lors de la saison 1957-1958.
Le 6 novembre, on lui a rendu visite dans sa jolie maison de Visé, entre la Meuse et la frontière néerlandaise, pour fêter son 92e anniversaire. On avait amené le gâteau (rouge, évidemment) et il a sorti la boîte à souvenirs, en compagnie de son épouse Alice. Plongée inédite dans le football des années 50.
Saviez-vous que vous étiez le plus vieux Diable en vie ?
"Non, je l’ignorais. Malgré mes 92 printemps, j’espère garder mon titre encore un petit peu (rires) ."
Vous semblez être en excellente forme.
"On me donne souvent dix ans de moins mais tout le monde va connaître mon âge avec votre article et les bougies sur le gâteau (rires) ."
Alice : "Il n’arrête pas de bouger. Il s’occupe encore du jardin tout seul. Il va aller élaguer les arbres. J’ai peur qu’il tombe mais c’est impossible de le lui interdire. Grâce à ça, il a gardé la même silhouette qu’à sa période de joueur. Il a juste perdu dix centimètres avec l’âge (rires) . Mon mari a été un très bel homme, vous savez. Regardez notre photo de mariage. On dirait un acteur d’Hollywood. On a fêté nos 66 ans de mariage."
Parlez-nous du football des années cinquante. Quelle est la plus grosse différence avec le sport qu’on connaît maintenant ?
"Le ballon ! C’était un vrai ballon de cuir, avec les lacets. Dès qu’il était mouillé, il pesait une tonne. Je vais vous montrer (il part à l’étage et descend avec un ballon de l’époque) . C’était un ballon que j’ai reçu après mon match contre les Pays-Bas car c’était ma première cap. Tous les Diables l’avaient signé mais tout a été effacé avec le temps. Vous voyez la différence de ballon ? Maintenant, les ballons sont tout lisses. J’ai l’impression que ça doit glisser pour les gardiens. Nos ballons étaient plus lourds mais ils tenaient mieux en main. Quand il pleuvait, je mettais des gants qui aidaient."
Et pas quand il faisait sec ?
"Non, je ne mettais pas de gants alors. Les mains étaient habituées, les sensations avec le ballon étaient bonnes."
Les gants de gardien ressemblaient déjà à ce qu’on connaît ?
"Pas vraiment, ils ressemblaient à des gants de travail. Je les achetais dans un petit magasin où je prenais aussi ma tenue."
La tenue n’était pas fournie par le club ?
"Non, on recevait des souliers. Je devais acheter ma tenue. Elle était en laine. Je me sentais bien dedans et je la prenais aussi en équipe nationale. Là, il y avait un maillot disponible pour le gardien mais je préférais le mien. J’avais mis un numéro 1 derrière et c’était bon."
Le rôle du gardien a beaucoup changé ?
"Ce qui me frappe le plus, c’est que les gardiens de maintenant ne plongent plus dans les pieds. Ils y vont les pieds en avant. Nous, on plongeait tête la première dans les jambes de l’attaquant. Si on y allait avec les pieds, c’était penalty à tous les coups."
Ça devait être dangereux.
"On prenait le risque. J’ai déjà eu quelques coups. Une fois, j’ai eu toutes les dents cassées. Et le pire, c’est que c’était par un équipier qui tentait de dégager le ballon (rires) ."
Vous étiez quel style de gardien ?
"Un de mes équipiers a dit un jour lors d’une soirée retrouvailles qu’il fallait regarder Jean-Marie Pfaff et imaginer l’exact contraire (rires) . J’étais un gardien sobre. Le show, qu’est-ce que ça paie ? Je préférais capter le ballon convenablement. Pfaff, je l’ai toujours pris pour un clown. Je préfère quelqu’un comme le jeune de maintenant."
Thibaut Courtois ?
"Oui, il est grand et sobre."
La Deuxième Guerre mondiale a éclaté quand vous aviez 12 ans. Quel souvenir en gardez-vous ?
"Mon père tenait un restaurant à Visé et on est parti près de Dunkerque. C’était le point de ralliement de tous les Visétois. On avait la trouille des Allemands, surtout mon père qui avait été prisonnier en 14-18. Il a repris son restaurant après. Comme il avait travaillé au palais royal plus jeune, le roi Albert Ier venait parfois en moto jusqu’à Visé avec son aide de camp pour dire bonjour. Je n’ai repris le football à Visé qu’après la guerre."
Parlez-nous de votre carrière.
"J’ai commencé chez les adultes vers 16 ans puis on m’a transféré à Tilleur. J’aurais pu aller au Football Club Liégeois mais il y a un quiproquo et ça ne s’est pas fait. J’ai vraiment commencé à jouer à Verviers, en D2. On est monté directement et on a joué la finale de la Coupe de Belgique (NdlR : battu par Tournai) la même saison. J’ai fait sept années à Verviers, même quand l’équipe est redescendue. C’est quand j’étais à Verviers que j’ai été repris en équipe nationale."
Vos voisins savent que vous avez été Diable ?
"Oh non, je n’en parle jamais, même avec mes fils. J’ai des souvenirs du foot un peu partout dans la maison mais je ne les regarde jamais."
Vous êtes resté dans le foot après votre carrière ?
"J’ai entraîné à Visé mais ça n’a duré qu’une demi-saison. L’équipe était en Provinciales au début des années 60. J’avais beau gueuler, les joueurs n’écoutaient rien. Une drôle de mentalité ; ils ne voulaient pas se fatiguer. J’étais plus crevé qu’eux après un entraînement. À mi-saison, j’ai dit que c’était fini. Je me suis lancé dans la voile. On a un bateau ; cela permet de voyager avec ma femme Alice, mes deux enfants et mes quatre petits-enfants."
Alice : "Tu as quand même rejoué au football jusqu’à presque 60 ans."
"Ah oui, je jouais une fois par an un match pour l’hôpital du CHU où Alice travaillait. Les neurochirurgiens contre les anesthésistes (rires) ."
Alice : "Grâce à lui, les neurochirurgiens gagnaient chaque année. Des semaines avant, ils me demandaient : ‘Est-ce que ton mari viendra aussi cette année ? ’ C’était drôle."
Le football permettait de vivre à l’époque ?
"C’était semi-professionnel, sauf à Anderlecht et au Standard où il y avait de vrais professionnels. À Verviers, on travaillait tous à côté. On s’entraînait le soir, trois fois par semaine. Cela ne servait à rien de faire plus de séances car beaucoup avaient des métiers très durs. Il ne fallait pas les crever encore plus. Moi, je travaillais dans un bureau à Cockerill. Ça prenait pas mal de temps et j’ai dû arrêter les Diables à cause de ça."
Vraiment ?
"Oui, j’ai donné ma démission à l’Union belge, ça signifiait que je ne pouvais plus être sélectionné. Mon directeur trouvait que ça prenait trop de temps. Il m’avait bien fait comprendre que j’avais intérêt à être disponible plus souvent… C’était un bonhomme assez strict. Je ne pouvais pas prendre mes congés quand je voulais. Je ne pouvais pas me permettre de perdre mon emploi. Je n’ai donc eu que trois sélections. C’est dommage car j’aurais pu continuer, même s’il y avait le jeune Jean Nicolay qui commençait à se faire un nom au Standard. Je n’ai pas raté de grands tournois car il n’y avait pas encore d’Euro (NdlR : le premier en 1960) et on ne se qualifiait pas pour le Mondial à l’époque."
Le salaire à Verviers et les primes en équipe nationale n’étaient pas suffisants pour faire vivre une famille.
"Oh non. À Verviers, on avait tous exactement la même chose. C’était surtout des primes de match et d’entraînement. Mais bon, ça permettait de payer le carburant et de boire un verre après. En équipe nationale, ce n’était pas énorme non plus. Regardez, j’ai encore un reçu de l’époque. Pour trois matchs contre la Suisse, l’Allemagne et les Pays-Bas, j’avais touché 6 000 francs (150 €). C’était bien mais tu ne jouais pas non plus tous les jours en équipe nationale."
Le sélectionneur était le Hongrois Geza Toldi quand vous avez été repris.
"Qui ? Je ne me souviens plus bien des noms, vous savez. Un Hongrois ? Ça me dit quelque chose mais je ne peux rien vous dire de plus."
Vous aviez arrêté l’équipe nationale juste avant que Constant Vanden Stock devienne sélectionneur.
"Ah oui, c’est vrai mais je ne l’ai pas connu."
En parlant de coach, vous avez connu Robert Waseige ?
"Oui, c’était le petit jeune qui commençait à percer au Football Club Liégeois quand j’étais sur la fin de ma carrière. Je m’entendais bien avec Robert, même si on était adversaires."
Il y avait trois grandes vedettes qui s’annonçaient vers la fin de votre carrière. La première, c’était Roger Claesen.
"Il était de Visé, comme moi. On s’entendait bien, même s’il était au Standard. Un vrai bon camarade. Et pourtant, je ne buvais jamais et lui (rires) ... Il connaissait bien le Carré à Liège hein. Et c’était un très bon attaquant."
Il y avait aussi Paul Van Himst.
"Il était fort mais c’était un casse-pieds…"
Aline : "Van Himst se laissait tomber dans le rectangle sans qu’on le touche. Et Théo n’acceptait pas ça."
"Oui, il m’a déjà bien eu. Sans que je ne le touche sur une sortie, il s’écroulait et penalty. Maintenant, tous les joueurs font ça mais à l’époque, ça n’existait pas. Il y avait quelques rares gars, genre Van Himst, qui faisaient ça."
Et enfin, Wilfried Van Moer.
"Un bon joueur au milieu. Pour cette époque-là en tout cas. Pareil avec Rik Coppens que j’ai eu comme équipier chez les Diables. Je me demande parfois si tous ces bons joueurs de l’époque auraient pu jouer dans le football de maintenant. On accroche beaucoup plus, on tire le maillot… C’est tout juste si tu ne reçois pas un coup de poing à chaque duel de la tête. C’était beaucoup plus respectueux à mon époque."
Vous prenez du plaisir à suivre le football actuel ?
"Je regarde tous les matchs mais ça m’énerve des fois. Déjà, je n’arrive pas à suivre avec ces joueurs qui changent d’équipe tout le temps. D’une année à l’autre, les clubs changent la moitié du noyau et on ne s’y retrouve plus. De notre temps, on était dans un club et on ne savait pas partir. Tu pouvais danser sur ta tête, tu restais tant que le club n’était pas d’accord. L’amour du maillot a disparu aujourd’hui. Moi, quand le CS Verviers a disparu, j’avais mal au cœur."
Qu’est-ce qui vous énerve aussi ?
"Il y a une autre mentalité que celle que je connaissais. C’était des amis qui jouaient ensemble. Maintenant, j’ai l’impression que certains joueurs évitent certains de leurs équipiers, même s’ils sont démarqués. Il y a beaucoup d’individualisme. L’argent a changé beaucoup de choses, je crois. C’est devenu un business. Je n’ai pas gagné beaucoup d’argent mais je me suis sans doute beaucoup plus amusé que les footballeurs de maintenant."