Roberto Martinez, le Catalan british qui est entré dans le coeur des Belges
- Publié le 14-07-2018 à 11h26
- Mis à jour le 14-07-2018 à 18h18
Le sélectionneur des Diables, qui a célébré ses 45 ans ce vendredi à Saint-Pétersbourg, a été marqué par l’influence du Barça de Johan Cruyff puis par celle du football british. Portrait d’un bosseur qui aime le jeu avant tout le reste.
"Ce qui compte, ce sont les joueurs, pas moi." Roberto Martinez n’aime pas parler de lui. Aux questions sur ses sentiments personnels ou sur son vécu, il ramène inlassablement la discussion vers les Diables. Il n’est pas du genre à se vanter de ses expériences passées. Voilà qui nous change de Marc Wilmots ou de Georges Leekens… Malgré cette modestie, l’Espagnol vient de montrer sa valeur de tacticien aux yeux du monde entier durant ce Mondial. Des compétences acquises grâce à certaines influences marquantes.
La première d’entre elles, de loin la plus importante, a été celle de son père. Footballeur amateur prénommé… Roberto, il a bourlingué dans les divisions inférieures d’Espagne jusqu’en D3, pour terminer sa modeste carrière de joueur dans la petite ville catalane de Balaguer. Dès ses deux ans, Roberto junior commençait à suivre son père sur tous les terrains et à taper dans le ballon.
Amor, la mère de famille, ne s’est jamais plainte de son sort de femme entourée de footeux. Elle raconte : "Jeune homme, Roberto avait invité une petite amie à la maison. Je lui ai dit : tu es la bienvenue, mais si tu veux entretenir une relation avec lui, tu dois savoir quelles sont les trois choses les plus importantes pour nous. Un : le football. Deux : le… football. Et trois : la famille. Quand tu te maries avec un camionneur, tu sais que ton mari peut partir toute la semaine et que tu seras seule avec les enfants. Avec Roberto, ce sera pareil. Il ne compte pas ses heures…"
Un tel contexte familial a fait naître, très tôt, de hautes ambitions. "Quand il avait sept ans, Roberto nous l’avait dit : je ferai carrière dans le foot, se souvient Andreu Martinez, un membre de la famille. Je l’ai cru tout de suite."
Premier salaire, fausse Rolex et faux diamant
Ces ambitions n’ont pas tardé à se concrétiser. A 16 ans, le fils prodige est repéré par le club d’élite de Saragosse, qui lui offre un contrat pro. "Le jour de son départ, j’ai pleuré", se souvient son père. Roberto sait ce qu’il doit à ses parents. Avec son premier (modeste) salaire de joueur, il leur offre un faux diamant et une fausse Rolex. Qui seront remplacés par des versions authentiques plusieurs années plus tard.
Les Martinez ont les pieds sur terre : voilà ce qui pousse Roberto à s’inscrire, en parallèle au football, à l’université de Saragosse, où il étudie la physiothérapie. "J’ai toujours cru qu’on avait seulement 40 % de son futur en mains et que pour devenir un meilleur joueur, c’était important de découvrir d’autres horizons", observe-t-il dans sa biographie publiée en 2008, "Kicking Every Ball".
"Cela a été dur pour moi de combiner mes études universitaires et le football de haut niveau. Mon père m’avait mis en garde : ce n’est pas parce que tu as signé un contrat dans un club de Liga que tu es arrivé à tes fins ! Tu devras continuer à étudier ! Je lui ai promis que je resterais concentré sur mes études et que je ne boirais pas…"
Chose promise, chose due : Roberto Martinez a gardé aujourd’hui cette habitude de ne jamais boire une goutte d’alcool et a décroché son diplôme. Sur le terrain, la tâche semblait moins facile, le médian défensif se hisse jusqu’en équipe première de Saragosse, pour y disputer ses 35 premières minutes face à l’Atletico Madrid, le 20 juin 1993. "Du jour au lendemain, je me retrouvais à côté de joueurs que j’avais admirés. Les visages de mes albums Panini étaient devenus ceux de mes équipiers…" Mais le conte de fées en Liga s’arrête là pour Martinez. La saison suivante, il n’est plus convoqué en équipe première. A l’âge de 20 ans, il décide de reculer pour mieux sauter : direction sa ville natale de Balaguer, en D3.
Coacher en Angleterre à 33 ans, l’idée folle
En marge de sa carrière de joueur, Roberto s’est très tôt intéressé à l’aspect tactique du football. Il se souvient précisément des racines de cette passion : "Quand mon père jouait encore, on discutait beaucoup des choix de ses entraîneurs, se souvient-il. On débattait du contenu des matches que nous regardions à la télévision. Dans ces moments-là, la maison aurait pu brûler : nous étions absorbés ! Il me disait de quelle façon il voulait que le Barça joue, je lui donnais mon opinion sur la tactique Saragosse… Cela m’a beaucoup aidé à comprendre le jeu. Quand j’étais frustré par l’un de mes résultats, je me relaxais en… regardant d’autres matches. J’étais fasciné de voir comment les joueurs et les entraîneurs réglaient leurs problèmes de jeu."
Sa première mission d’entraîneur, il l’endosse au CF Balaguer à l’âge de 20 ans, pour coacher des jeunes. Sa motivation ? Eviter le service militaire, qui pouvait être remplacé par une mission à utilité sociale… Avec ses joueurs, l’apprenti coach a l’occasion de rencontrer un joueur phare du FC Barcelone, qui deviendra plus tard un très grand entraîneur : Pep Guardiola. Les Blaugranas de l’époque marqueront à jamais l’amateur de football qu’est Martinez. C’est le Barça de Johan Cruyff, qui faisait passer la beauté du jeu avant tout le reste. Joli coup de pouce du destin : quelques années plus tard, en Angleterre, Roberto deviendra le meilleur ami de Jordi Cruyff, le fils de Johan. "Roberto est un amoureux du beau jeu qui s’est inspiré de gars comme Guardiola ou mon père, observe Jordi Cruyff. D’ailleurs, quand Roberto parle de foot, j’entends les mots de mon père. Pour eux, le football est un moyen d’expression, selon une approche offensive et dominante."
Tout Catalan qu’il est, le sélectionneur des Diables ne serait pas devenu l’entraîneur qu’il est s’il était resté toute sa carrière au pays. A 22 ans, il s’est lancé dans une aventure tout à fait inattendue : il a été l’un des premiers joueurs espagnols à débarquer dans le football anglais, à Wigan, en D3. Il parvient à atteindre la sacro-sainte Premier League, avec le club gallois de Swansea. C’est là, à seulement 33 ans, qu’il démarre sa carrière d’entraîneur principal. L’idée d’offrir le costume d’entraîneur à son médian défensif était celle de Huw Jenkins, le président de Swansea. Beaucoup le traitent de fou : un Espagnol entraîneur au Royaume du kick and rush ? God damn it, ça ne pouvait pas fonctionner… "On se réunissait parfois dans mon bureau en fin de soirée pour parler de football durant des heures. Le mec pensait au football sans cesse. J’ai rarement vu un travailleur pareil. C’est une éponge, un gars qui prend un maximum d’informations et qui fait le tri. Il avait ses idées et n’en dérogeait pas. Il sait ce qu’il doit faire pour gagner et le fait sans trahir ses idées", narre Jenkins.
800 000 euros annuels plutôt que 40 millions en Chine
Voilà la plus grande force de Roberto Martinez : il a une philosophie de jeu très claire, basée sur la possession espagnole et l’intensité anglaise, mais il a eu l’intelligence de l’adapter au fil du temps. C’est ce qui lui a permis de briller à la tête de Wigan puis d’Everton, qu’il a propulsé dans le subtop anglais. Mais en 2016, sa méthode se heurte à un premier obstacle, douloureux : une certaine usure s’est installée et il est mis à la porte du deuxième club de Liverpool, faute de résultats.
Les pistes de rebond ne manquent pas. Il est notamment contacté par Anderlecht. Mais aussi par un club chinois, qui lui offre un pont d’or : "Il a refusé une offre de 40 millions. C’est tout à son honneur", confie son père.
Au lieu de cela, Roberto Martinez postule pour le poste vacant de sélectionneur de l’équipe nationale belge, pour un salaire de 800 000 euros brut annuels. Des broutilles, aux normes du football anglais dont il provient. Devant le Comité exécutif de l’Union belge, il marque les esprits avec un discours extrêmement ambitieux : "Les Diables Rouges peuvent être champions du monde." Les dirigeants sont convaincus. L’ère Martinez peut débuter.
Enfermé dans la maison de verre
Dans sa première semaine de travail, le nouveau sélectionneur connaît une petite mésaventure : il est… enfermé dans les locaux de l’Union belge, dont les employés ne sont pas vraiment habitués à travailler après 20 h… Sur le terrain, le travail méthodique de l’Espagnol apporte très vite ses fruits : jamais les Diables n’ont été aussi productifs offensivement. En dehors, Martinez tarde à faire l’unanimité auprès du public et des observateurs. C’est l’école anglaise : il maîtrise très bien l’art de tourner autour du pot pour éviter les sujets délicats.
Le scepticisme autour de Roberto Martinez atteint son apogée le 21 mai 2018. Il annonce la non-sélection de Radja Nainggolan, chouchou du public, pour "des raisons tactiques". Réseaux sociaux aidant, le débat atteint une ampleur jamais vue pour un joueur non repris.
Moins de deux mois plus tard, tout a changé. Le 6 juillet, le sélectionneur sort de son chapeau le plus gros coup tactique du tournoi pour éliminer le Brésil, signant l’un des plus grands exploits de l’histoire du sport belge. Il évoque sa prise de risque, presque du bout des lèvres : "Contre le quintuple champion du monde, tu ne peux pas arriver sur le terrain et espérer te qualifier comme ça, sur un coup de chance. Il fallait tenter quelque chose tactiquement." Avant de revenir, comme toujours, à ses joueurs : "La façon dont ils ont tenu à la pression était incroyable. Je suis très fier d’eux."
Ces éloges, répétés depuis bientôt deux ans, doublés de ses compétences tactiques, ont rendu Roberto Martinez très populaire auprès de ses joueurs. Le public a été plus difficile à convaincre. Mais après cette campagne inoubliable en Coupe du monde, c’est une évidence : Roberto Martinez a définitivement gagné le cœur des Belges.