Il ne faut pas tenter le Diable trop jeune!
Leander Dendoncker, Youri Tielemans ou Thimothy Castagne, associés avec les Diables contre la Russie, ont attendu de s'affirmer en D1 belge avant d'effectuer le grand saut vers l'étranger. Des exemples à suivre?
- Publié le 22-03-2019 à 17h01
- Mis à jour le 22-03-2019 à 17h02
Leander Dendoncker, Youri Tielemans ou Thimothy Castagne, associés avec les Diables contre la Russie, ont attendu de s'affirmer en D1 belge avant d'effectuer le grand saut vers l'étranger. Des exemples à suivre?
Quel est le point commun entre Thibaut Courtois, Timothy Castagne, Leander Dendoncker, Youri Tielemans et Michy Batshuayi, cinq des Diables titulaires qui ont vaincu les Russes? Ils ont tous débuté leur carrière chez les pros en D1 belge... avant d'être aujourd'hui de beaux produits d'exportation de notre équipe nationale.
"La performance des médians aujourd’hui, c’est un message pour le foot belge. Il faut partir à l’étranger quand c’est le moment de le faire. Vous avez vu aujourd’hui qu’ils ont progressé petit à petit. Ils étaient prêts pour passer ce cap. On a beaucoup de jeunes talents. Je pense que c’est mieux de se développer en Belgique et de ne pas partir trop tôt", a lancé Roberto Martinez, au micro de la RTBF, après le succès des Diables contre la Russie (3-1). Le sélectionneur des Diables, qui porte aussi la casquette de directeur technique de la fédération, est dans son rôle.
Il peut ajouter, pour confirmer ses dires, les exemples de Kompany, Lukaku, De Bruyne, Witsel, Fellaini... qui se sont tous révélés en Jupiler Pro League, avant de tenter leur chance, avec succès, à l'étranger. Et si l'on regarde de plus près le profil des Diables actuels qui n'ont jamais foulé les pelouses de notre D1A, on remarque qu'ils ont souvent été formés tôt hors de nos frontières, comme Eden Hazard. En fait, il serait dangereux pour un jeune talent belge, séduit par des sirènes étrangères au sortir de son adolescence, de s'expatrier. C'est en tout cas ce que démontre une étude de l'université d'Anvers...
La valeur attend le nombre des années
Denis Odoi a attendu ses 30 ans pour s’imposer en Premier League, deux ans après avoir quitté la Belgique. Un exemple à suivre pour nos talents attirés très jeunes par l’Angleterre…
Denis Odoi a débarqué en Angleterre en juillet 2016. Après deux saisons mitigées à Anderlecht (47 matches disputés, mais 2 titres de champion à son palmarès), le Louvaniste s’était parfaitement relancé à Lokeren : 130 matches en 3 campagnes, avec une Coupe de Belgique (2014) remportée. Et à 28 ans, il était armé pour tenter l’aventure à l’étranger. Fulham a déboursé 1 million d’euros au Sporting waeslandien pour attirer le défenseur à Londres. Après deux belles saisons de Championship, la promotion en Premier League n’a pas effrayé Odoi, installé dans la défense des Lilywhites : 28 matches cette saison, dont 27 titularisations ! Une bien belle réussite pour le désormais trentenaire, qui, à 16 ans, se prédestinait à des études de prof de gym quand l’un de ses éducateurs anderlechtois lui avait prédit : "Tu ne deviendras jamais footballeur professionnel".
Un exemple à méditer à l’heure où l’on aime brûler les étapes, et où les jeunes footballeurs belges de nos centres de formation sont souvent tentés de partir tôt tenter leur chance à l’étranger…
Ce qui n’est pas gage de réussite future, comme vient de le démontrer une étude de l’Université d’Anvers, en collaboration avec Stirr Associates (à lire ICI). Les conclusions de cette enquête Quantifying a youth transfer’s impact on talent development ( Quantifier l’impact des transferts des jeunes talents sur leur développement), réalisée par Laurenz Van Looveren, Matteo Balliauw et Suncica Vaujic, sont sans appel : les jeunes joueurs qui restent en Belgique ont plus de chances de réussir une meilleure carrière que ceux qui partent tôt en Angleterre.
Les chercheurs anversois dressent d’abord un bilan : 38 footballeurs belges mineurs ont été transférés à l’étranger en 2016. Grâce aux bons résultats de nos Diables, nos talents sont recherchés, et, jeunes, sont plus abordables financièrement. Pour les joueurs, quitter la Belgique s’accompagne de meilleures conditions financières. Entre 2005 et 2018, les chercheurs anversois ont suivi les développements de 83 jeunes footballeurs belges en fonction du pays dans lequel ils étaient actifs. Et leurs conclusions affirment donc qu’un exode précoce est néfaste…
"Les chiffres que nous avons obtenus auprès de la société néerlandaise SciSports montrent que vous mettez votre carrière en danger si vous partez trop tôt. Les chances d’atteindre le noyau de l’équipe première sont moindres. Et c’est néfaste en termes de valeur marchande et de salaires, mais également en termes de performance et de développement sportifs", explique Matteo Balliauw.
Ce constat est particulièrement criant pour nos talents partis tôt en Angleterre. En moyenne, les 17 Belges présents en Premier League actuellement sont arrivés au Royaume-Uni alors qu’ils avaient environs 23 ans. Seuls Lukaku (18 ans) et Origi (19 ans) se sont expatriés jeunes, mais en ayant déjà évolué en première division (à Anderlecht pour Romelu, à Lille pour Divock).
"De nombreux jeunes joueurs se laissent séduire par les clubs anglais à cause des propositions financièrement intéressantes, mais il s’avère que ce n’est pas un bon choix à long terme", a confié l’ancien footballeur Stijn Francis, reconverti manager, à HLN. L’actuel conseiller du Standardman Zinho Vanheusden sait de quoi il parle : le défenseur des Rouches avit quitté l’Académie Louis-Dreyfus à 16 ans, pour rejoindre les U17 de l’Inter Milan. Mais c’est au Standard qu’il s’est imposé, cette saison, comme titulaire en D1, prêté par le club italien. Même si, dans le cas présent, une grave blessure avait freiné son éclosion milanaise…
Et les contrats proposés par des clubs étrangers aux jeunes belges s’accompagnent d’ailleurs aussi parfois d’un job pour les parents…
Pour étayer sa thèse, l’étude anversoise compare les carrières de Youri Tielemans et Charly Musonda Jr, deux produits de l’école des jeunes d’Anderlecht, nés à sept mois d’intervalle. Le premier a fait toutes ses classes chez les Mauves, le second a succombé aux sirènes anglaises lorsqu’il avait 15 ans, en rejoignant l’académie de Chelsea. Tielemans a disputé ses premières minutes en équipe première à 16 ans, avec le RSCA, et s’est vite installé dans la peau d’un titulaire. Musonda a dû atteindre ses 20 ans bien sonnés pour débuter avec les A, sans jamais s’y imposer. Diable Rouge, Tielemans joue désormais à Leicester, en PL, après un passage à Monaco. Il est titulaire en Premier League. Jamais appelé en équipe nationale, Musonda espérait enfin éclore en EreDivisie, au Vitesse Arnhem, mais une blessure au genou ne lui a pas encore permis d’aider le troisième club où Chelsea l’a prêté. La valeur de Tielemans est estimée à près de 50 millions d’euros (selon l’observatoire du foot CIES), celle de Musonda à 3 millions (selon transfertmarkt)…
Denis Odoi : "Je préfère reculer pour mieux sauter..."
Denis Odoi est légitimement fier de s’être imposé en Premier League à 30 ans, mais il ne souhaite pas faire de son cas particulier un cas d’école : "Il est dangereux de conclure qu’on ne réussit pas en partant tôt en Angleterre. Chacun a son propre chemin. Le seul souci au Royaume-Uni est la puissance financière des équipes. Il y a tellement de moyens en Premier League qu’une équipe va souvent préférer acheter un joueur plutôt que de lancer un jeune. Ou alors il faut vraiment sortir du lot. Et comme les jeunes joueurs veulent toujours tout et tout de suite, ils n’ont pas toujours la patience nécessaire. Ils veulent arriver au sommet le plus rapidement possible et les choix ne sont pas toujours judicieux."
Mais vu les contrats parfois proposés, il est souvent compliqué de garder les pieds sur terre.
"Je peux comprendre que certains joueurs et leur famille soient tentés par un passage en Angleterre vu les salaires que reçoivent certains gamins", avoue le Louvaniste. "La solution n’est pas toujours idéale mais c’est parfois difficile de dire non. Moi, je suis un partisan de reculer pour mieux sauter."
À l’image de son plan de carrière, alors qu’il fut membre des académies, réputées, anderlechtoise et genkoise : "Jeune, j’ai pris le pli de redescendre en D2 (NdlR : à OHL) pour gravir progressivement les échelons. Mon grand pote Dries Mertens en a fait de même en signant à AGOVV Apeldoorn et regardez où il en est. À 18 ou 19 ans, un joueur doit être sur le terrain et contre des adultes. Pas en U23 ou U21. Il doit se frotter à des gars de 25-30 ans. Quand je vois la réserve chez nous, à Fulham, il y a du talent, mais c’est encore trop gentil dans les passes et dans l’impact. C’est du football de jeunes. Il faut jouer avec des adultes, c’est ça qui forge un joueur. Quitte à ce que ce soit à un niveau inférieur…"