Graeme Jones, T2 de Martinez: "Je vais me forcer à ne pas chanter le 'God Save The Queen'"
Le T2 de Roberto Martinez, Graeme Jones, est un Anglais dans l’âme : "Mais ici, seule la Belgique m’intéresse"
- Publié le 26-06-2018 à 06h48
Le T2 de Roberto Martinez, Graeme Jones, est un Anglais dans l’âme : "Mais ici, seule la Belgique m’intéresse".
Juillet 1996. Dans le vestiaire du club de Third Division anglaise - Wigan Athletic - le médian catalan Roberto Martinez salue la nouvelle recrue du club, l’attaquant anglais Graeme Jones. Une histoire d’amour professionnelle se crée entre les deux hommes pourtant totalement différents. Ils ne se quittent plus à partir de 2007, quand Martinez le nomme T2 à Swansea.Onze ans plus tard, les deux hommes s’apprêtent à affronter l’Angleterre en Coupe du Monde avec la Belgique. Le match est surtout particulier pour Jones. Pendant des années, il a été un fan acharné de l’équipe nationale.
"Tout a commencé en 1984 lors d’un match entre l’Angleterre et l’Allemagne de l’Est (1-0) à Wembley", raconte Jones (48 ans), un gars super sympa. "J’avais 15 ans et j’avais été sélectionné pour être ramasseur de ballons. En suivant les joueurs qui montaient sur le terrain et en entendant les chants des fans et l’hymne national, j’avais la chair de poule. À la fin du match, j’ai su gratter le brassard de capitaine de Bryan Robson, le seul buteur du soir. Je me disais qu’un jour, je jouerais pour l’Angleterre."
N’ayant pas atteint la Premier League anglaise, Jones n’a pas su réaliser son rêve. Mais son sentiment de patriotisme n’a jamais disparu. "Oui, je connais le ‘God Save The Queen’ de A à Z par cœur."
Et la Brabançonne ? "Euh, pas vraiment… Je sais juste que le rythme de la mélodie monte sur la fin, parce que je vois Courtois se faire encore plus grand. Cela me fait toujours rire."
Jeudi soir, une grande partie du stade de Kaliningrad va chanter l’hymne anglais. "Mais pas moi", nous garantit Jones. "Par respect vias-à-vis de mon employeur. Ce sera dur, mais je m’y tiendrai. Je représente la Belgique, pas l’Angleterre. C’est comparable à une visite à Anfield en tant que T2 d’Everton. Quand le ‘You’ll Never Walk Alone’ résonne, tu as envie de le chanter, mais tu ne peux pas."
La famille de Jones était déjà à Moscou et sera probablement présente à Kaliningrad. Ses fils auront des sentiments mitigés. "Heureusement, nous sommes tous les deux qualifiés. Même si ici, seule la Belgique m’intéresse. Mes fils soutiennent l’équipe de leur père. Ils ne sont pas si patriotiques que moi, parce qu’ils n’ont pas connu la grande époque de l’Angleterre. Dans ma jeunesse, les Anglais jouaient toujours les quarts de finale de Coupe du Monde."
Comme en 1990, quand Platt a assommé les Belges au Mondial en Italie. Jones : "Quand Scifo a frappé sur le poteau, on était dans les cordes. Platt nous a sauvés, après un coup franc en pichenette de Gascoigne. J’avoue que je suis devenu fou après ce but. Désolé…"
"Du foot à la télé, sur son pc et sa tablette"
Quand Martinez et lui se voient à Waterloo, ils ne parlent que d’un sujet
Jones et Martinez ne sont pas seulement des collègues, mais de vrais amis. "Quand on jouait à Wigan, il m’invitait chez lui, pour que je ne doive pas faire 500 kilomètres par jour entre Newcastle et Wigan. On ne parlait que de football."
Ensemble, ils ont gravi les échelons en tant que duo d’entraîneurs. Après Swansea, Wigan et Everton (où ils ont remporté la FA Cup), ils ont accepté le défi belge. "On habite tous les deux à Waterloo. Lui avec sa famille, moi seul, parce que mes fils vont à l’université à Manchester. Quand je passe chez Roberto pour boire une tasse de thé, il regarde à la fois du foot à la télé, sur son PC et sur sa tablette."
Bref : Martinez est un obsédé du football. "Pendant le stage et lors de cette Coupe du Monde, 95 % de nos discussions traitent de football. Et quand je ne veux plus parler de foot, je vais dans ma chambre (rires)."
Et dire qu’au début, les deux hommes avaient une opinion complètement différente du football. "Il avait l’habitude d’utiliser ses pieds, moi j’utilisais les coudes (rires). Ma philosophie anglaise était qu’il fallait être le plus fort physiquement et le plus rapide pour gagner. Lui, il m’a appris l’importance d’une bonne tactique."
Le président Gérard Linard le soulignait lors de notre interview (lire par ailleurs) : aussi bien Martinez que Jones sont d’énormes bosseurs. "Je n’arrête pas de voyager" , confirme Jones. "En avril, je me souviens d’une semaine avec sept matches : en Italie, en Espagne, en Belgique et en Angleterre. Mais j’adore ce que je fais. C’est un privilège. Le football, c’est ma vie."
Jones ne voit pas beaucoup d’autres coaches fédéraux ou adjoints lors des matches. "Ils font des analyses de chez eux" , dit-il. "Moi, je trouve qu’on voit plus dans un stade. Gareth Southgate (le coach anglais) , par contre, est souvent au même match que moi. On a fait la Licence Pro ensemble. Son équipe n’a plus de secrets pour nous. Mais il connaît notre équipe par cœur aussi."
"J'avais le style de Benteke"
Jones a croisé Gascoigne, Valgaeren et un ex-prisonnier dans sa carrière
Jones a finalement eu une belle carrière de joueur. "J’étais un grand supporter de Newcastle (en D2 en 1983) avec mon idole Keegan, mais aussi avec Waddle et Beardsley", dit Jones. "À 14 ans, j’ai été invité par Newcastle pour un test de 18 mois. Finalement, c’est Milwall, club de Londres, qui m’a proposé une formation."
Entre-temps, il avait fait la connaissance de l’enfant terrible… Paul Gascoigne. "Il était dans le même boy’s club (une sorte d’école de formation, NdlR) que moi, le Redheugh Boys’Club. Il était déjà fou. Il sautait déjà du minibus pour se battre avec le jardinier. Pendant l’été de 1985, je l’ai vu sprinter sur des collines avec un coach d’athlétisme. Pendant huit semaines. Sans alcool, sans sorties. Soudainement, il est devenu un joueur puissant et phénoménal."
Jones a dû débuter sa carrière dans des divisions inférieures. "Je combinais le football avec des autres jobs. J’ai travaillé comme facteur. Mais à force de distribuer des lettres pendant cinq heures, j’étais fatigué au moment du match. J’ai aussi travaillé dans l’enseignement."
Son passage à Doncaster Rovers, à 23 ans, a été un tournant dans sa carrière. "J’ai commencé à faire de la muscu avec Jamie Lawrence, qui avait fait 2,5 ans de prison pour un hold-up armé, avant de devenir joueur pro, notamment à Leicester. En prison, il n’avait fait que bosser avec des poids. Moi, j’ai pris 12 kilos de muscles. C’est ce qu’il fallait dans les divisions inférieures, où on jouait du kick-and-rush . Ce n’était pas du foot, mais des matches de boxe. La saison d’après, j’ai marqué 15 buts. J’étais lancé."
Jones a explosé à Wigan, où il a inscrit 33 buts en une saison. "Ce record tient encore bon, après 21 saisons. Will Griggs (NdlR : l’Irlandais de la fameuse chanson à l’Euro) a failli le battre deux fois, mais il a atteint 25 et 26 buts..."
Puis, il est parti pour trois saisons à Saint-Johnstone, en Premier League écossaise. "J’y ai rencontré un de vos compatriotes : Joos Valgaeren, qui était actif au Celtic. Il était mon adversaire direct. Il était dur mais pas aussi dur que son coéquipier français Bobo Balde. Lui, c’était du béton armé…"
Quand on lui demande à quel Diable Rouge son style ressemble le plus, il sourit : "Pas à Romelu ou à Michy, mais plutôt à Benteke. Au fond, j’aurais été complémentaire avec Thierry Henry… (rires)"
"Henry pourrait coacher le Real"
Qui dit adjoint de Martinez dit Thierry Henry plutôt que Graeme Jones. N’est-ce pas frustrant ? "Pas du tout !", dit Jones. "Thierry a montré que c’est un membre de notre équipe depuis le début. Et sa connaissance du foot est énorme. Il est presque aussi obsédé que Roberto."
Une grande carrière attend Henry, prétend Jones. "Il aurait été prêt pour le job de T1 à Arsenal (NdlR : Emery a été désigné). Il aurait eu un grand impact sur son ex-club. Il a les capacités pour devenir coach n’importe où. Si le Real Madrid l’embauche, il réussirait. Il a l’intelligence, la mentalité et la discipline."
"Vos croquettes de crevettes..."
Comme Martinez, Jones se plaît en Belgique. “Roberto adore votre pays, moi aussi. Je confirme que votre cuisine est bien meilleure que l’anglaise. Mon plat préféré ? Vos croquettes de crevettes. Et vos frites avec de la sauce sont magnifiques.”
Autre avantage : la météo est meilleure. “Ce n’est qu’après avoir signé en Belgique que je réalise combien il pleut en Angleterre. Surtout dans ma région, au nord…”
Et s’il doit désigner un défaut de la Belgique ? “Euh… Disons votre circulation.”