Dodi Lukebakio: "Je suis un joueur d’instinct"
Et le dribbleur Dodi Lukebakio s’est découvert buteur cette saison. Ce qui servira forcément face à l’Espagne.
- Publié le 19-06-2019 à 07h01
- Mis à jour le 19-06-2019 à 10h44
Et le dribbleur Dodi Lukebakio s’est découvert buteur cette saison. Ce qui servira forcément face à l’Espagne. "On doit rester la tête haute, tout est possible." La défaite face à la Pologne est vite évacuée. Dodi Lukebakio se projette déjà vers la suite, parlant contre l’Espagne d’un impératif : "Il faut retrouver de l’efficacité."
Une notion qui a rythmé sa saison avec un bilan de 14 buts et 5 passes décisives en 34 apparitions qui le fait sourire : "C’est bien mais je peux faire encore mieux." Pour se rapprocher des Belges qui ont plus marqué que lui cette saison dans un grand championnat.
Seuls Eden Hazard, Dries Mertens (19 buts chacun) et Romelu Lukaku (15) ont été plus efficaces que le gaucher. "C’est vrai ?", interrogeait-il lors de notre rencontre à Tubize il y a quelques jours. "Je suis sur le bon chemin alors." Celui de la maturité. De l’efficacité aussi pour un attaquant exigeant qui a conscience qu’il joue gros lors de cet Euro.
"Je suis dur avec moi-même. J’en veux plus. C’est vrai que cela faisait très longtemps que je n’avais pas autant marqué ; cela m’a fait du bien. Et, oui, cela a dû surprendre les gens. En regardant mon parcours, tu ne pouvais pas te dire que j’allais faire ce type de performances. C’est une fierté."
Les gens vous connaissaient dribbleur, ils vous ont découvert buteur…
"C’est vrai. Même si je n’ai pas pu beaucoup dribbler, je trouve. J’étais plus dans l’efficacité, ce qui est plus important. Je n’ai pas trop dribblé cette année, moins en tout cas que je dois l’être. Mais c’est parce que j’ai pris plus la profondeur. Après, chaque chose en son temps. Cela dépend aussi le club où tu joues, de son style. Je m’adapte. On avait plus un jeu basé sur la contre-attaque : on me lançait bien, on me donnait des bonnes balles. J’ai pu bien m’exprimer sur l’efficacité."
Comment travaillez-vous la finition ?
"Souvent, je reste à la fin de la séance pour faire des exercices devant le but. Après, tout part aussi de l’analyse des matchs. J’ai une personne qui s’en occupe et je revois quels choix faire avec lui devant le but. C’est comme cela que j’essaye de progresser. Dans le foot, c’est un peu bizarre. Il ne faut pas calculer quand tu joues. Il y a des moments où tu dois privilégier la solution collective, d’autres l’individuelle. J’essaie de trouver l’équilibre."
Prenons un exemple : quand vous êtes lancés dans la profondeur contre le Bayern et que vous allez défier Manuel Neuer, à quoi pensez-vous ?
"À rien. C’est ce qui fait ma force. Attention, ce n’est pas un manque de respect. Je ne sais pas ce que je vais faire. C’est instantané. Je suis un joueur d’instinct. Je suis plus fort comme cela. On peut le remarquer dans le jeu. Quand je réfléchis trop, je ne suis pas le même joueur. Je suis quelqu’un qui doit être libre dans sa tête, qui a besoin de cette confiance, de cette liberté avec des consignes aussi. Mais là, je serai moi-même et plus dangereux."
Autre situation : vous récupérez un ballon pour amorcer un contre. Qu’avez-vous en tête à ce moment précis ?
(Son visage s’illumine) "C’est mon kiff. Vraiment. J’aime l’espace. Après, ce que je préfère, c’est jouer en combinaison. J’ai aimé le style qu’on avait à Düsseldorf en contre. Pour un joueur rapide, c’est chouette. Mais j’aime aussi les jeux dans la combinaison, des une deux. Il faut trouver l’équilibre."
Comme il faut le faire entre le dribble et la passe…
"Et je vois cela avec mon analyste. Sur le terrain, en match ou à l’entraînement, avec l’expérience, tu apprends. Mais il ne faut pas trop réfléchir sur le terrain. C’est de l’instinct. C’est intuitif. Sur le terrain, certains t’ouvrent les espaces, tu prends des risques. Bien évidemment, tu vas perdre des ballons. Mais c’est parfois évident qu’il faut faire un une-deux, évident qu’il faut dribbler. C’est le jeu qui commande, qui décide de ce que tu dois faire."
Vous travaillez le dribble ?
"C’est inné, si je peux dire cela ainsi. On jouait à l’Agora, là, c’est le plaisir total. Je suis un joueur comme cela. J’aime dribbler."
Quel est votre dribble préféré ?
"Jeune, on m’a toujours reproché de trop jouer à l’arrêt. Je suis plus dangereux lancé. Ce n’est pas un dribble mais plus des feintes de corps. J’aime trop ça."
Le dribble est synonyme de duel avec le défenseur. Vous sentez quand vous prenez l’ascendant ?
"Je suis plus dans le plaisir. Dans l’amusement. Je ne vois pas cela et je ne fais pas cela pour lui manquer de respect. Non. Je suis dans le plaisir. Et quand tu fais quelque chose que tu aimes, tu ne te dis pas que tu charries. Même si certains peuvent le penser. Cela me fait rire. C’est dans le plaisir. Pas dans l’humiliation."
Même si certains peuvent ensuite jouer dur. Vous n’avez jamais eu peur de vous faire découper ?
"Si, en Allemagne parfois. C’est pour cela que j’étais simple en Allemagne dans mon jeu. Dans l’efficacité alors que je suis quelqu’un qui aime prendre des risques."
"Je n’avais plus d’excuse"
Le gaucher revient sur cette saison qui marque un tournant dans sa carrière.
En plus d’avoir beaucoup marqué, Lukebakio a franchi un cap dans la régularité.
Dodi, vous êtes d’accord si on vous dit qu’il s’agit de la saison la plus importante de votre carrière ?
"C’est évident. J’ai été décisif et j’ai joué beaucoup de matchs. J’ai toujours dit que le talent, les qualités ne partent jamais, c’est juste une question de confiance, de temps de jeu. Automatiquement, tu peux t’exprimer. Je n’ai jamais manqué de confiance en moi. Mais dans le foot, il y a beaucoup de choses qui font que tout va bien, que tu te sens bien. Et cette année, c’est la première saison où je me sentais si bien. Mais je pense que je peux faire encore mieux. Je suis dans une année d’apprentissage et je pense que je peux exprimer encore mieux mes qualités."
La Bundesliga était une évidence pour vous, vous nous aviez dit avant votre premier but : "ce championnat va trop me correspondre ".
"J’en avais discuté avec Landry qui connaît ce championnat et mes qualités. Il m’avait dit que j’allais m’éclater. Je n’ai pas hésité en fait. Je ne pensais pas spécialement à l’Allemagne. Bien sûr, il est bien de demander des conseils avant d’aller quelque part. Nany m’avait conseillé. Mon objectif, c’était de jouer. Vraiment. Je n’avais plus d’excuse. Bosser et montrer de quoi j’étais capable. C’est ce que j’avais en tête."
Qu’avez-vous appris le plus ?
"Je suis jeune, je n’avais jamais eu trop de temps de jeu, j’allais de gauche à droite, je devais montrer ce dont j’étais capable sans avoir d’excuse. Automatiquement, j’étais très concentré. Rien ne pouvait m’arrêter."
Vous évoquez votre jeunesse, les gens ont tendance à oublier que vous n’avez que 21 ans parce que vous avez effectué vos débuts il y a près de quatre ans. C’est un peu la rançon de la gloire aussi…
"Bien sûr, je le prends pour moi. Je prends mes responsabilités. C’est pour cela que dans ma tête, j’étais en mode : ‘il n’y a plus d’excuse’ . Je reconnais avoir fait des erreurs. Des circonstances ont fait aussi que… Mais au final, j’assume, je prends sur moi. J’ai toujours pris mes responsabilités. Cette année m’a fait du bien."
Vous avez eu droit à une petite punition pour un retard avant un match contre Schalke…
(Sourire) "C’était un retard mais surtout une erreur de communication ; l’horaire du rendez-vous avait changé au dernier moment. Je ne parlais pas bien allemand à ce moment-là. Ce n’était pas clair. Le coach, par principe, m’a sanctionné. Je le respecte et cela ne s’est plus reproduit."
Le coach, justement, est connu en Allemagne pour son exigence au niveau des courses et du travail défensif…
"C’est sa manière de fonctionner. J’ai essayé de m’adapter et cela a bien fonctionné. Benito (Raman) m’avait prévenu. L’Allemagne, c’est comme cela. Un championnat très exigeant, un pays très exigeant."
Aviez-vous besoin de cela à ce moment de votre carrière ?
"On a toujours besoin d’exigence. Cela m’a fait beaucoup de bien. Il faut être discipliné, bien sûr, je ne dis pas le contraire. Tu ne vas pas condamner définitivement un joueur sur un retard, il faut être jugé sur ses performances. Cela fait partie du respect d’arriver à l’heure. Mais si quelqu’un a des difficultés sur quelque chose, il faut l’aider."
Vous avez été plus enfoncé qu’aidé ?
"Je ne vais pas dire cela. Je prends mes responsabilités, je l’ai toujours dit. Cela faisait partie des choses que je devais apprendre. Et c’est fait."
Son avenir: Watford est gourmand
En théorie, Dodi Lukebakio doit reprendre l’entraînement avec Watford, où il est sous contrat jusqu’en juin 2022. Mais le gaucher espère pouvoir quitter l’Angleterre et un club naturellement tenté de faire monter les enchères vu la saison et le potentiel du Diablotin. Son objectif reste de rejoindre une formation où il pourra poursuivre sa progression, avec l’idée de disputer au minimum la Ligue Europa et au mieux la Ligue des champions. Le Bayer Leverkusen s’est intéressé à lui. Même s’ils ont recruté le Parisien Moussa Diaby, les Allemands pourraient revenir à la charge, notamment en cas de départ de Kai Havertz. Comme Lille, attentif à sa situation dans le cadre de la succession de Nicolas Pépé qui possède un bon de sortie.