David Platt: "Je n’ai pas eu de compassion pour les Belges"
David Platt revient sur le but inscrit à la 119e minute face à la Belgique. Un moment qui a traumatisé plusieurs générations
- Publié le 26-06-2018 à 07h34
- Mis à jour le 26-06-2018 à 13h47
David Platt revient sur le but inscrit à la 119e minute face à la Belgique. Un moment qui a traumatisé plusieurs générations.
Les commentaires sont assurés par Franck Baudoncq : "Gascoigne va y mettre toute sa puissance. Non, il préfère lober ce ballon. Reprise… (long silence) . C’est injuste."Personne n’a oublié ces quelques mots, à la 119e minute du huitième de finale entre la Belgique et l’Angleterre. Les Diables entamaient le deuxième tour de la Coupe du Monde 1990 avec beaucoup d’ambitions, poussés par une équipe plus forte que quatre ans plus tôt. Mais ce 26 juin, rien ne leur a réussi. Les deux tirs sur le poteau de Jan Ceulemans et d’Enzo Scifo et une domination totale dans le jeu ne leur avaient pas permis de se mettre à l’abri face à une Angleterre qui semblait attendre la séance de tirs au but avec impatience. Jusqu’à ce coup-franc, très généreusement accordé suite à une soi-disant poussée d’Eric Gerets, de Paul Gascoigne pour une volée croisée aussi belle qu’inattendue de David Platt.
Tous les Belges se souviennent de ce qu’ils faisaient ce jour-là. Devant leur télévision, en famille ou entre amis, ils se voyaient déjà conquérir le monde sur le sol italien. Jusqu’à cette maudite soirée de Bologne. "C’est étrange car j’ai travaillé avec Vincent Kompany pendant trois ans et il ne m’en a jamais parlé. Peut-être est-il trop jeune. Il faut dire que cela remonte à un petit temps maintenant", explique celui qui a été l’ennemi numéro un en Belgique pendant de très longues années. "Je comprends que mon nom ait eu une saveur particulière en Belgique mais il vaut mieux en rire…"
Les Belges ont le sens de l’humour mais lorsque le nom de David Platt est prononcé, il est impossible d’esquisser le moindre rictus. "La phase arrêtée n’était pas dans une zone dangereuse. Je n’avais aucune idée de ce que Paul Gascoigne allait faire. S’il avait tiré ce coup franc aujourd’hui, dans un football moderne où tout est étudié, il aurait préféré jouer court mais à cette époque-là, les Anglais essayaient simplement de mettre le ballon dans les seize mètres. Je ne pense pas que Gascoigne avait choisi de viser un joueur, il a simplement balancé la balle dans un endroit qu’il estimait dangereux."
Théoriquement, cette balle n’était pas vraiment exploitable mais le médian anglais est parvenu à le transformer en une passe décisive parfaite. "Ce n’était pas un but facile. Je ne devais pas simplement tendre mon pied pour profiter de la vitesse du ballon. C’était une balle flottante. C’est grâce à un timing parfait que j’ai pu mettre de la puissance dans ma volée. Je me souviens uniquement du moment où j’ai touché la balle. J’ai directement senti qu’elle allait terminer au fond des filets", poursuit-il. "Mon tir n’est pas passé très loin de Michel Preud’homme mais il n’avait aucune chance de le toucher. Cela s’est passé en une fraction de seconde et il n’a pas eu le temps de réagir. Honnêtement, je n’avais jamais travaillé une telle phase à l’entraînement. J’étais un joueur athlétique mais il m’arrivait quand même de marquer de temps en temps un but spectaculaire. Je pense que je pourrais faire encore dix fois cette volée, je ne la reprendrais pas aussi bien qu’à cette fameuse 119e minute."
Cette image de Michel Preud’homme agenouillé, complètement hagard dans son petit rectangle, juste à côté de David Platt, bras en l’air, a marqué plusieurs générations à vie. Vingt-huit ans plus tard, la cicatrice n’est pas encore totalement refermée. "Nous avions beaucoup de respect pour la Belgique. Nous craignions surtout Jan Ceulemans et Enzo Scifo. Pour le reste, vous aviez de solides défenseurs et des éléments expérimentés comme Eric Gerets. Nous, nous n’avions pas d’Enzo Scifo dans notre noyau. Paul Gascoigne était encore jeune et n’avait pas le statut qui serait le sien quelques années plus tard. Gary Lineker avait été le meilleur buteur du Mondial 1986 mais il avait du mal à avoir une influence sur nos matches", continue-t-il. "Mais très honnêtement, je n’ai pas eu de compassion pour les Belges. Je n’en ai pas eu quand j’ai marqué et je n’en ai pas eu par la suite. Je comprends quand même que mon nom ait une saveur chez vous…"
Plutôt une saveur amère. Une saveur que les Diables Rouges actuels, bien trop jeunes pour connaître cet épisode douloureux de l’histoire footballistique belge, tenteront de gommer. Avec un but à la 89e minute consécutif à une faute (très) légère, pourquoi pas ?
"J'ai dû engager un employé pour ouvrir mon courrier"
La vie de David Platt a changé du tout au tout après ce fameux huitième de finale.
À l’époque, David Platt n’avait que vingt-quatre ans et évoluait à Aston Villa. Il n’était même pas certain d’être repris pour la Coupe du Monde italienne et avait d’ailleurs commencé la compétition sur le banc.
“J’ai été surpris de jouer ce match contre la Belgique. En 1990, on ne pouvait mettre que cinq ou six joueurs sur le banc mais ma capacité à jouer comme médian ou attaquant a certainement joué en ma faveur. J’étais deux joueurs en un. En montant au jeu, Bobby Robson, notre sélectionneur, m’a juste demandé de fermer la boutique et d’essayer de forcer quelque chose si l’occasion se présentait. Je ne dirais pas que nous attendions la séance de tirs au but mais nous ne voulions pas encaisser bêtement un but.”
Dès le lendemain, David Platt est devenu une vraie star nationale. Chaque Anglais connaissait son nom. “Sur le moment même, je n’ai pas saisi l’impact de mon but. Je suis revenu à l’hôtel et j’ai regardé l’horloge. Je me suis dit que ma compagne – qui est devenue ma femme – devait être en train de dormir. Je n’avais pas conscience que le pays était déchaîné et que les gens faisaient la fête. Il n’y avait pas encore de téléphone portable, on vivait dans notre bulle…”, dit-il. “Le lendemain, j’ai reçu un coup de téléphone dans ma chambre. ‘Venez en bas s’il vous plaît, quelques personnes veulent vous parler.’ Je suis descendu et je n’en ai pas cru mes yeux : 500 journalistes du monde entier étaient présents, juste pour moi. Avant, ils n’étaient que trente ou quarante mais là, ils étaient 500. C’est à ce moment que j’ai compris l’impact de mon but.”
Son retour en Angleterre, après une défaite en demi-finales perdue aux tirs au but contre l’Allemagne de l’Ouest, a déchaîné les passions. “Mon agent m’a dit qu’il avait reçu six nouvelles propositions de sponsoring. Je pouvais gagner plus d’argent en dehors du football que dans le football. J’étais resté la même personne mais j’avais remarqué que mes équipiers me regardaient d’une autre façon. Tout tournait autour de moi; il y avait des posters avec ma tête dessus”, se souvient-il. “Quelques problèmes assez inattendus se sont présentés. Avant, je recevais cinq ou six lettres de fans par semaine mais après ce Mondial, ma boîte débordait tous les jours. Je les prenais et je les mettais dans un sac-poubelle. Je me souviens avoir demandé à mon agent si je devais le brûler mais il m’a dit que c’était une mauvaise idée. Alors, nous avons engagé une personne qui ne faisait qu’ouvrir le courrier et répondre à mes fans. Bulgarie, Tchécoslovaquie : cela venait de partout.”
Mais certainement pas de Belgique…
“J’étais le sauveur de la nation”
La carrière de David Platt s’est envolée après son exploit de Bologne. En une seconde. “J’aurais certaine eu une autre trajectoire sans ce but. La presse m’avait désigné comme le sauveur de la nation. J’étais devenu si grand que Bobby Robson ne pouvait plus se permettre de me mettre sur le banc. J’étais devenu un joueur clé de l’équipe en quarts de finale. C’était la meilleure période de ma carrière, affirme-t-il. Après le Mondial, je me souviens être allé en stage en Suède avec Aston Villa. Nous affrontions des équipes locales mais je ne devais pas jouer car j’avais besoin de me reposer. Mais il y avait 500 personnes dans les tribunes et tous ne voulaient qu’une seule chose : voir David Platt jouer. Mon nom a été scandé dans chaque stade. J’étais parti au Mondial comme une star d’Aston Villa et je l’avais quitté comme une star mondiale.”
"Je suis arrivé trop tard à ma fête"
Deux minutes après ce coup de tonnerre, Peter Mikkelsen, l’arbitre de la rencontre, a sifflé la fin des débats. Les joueurs anglais ont exulté, pendant que les Diables, couchés au sol, avaient du mal à comprendre ce qui venait tout juste de se passer. Mais la fête s’est rapidement terminée pour David Platt. “Nous avions joué 120 minutes dans la chaleur estivale de Bologne. J’étais plein d’adrénaline et j’avais du mal à retomber les pieds sur terre. J’ai dû passer au contrôle anti-dopage avec Peter Shilton, un autre équipier et il y avait trois joueurs belges. Par respect, nous avons essayé de cacher nos émotions et quand j’ai terminé mon contrôle, je suis rentré dans le vestiaire. Tout le monde avait déjà rangé son sac et était prêt à partir. C’est comme si j’étais arrivé en retard à ma propre fête…”
Ce passage lui laisse un petit peu de regret. “J’aimerais avoir l’occasion de revivre cette période et de mieux profiter de la journée qui a suivi mon but. Ou mieux encore : être assis dans une tribune et me voir marquer ce but…”