Deschamps-Dalic: la finale des sélectionneurs
Didier Deschamps donne l’impression d’être prédestiné à une telle réussite. Sa Coupe du Monde le prouve une fois de plus
- Publié le 13-07-2018 à 10h29
- Mis à jour le 13-07-2018 à 11h12
Didier Deschamps donne l’impression d’être prédestiné à une telle réussite. Sa Coupe du Monde le prouve une fois de plus Autant être franc d’emblée : les critiques émises par Eden Hazard ou Thibaut Courtois sur la manière dont laquelle son équipe de France s’est qualifiée ont dû, pour paraphraser l’expression chère à Jacques Chirac "en toucher une sans faire bouger l’autre" à Didier Deschamps, preuve que KDB n’avait pas la primeur de se battre une partie de son anatomie.
Depuis le début du Mondial, la France avance avec à sa tête un sélectionneur qui a dû essuyer les critiques sur son identité du jeu à géométrie variable alors que sa préparation a été marquée par l’irruption dans le paysage de Zinédine Zidane comme une menace.
Dans l’histoire des Bleus, il est écrit qu’un jour Zizou deviendra sélectionneur. Mais il devra patienter tant Deschamps, avec cette place en finale, s’est offert au moins deux ans de tranquillité pour aller jusqu’au bout de son contrat. Voire plus si affinités.
Cette quête apparaît comme la sienne, lui qui est guidé par cette bonne étoile qui brille au-dessus de sa tête. Un tel degré de réussite a fait naître la désormais fameuse chatte à DD ? À un tel niveau, la place pour le hasard est réduite vu la récurrence du phénomène. "Que je sois au bon endroit, au bon moment, c’est possible. La chance, cela peut arriver une fois. Je fais tout pour que cela se passe du mieux possible", a convenu Deschamps.
Mais que se cache-t-il derrière le Basque de 49 ans qui manie mieux que quiconque l’art d’esquiver les questions auxquelles il ne veut pas répondre tout en faisant passer ses messages ?
L’image d’un homme prédestiné à la fonction d’abord. Lui-même avait utilisé le terme lorsqu’il nous avait reçus avant un terne Belgique - France en août 2013 dans son bureau de la Fédération qu’il occupe toujours avec son adjoint Guy Stéphan. Avant d’affiner sa réflexion : "Disons qu’on peut avoir des aptitudes. Moi, cela faisait partie de mon rôle de joueur. Brassard ou non. J’ai été capitaine à 13 ans et je l’ai souvent été ensuite. Mais même si je n’avais pas le brassard, je faisais la même chose. Le leadership , on l’a dans les gènes. Ce n’est pas en claquant des doigts le matin. Il faut une légitimité, une crédibilité au sein même de son groupe de partenaires."
Celle d’un joueur - entraîneur devenu entraîneur - joueur ensuite. " Dédé était un entraîneur sur le terrain; aujourd’hui, il l’est sur le banc", a expliqué dans Le Parisien Marcello Lippi, son mentor à la Juventus Turin de 1994 à 1999. "Il savait analyser et lire les matches comme un coach au bord de la touche. Toujours à encourager, aider, conseiller, corriger le placement des autres."
Une attitude qui est toujours la sienne sur sa zone technique durant les matches. Des matches qu’il vit intensément, n’hésitant pas à recadrer ses joueurs comme quand il a balancé à Kylian Mbappé un "tu fais chier maintenant" après que l’attaquant a fait monter la température contre l’Uruguay.
Le sélectionneur n’avait d’ailleurs pas hésité à piquer l’orgueil du prodige après son premier match très terne contre l’Australie. Il en récolte aujourd’hui les fruits. Comme avec Griezmann qu’il avait critiqué avant de le protéger. Pour un résultat similaire. Forcément, avoir été le capitaine des champions du Monde 1998 et des champions d’Europe 2000 aide question crédibilité.
"Sauf que le vécu, cela va un temps", nous avait rétorqué DD. "La crédibilité est remise en cause fréquemment, plusieurs fois par jour. Il ne suffit pas d’avoir un nom, un vécu. Il faut du concret."
Ce qui est le cas depuis le début de la compétition avec une mise en place tactique de plus en plus pointilleuse. "Cette victoire, c’est la sienne", a salué Hugo Lloris après le succès sur les Diables. "Il en mérite tout le crédit. On a appliqué à la lettre ce qu’il nous a demandé."
"On a besoin d’un coach qui nous donne sa confiance, qui sait comment jouer les matches", abonde Griezmann. "Et c’est lui qui insuffle la dynamique de groupe. Il instaure des règles et nous, on joue sur le terrain. On a une idée commune et c’est lui qui la définit", poursuit Raphaël Varane.
Le tout en traversant les époques. "Parce que Didier sait se renouveler et s’adapter", observe son fidèle adjoint depuis 9 ans, Guy Stéphan, pour qui "c’est le plus dur à faire".
Deschamps y parvient tout en restant fidèle à ses principes. Lui qui a comme devise "je ne sais pas jouer pour jouer, je joue pour gagner", l’a concédé : "Comme sélectionneur, je suis resté comme j’étais dans ma première vie : je ne lâche rien jusqu’au coup de sifflet final. Mes joueurs ont aussi cela en eux : ils sont généreux et ne rechignent pas à l’effort." Tout en gagnant, aurait-il pu ajouter.
L'inconnu Dalic
Le sélectionneur croate sort de nulle part ou presque
7 octobre dernier. La mine grave, Davor Suker se présente devant la presse croate prête à le découper.
Après avoir longtemps fait la course en tête dans son groupe des qualifications, la Croatie se retrouve gagnée par la peur du vide. Et du bide.
Un nul insipide en Finlande (1-1) lui a fait perdre sa première place au profit de l’Islande alors que l’Ukraine est revenu à sa hauteur deux jours avant de l’accueillir à Kiev. Le président de la fédération tranche. Ante Cacic est licencié. Zlatko Dalic le remplace. Suker parle "d’une thérapie de choc". Ne prend pas forcément de risques en annonçant qu’en cas de non-qualification, Dalic s’en ira comme il est venu.
Mais en 48 heures, Dalic monte une opération commando. Ses hommes s’imposent 0-2 en Ukraine avec un doublé de Kramaric, se baladent un mois plus tard en barrages contre la Grèce (4-1 et 0-0) et se retrouvent désormais à 90 minutes d’une Coupe du Monde. Le tout avec un quasi-inconnu à leur tête.
Joueur, Dalic n’a jamais quitté ce qui s’appelait la Yougoslavie, commençant sa carrière à l’Hadjuk Split, la terminant à Varteks. Où, dès 2000, et sa retraite, il deviendra entraîneur adjoint, épaulant notamment entre 2003 et 2005 Miroslav Blazevic, la figure tutélaire du football croate.
L’ancien sélectionneur qui avait accompagné la génération dorée des Suker et Boban jusqu’en demi-finale du Mondial 1998 avait lancé, de manière prophétique, avant les quarts que "la Croatie ira en finale parce qu’elle est très forte et qu’elle a un excellent sélectionneur, mon ancien élève". Qui a donc dépassé le maître en sortant de nulle part. Parce qu’après avoir croisé sa route au pays, la carrière de Dalic n’a pas décollé.
Son vécu au plus haut niveau reste tout relatif et se résume à ses 7 ans de carrière au Moyen Orient à Al Hilal et Al Ain avec une finale de Ligue des Champions asiatique en 2016. Mais surtout une empreinte considérable qui s’est mesurée après la victoire 3-0 sur l’Argentine quand les deux bâtiments principaux de Dubai et Ryad ont été ornés du drapeau croate.
"Je m’y suis fait une réputation et j’apprécie leur soutien", a savouré Dalic qui n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds.
Nikola Kalinic refuse d’entrer en jeu contre le Nigeria ? Il sera renvoyé au pays. Jorge Sampaoli le snobe après ce fameux 3-0 ? Dalic retrouve ses réflexes de milieu défensif pour le tacler virilement : "Je n’ai jamais quitté un terrain sans serrer la main du coach adverse. Je lui avais même donné un maillot croate avant. J’espère qu’il s’en souviendra toute sa vie." Son analyste vidéo et proche Ognjen Vukokejiv affiche son soutien à l’Ukraine sur les réseaux sociaux après la victoire sur la Russie? Mauvaise idée. Lui aussi sera viré du groupe.
Un groupe qu’il a su cimenter par ses choix forts et son sens du relationnel.
"J’essaye en priorité d’avoir une bonne relation avec les joueurs", disait-il avant le Mondial. "Je ne veux pas être leur ami mais avoir une relation honnête, ouverte et digne de confiance avec les joueurs."
"C’est un entraîneur très simple qui communique beaucoup, il est calme, on ne le voit jamais en colère ni stressé", note Mario Mandzukic. Ivan Perisic salue, lui, son apport dans le jeu: "Il a de nouvelles idées et nous en avions besoin."
Replacer Luka Modric plus haut ou relancer Ante Rebic sur son côté droit sont autant de paris gagnants pour ce fervent catholique qui a toujours un chapelet en poche. Et en qui tout un pays croit.