Belgique - Arabie saoudite: heureusement, Al Owairan n’est plus là!
Il y a près d’un quart de siècle, les Diables encaissaient un but légendaire face à l’Arabie saoudite après un slalom dingue.
- Publié le 27-03-2018 à 14h08
- Mis à jour le 27-03-2018 à 16h12
Il y a près d’un quart de siècle, les Diables encaissaient un but légendaire face à l’Arabie saoudite après un slalom dingue. "What a terrific run. That’s the greatest goal of the tournament !" Le journaliste de la BBC ne croyait pas si bien dire, ce 29 juin 1994, en commentant le but de Saeed Al Owairan contre les Belges. En 2002, la Fifa classait le slalom du Saoudien à la 6e place des plus beaux de l’histoire de la Coupe du Monde, derrière Maradona (2 fois), Pelé, Hagi et Owen, mais devant les Ballons d’Or Baggio et Matthäus.
Près d’un quart de siècle plus tard, tous les Belges nés avant les années 90 se souviennent encore d’Al Owairan et de sa fantastique chevauchée à travers la défense belge. Plus qu’une humiliation, un traumatisme pour ces Diables éliminés du tournoi quelques jours plus tard par l’Allemagne et le sinistre arbitre Röthlisberger.
"On avait gagné nos deux premiers matches et il suffisait d’un point pour terminer premier du groupe et affronter l’Irlande à Orlando, un stade qui nous plaisait", se souvient Michel D’Hooghe, président de la fédération à l’époque. "On n’a pas oublié les problèmes d’arbitrage contre l’Allemagne en huitièmes de finale, mais tout avait commencé avec ce but d’Al Owairan…"
Pendant que les Néerlandais éliminaient facilement l’Irlande pour s’offrir un quart de finale de gala contre le Brésil, les Diables rentraient à la maison, toujours sous le choc. "C’est le but le plus ridicule que j’aie vu de toute ma vie", ose même Michel De Wolf, l’un des… cinq Belges dribblés ce jour-là par ce Saoudien de 26 ans totalement inconnu auparavant.
En février 2013 sur le plateau de La Tribune à la RTBF, Philippe Albert avait accepté de commenter ce but avec son franc-parler habituel. "Scifo perd la balle, mais ça arrive à 70 mètres de notre but. La passe de Van Der Elst vers Scifo était trop appuyée. Medved hésite, De Wolf se couche un peu trop vite, Smidts est dans la purée complète. Et puis, le dernier des Mohicans (NdlR : lui-même) tente un tacle, mais trop tard. Michel avait été trop gentil et Smidts était un peu limité… C’était un but exceptionnel, mais Al Owairan n’aurait jamais dû arriver jusque-là."
"Au Mondial, tu penses d’abord à toi…"
Mais il y est arrivé. Pourquoi ? "Parce que personne n’avait osé faire la faute", résume Michel De Wolf. "Medved n’a pas osé, Van Der Elst n’a pas osé, Smidts n’a pas osé. Et moi encore moins. J’étais libéro et c’était mon job d’intervenir dans une telle situation. Mais je ne voulais pas prendre de carte rouge. Il restait encore 85 minutes à jouer après ce but. Je pensais qu’on aurait le temps de refaire notre retard. Pourquoi aurais-je pris le risque d’être exclu et suspendu ? Tu es à la Coupe du Monde et tu penses à toi. Tu n’as pas envie que ton tournoi soit terminé après seulement trois matches. Ça a joué dans ma tête et dans celle des autres joueurs. Tout le monde espérait que la faute nécessaire serait faite par un autre…"
Roger Vanden Stock , chef de la délégation belge à cette Coupe du Monde aux États-Unis, et Paul Van Himst, le sélectionneur, n’ont pu que constater les dégâts. Mais la plus grande victime ce jour-là, ce fut Saeed Al Owairan lui-même.
Du jour au lendemain, la vie de ce milieu offensif a été bouleversée. Il fut couvert de cadeaux en rentrant en Arabie saoudite. Des bolides, des lingots d’or, mais aussi une popularité soudaine et difficile à gérer dans un pays qui était encore plus strict qu’aujourd’hui. Et impossible de fuir dans un club européen, les transferts à l’étranger étaient interdits pour les Saoudiens à cette époque. "Ce but fut une épée à double tranchant pour moi" , avait-il commenté quatre ans plus tard en revenant à la Coupe du Monde avec son pays. "Ce fut fantastique mais terrible aussi."
Privé de vacances avant la prison
Abonné aux soirées arrosées (en alcool, mais aussi en filles), Al Owairan est vite dans le collimateur des autorités locales. Il est puni une première fois par l’annulation de deux semaines de vacances au Maroc. La sanction est bien plus sévère quand il est attrapé quelques semaines plus tard avec plusieurs femmes, bière en main, en pleine période de ramadan. Il écope de plusieurs mois de prison. "Mais je n’étais pas vraiment en cellule, j’étais plus confiné dans un endroit pendant plusieurs semaines pour être interrogé. La punition la plus dure, c’était d’avoir été privé de football pendant un an. Voir mes équipiers à la Coupe d’Asie (NdlR : remportée par l’Arabie saoudite en 1996) depuis un poste de télé était la plus grosse torture qu’ils pouvaient m’infliger."
Réintégré en équipe nationale quelques mois plus tard, Al Owairan sera à nouveau écarté pour avoir oublié dans quelle direction se trouvait La Mecque avant un match de la Coupe de la Fédération avec son club d’Al Shabab devant deux des fils du roi. Jusqu’à ce que le sélectionneur brésilien Carlos Alberto Parreira ne le reprenne quelques semaines avant le Mondial en France. Un tournoi sans slalom, sans éclat et sans victoire pour Al Owairan et sa bande. La hype était définitivement passée pour celui qui a aujourd’hui 50 ans et vit toujours avec le regret de ne pas avoir pu monnayer son unique moment de gloire.