Angleterre et Croatie: les héros s'appellent Maguire et Modric
- Publié le 08-07-2018 à 19h46
Le défenseur anglais et le milieu croate ont été déterminants dans la qualification de leur sélection pour les demi-finales. Harry Maguire, le nouvel ami qui leur veut du bien
Maguire a marqué le premier but anglais contre la Suède, deux ans après avoir assisté à l’ Euro en supporter.
Qui aurait pu s’imaginer pareil destin ? Certainement pas lui. Il y a très exactement deux ans, Harry Maguire était à l’Euro. Mais dans les tribunes où il avait notamment assisté au triste nul anglais contre la Slovaquie et à Russie - Angleterre à Marseille.
De ce voyage restent des souvenirs d’un tournoi "vécu comme un supporter dans des hôtels pas très chers avec mes amis de Sheffield" , a-t-il expliqué et des photos que le défenseur a fait refleurir sur son compte Twitter avec ce petit commentaire "un bon trip les gars" . Mais aussi un vertige face au chemin parcouru ces deux dernières saisons.
"Si tu m’avais dit que deux ans plus tard, je serais sur le terrain, je t’aurais pris pour un cinglé" , a reconnu celui qui, à l’époque, venait de monter avec Hull en Premier League .
Et quand les Tigers ont repris l’ascenseur l’été dernier, le défenseur en a été exfiltré par Leicester contre environ 20 millions d’euros.
Ses premières convocations en sélection en septembre dernier ont été accompagnées par une douce incrédulité. Qui a même touché le joueur aligné pour la première fois en Lituanie dans le dernier match d’une campagne où les Anglais étaient déjà qualifiés. Un soir d’expérimentation de la défense à trois. Un soir qui a finalement tout changé pour le natif de Sheffield, rongé à l’époque par la peur de mal faire.
"J’étais certain qu’il pouvait jouer. Je ne suis pas certain que lui y ait toujours cru. Ce match en Lituanie, il voulait d’abord ne pas faire d’erreurs. Je me souviens lui avoir dit : ‘ D’accord mais pourquoi ne pas essayer ?’ " , a rappelé dans un sourire Southgate qui n’a pas hésité à reléguer Gary Cahill sur le banc et a laissé Chris Smalling au pays pour faire place à celui que Martin Keown décrit "comme une montagne humaine" .
Mais Maguire brille d’abord par son physique hors norme (1,96 m pour un peu moins de 100 kilos), l’enfermer dans le registre de l’armoire à glace serait réducteur. "Depuis le début du tournoi, il a été gigantesque dans les deux surfaces et c’est un excellent joueur" , l’a défendu son sélectionneur pour qui "il utilise très bien le ballon, aussi bien que les autres défenseurs centraux. Nous avons marqué sur phases arrêtées grâce à lui et là, il mérite son but." Qui justifie aussi son surnom de tête de pioche balancé par son coéquipier à Leicester et en sélection Jamie Vardy.
L'avis de Thomas Chatelle: Les phases arrêtées, la signature de Southgate
Par sa manière de travailler très scientifiquement sur les phases arrêtées avec des courses et des blocs dans tous les sens, l’Angleterre ressemble de plus en plus à une équipe de football américain. Et chaque phase arrêtée porte la signature de Gareth Southgate. Sa formation ne propose rien d’extraordinaire dans le jeu; il exige beaucoup de sécurité en perte de balle, ce qui se ressent au niveau d’Alli et de Lingard, qui se sacrifient au détriment de leur créativité, qui ne s’est exprimée qu’une fois, sur le deuxième but qui ressemble lui aussi à une fulgurance sur phase arrêtée. Dans sa gestion, cette Angleterre, pourtant jeune, affiche une âcre maturité en étant très factuelle. Beaucoup d’équipes se sont cassé les dents sur le bloc suédois. Pas eux, en jouant le match parfait et attendant que la faille ne se présente sur phases arrêtées. Les Anglais ont pu compter aussi sur Pickford; j’ai aimé sa solidarité, incarnée sur ce match par Kane, qui a énormément travaillé pour le collectif. Même si elle manque donc de folie, cette équipe est solidaire, solide et la Fédération récolte plus tôt que prévu les fruits de la nomination de Southgate. Comme l’Espagne, les Anglais ont fait le choix d’un sélectionneur venu des Espoirs, sauf que le Real n’est pas venu leur piquer leur entraîneur. Il y a vraiment un choix philosophique qui se retrouve dans ce sens du sacrifice, qui peut permettre à l’Angleterre d’aller loin, en ayant un vrai coup à jouer contre la Croatie, qui est passée à chaque fois à la limite. En face, les Suédois ont affiché leurs limites, eux qui n’ont pas grand-chose à proposer quand Forsberg n’est pas dans un grand jour. Ils ont manqué d’un finisseur mais ont réalisé un super parcours.
Modric: Mi-maestro, mi-ouvrier
Luka Modric (Croatie) a réalisé un très gros match face à la Russie.
L’image a marqué tous les amateurs de football. La Croatie mène au score dans les arrêts de jeu mais Luka Modric vient récupérer un ballon dans les pattes de la défense russe pour le récupérer au point de corner adverse.
Une séquence qui en dit long sur les intentions du meneur de jeu croate qui a maintenu son équipe la tête hors de l’eau face à une Russie qui l’a presque noyée avant la pause et la montée au jeu de Brozovic pour faire l’essuie-glace dans son dos.
Tous les adversaires l’ont compris : il faut bloquer le meneur de jeu du Real Madrid. Lui-même sait qu’il doit trouver des solutions. Zlatko Dalic fait d’ailleurs tout pour le mettre dans de bonnes conditions et sacrifie presque ses joueurs pour libérer son capitaine.
Et quand Modric est dans les meilleures conditions, il régale. Surtout à la distribution. Il vient d’établir un nouveau record de passes pour son pays. Il est le premier Croate à avoir tenté plus de 100 passes (102, dont 89 réussies) en Coupe du Monde pour la Croatie.
À voir la heat map de ses passes, il a eu le mérite de tenter de jouer vers l’avant. Il a d’ailleurs mis 18 ballons (16 réussis) en profondeur.
Luka Modric ne se résume toutefois pas à ses galettes vers ses équipiers et à ses 8 dribbles réussis sur 10 tentés. Le médian est un battant, un arracheur de ballon à ses heures perdues. "On a montré du caractère" , a lancé l’homme du match vainqueur de 14 des 22 duels qu’il a disputés.
En Croatie, il a été élevé au statut de héros national. "Modric ne joue pas au football, il le prêche" , dit Mario Stanic, ancien international. "Il ne faut pas commenter son jeu mais juste le regarder et en profiter. On ne peut rien faire pour ceux qui ne comprennent pas."
Le pays rêve de le voir soulever non seulement la Coupe du Monde mais également le Ballon d’Or . Modric ne pense toutefois qu’à la première option.
"Franchement, le plus important pour moi est le succès de l’équipe nationale, de faire quelque chose de grand. Je sais ce que valent les prix individuels mais je n’y pense pas. Nous avons les qualités pour aller plus loin qu’en 1998 (NdlR : troisième place) . S e qualifier deux fois après 120 minutes de jeu va laisser des traces mais nous avons une grande équipe qui veut aller en finale."
L'avis d'Alex Teklak: Les Croates et les grands joueurs sont crevés
Les statistiques de course des Russes m’interpellent beaucoup. Sans la course, cette équipe ne serait pas arrivée en quart. L’entraîneur croate a été surpris de voir les Russes débuter très haut et presser. Les Croates ont dû allonger. Modric et Rakitic ont dû jouer bas. Le bloc était très étiré à cause de cela. Je sentais que les Russes allaient ennuyer un peu les Croates, mais pas jouer tout un match à une telle intensité. Heureusement qu’il y a ce 1-1 rapide, sinon les Croates auraient été mal embarqués. Tu sais que tu dois bloquer Modric et Rakitic; les Russes l’ont bien fait. Quand Brozovic est monté, ils ont eu plus de place et ont joué plus haut, près de l’attaque. Mais le gros problème des Croates est qu’ils ne sont pas capables de mettre beaucoup d’intensité durant tout un match. Ils ont bien joué durant 20 minutes puis ils ont souffert contre la machine russe. La Croatie ne parvenait pas à suivre le rythme. Tu sens que les gars sont arrivés fatigués d’une longue saison. Tu ne peux pas jouer un football offensif en étant sur les rotules. C’est aussi pour cela que si peu d’équipes sont capables de presser leur adversaire. Les ténors sont arrivés en étant vidés de toute énergie. Il n’était pas possible pour eux de mener à bien leur projet footballistique. Les dés sont tombés du côté de l’équipe qui jouait au football. Et c’est bien. Tu ne peux pas aimer le Mondial pour une équipe comme la Russie. J’aime ce tournoi pour le spectacle. Je n’aime pas ce foot qui ne pense qu’à défendre et c’est un ancien défenseur qui le dit ! Je suis d’ailleurs content de voir la Croatie face à l’Angleterre. Au moins, ça jouera un football plus ouvert qu’un Russie – Suède.