Vers une internationalisation plus marquée du palmarès des championnats du monde?
Longtemps réservée aux Belges et aux Italiens, la course en ligne des Championnats du monde sur route s'offre désormais à d'autres nations. Si bien que quatre nouveaux pays ont eu droit à leur champion sur les six dernières éditions. Une tendance qui devrait continuer dans les prochaines années. Retour sur certains de ces coureurs qui ont permis à leur pays de voir toutes les couleurs de l'arc-en-ciel pour la première fois
- Publié le 30-09-2014 à 14h40
- Mis à jour le 30-09-2014 à 15h50
Michal Kwiatkowski est devenu le premier Polonais à remporter le championnat du monde de cyclisme sur route
Il est 16h30 lorsqu'un arc-en-ciel apparaît dans le ciel gris de Ponferrada. Il n'est malheureusement pas espagnol comme l'aurait espéré le public venu soutenir les coureurs le long de la route. De toute façon, l'Espagne a déjà eu son heure de gloire dans cette épreuve, pas encore la Pologne. Michael Kwiatkowski lui a donc offert ce cadeau.
Longtemps réservée aux Belges et aux Italiens qui se sont adjugés 45 titres à deux (26 pour la Belgique, 19 pour l'Italie), l'épreuve en ligne des championnats du monde sur route s'offrent depuis quelques années à d'autres nations. L'internationalisation du peloton a densifié sa qualité et la particularité de l'épreuve, à savoir être disputée par équipes nationales dont le nombre n'est pas égal d'un pays à l'autre, n'est désormais plus un frein dans la quête du Graal.
C'est ainsi que depuis 2009, quatre nouvelles nations ont pu goûter aux joies du maillot irisé. Une tendance qui ne devrait pas changer dans les prochaines années car d'autres nations comme la Slovaquie ou la Tchéquie, disposant de fers de lance comme Peter Sagan et Zdenek Stybar, pourraient imiter ce que la Lettonie et la Norvège ont déjà réussi. Sans compter des pays devenus importants dans le milieu de la "Petite Reine" comme le Kazakhstan ou la Russie, même si pour l'instant ils ne disposent pas encore d'un leader de renom.
L'occasion était donc belle de revenir sur le parcours de ces "pionniers" des nations non-traditionnelles du cyclisme qui ont permis à leur pays de voir toutes les couleurs de l'arc-en-ciel pour la première fois
1946 : Hans Knecht (Suisse)
Après la guerre, les compétitions sportives reprennent leurs droits. Depuis la première édition des Mondiaux de cyclisme sur route en 1927, le maillot arc-en-ciel avait à chaque fois terminé sur des épaules italiennes, françaises ou belges. Ces nations, abondamment représentées au départ, trouvaient très peu de concurrence même si lors des deux dernières éditions d'avant-guerre, un nouveau pays venait quelque peu contester la domination italo-franco-belge : la Suisse. Paul Egli obtient ainsi la médaille de bronze en 1937 avant de s'emparer de l'argent douze mois plus tard, devançant son compatriote Léon Amberg.
Le conflit mondial brisait ce bel élan helvète pensait-on puisque les deux gaillards, déjà trentenaires, ne retrouvaient pas leur niveau d'antan en 1946. D'autres champions pointaient néanmoins le bout de leur nez comme un certain Ferdi Kübler. Ce n'est pourtant pas lui qui hissera le drapeau rouge à croix blanche sur le toit du monde cette année là. Hans Knecht, qui n'avait jusque là jamais brillé au-delà des frontières de son pays natal, profitait du fait que l'épreuve se déroulait à Zürich pour devancer deux Belges, Marcel Kint, le dernier vainqueur en 1938, et un certain Rik Van Steenbergen à l'aube d'une carrière qui le verra revêtir trois fois le maillot irisé, exploit déjà accompli par Alfredo Binda et que parviendra aussi à réussir plus près de nous Oscar Freire.
Quant à Hans Knecht, il ne fera plus beaucoup de résultats après ce coup d'éclat, remportant son championnat national l'année suivante et le Tour du Nord-Ouest de la Suisse. Cinq ans plus tard, Kübler apportera un nouveau titre mondial à la Confédération qui devra ensuite attendre 1997 et Oscar Camendzind pour revivre pareil bonheur. Et elle devrait encore patienter quelques années alors que Fabian Cancellara arrive tout doucement à la fin de sa carrière et que la relève n'a pas encore totalement pointé le bout de son nez. 1965 : Tom Simpson (Royaume-Uni)
Le nom du Britannique reste indissociable de celui du Mont Ventoux où il perdit la vie lors de l'été 1967. Les images du coureur de l'équipe Peugeot décédant en direct sous les caméras de télévision sont ancrées dans la mémoire collective. Simpson, qui avait notamment pris des d'amphétamines ce jour là, a souvent été considéré comme une victime du dopage. Mais c'était oublier qu'avant ce funeste jour, il s'était forgé un joli palmarès dont le point d'orgue se trouvait à Lasarte-Oria dans le Pays Basque espagnol.
S'il avait déjà accroché le Tour des Flandres (1961) et Milan - San Remo (1964), devenant le premier sujet de sa Gracieuse Majesté à le faire, cela n'était pas comparable à un titre mondial. Détaché avec l'Allemand Rudi Altig, Simpson n'était pas spécialement favori au moment de l'emballage final. Mais le Britannique prenait le meilleur sur son adversaire, signant sa victoire du "V" si cher à Winston Churchill.
Ce triomphe permettra à celui qui s'était établi à Mariakerke près de Gand de se faire reconnaître dans un pays pour lequel le cyclisme était une affaire de Continentaux. Il sera même reçu par la Reine. Simpson fera honneur à son maillot en s'adjugeant le Tour de Lombardie quelques semaines plus tard et remportera aussi Paris-Nice en 1967.
Après le décès tragique de Tom Simpson, le Royaume-Uni devra attendre jusqu'en 2011 et le sacre de Mark Cavendish à Copenhague pour voir un des siens endosser la prestigieuse tunique.
1983 : Greg LeMond (Etats-Unis)
Petit, Greg LeMond rêvait de devenir champion de ski. Son entraineur lui a un jour conseillé de pratiquer le vélo pour parfaire sa condition physique. Se rendant rapidement compte de ses aptitudes sur deux roues, le Californien se réoriente rapidement vers cette discipline qui ne suscite pas vraiment l'enthousiasme au pays de l'Oncle Sam. Repéré par Cyril Guimard, LeMond ne tarde pas à faire étalage de ses qualités physiques exceptionnelles. Vainqueur du Tour de l'Avenir en 1982, il réussit l'exploit de terminer 2e des championnats du monde derrière Guiseppe Saronni.
Mais l'année suivante, il prend sa revanche en s'imposant en solitaire sur le circuit suisse d'Altenrheim. Un succès qui lance définitivement l'Américain qui ramènera ensuite le maillot jaune à trois reprises à Paris. La dernière fois, en 1989, année où il retrouvera la tunique arc-en-ciel à Chambéry après avoir battu au sprint le Soviétique Dimitri Konyshev, l'Irlandais Sean Kelly et le Néerlandais Steven Rooks.
Pionnier du cyclisme aux Etats-Unis, Greg LeMond n'aura pourtant pas le même impact que Lance Armstrong, un Texan qui l'imitera non seulement en remportant le Tour de France (à sept reprises même si ses titres lui ont été retirés), mais surtout avant ça en piégeant les favoris sur le circuit d'Oslo en 1993. Inconnu à l'époque, Big Tex profitait de cela pour déposer sa carte de visite aux Miguel Indurain, Olaf Ludwig, Johan Museeuw, Andrei Tchmil et autre Maurizo Fondriest. Un phénomène était né, mais depuis lors le pays à la bannière étoilée n'a plus jamais revu les couleurs de l'arc-en-ciel.
1987 : Stephen Roche (Irlande)
Petit pays, mais grande génération. Dans les années 80, l'irlande a eu la chance de pouvoir compter sur deux énormes talents avec Stephen Roche et Sean Kelly. Ils ont d'ailleurs tous les deux remporté Paris-Nice, même si c'est le second qui était un véritable adepte de la "course au soleil" avec sept victoires finales.
Mais 1987 sera l'année de Stephen Roche. Quatrième de Paris-Nice, il est battu par Moreno Argentin à Liège-Bastogne-Liège avant de devenir irrésistible par la suite. Il remporte le Giro avant d'en faire de même avec le Tour de France. Un doublé rare, un doublé unique, mais l'Irlandais fera encore plus fort.
Sur le circuit de Villach en Autriche, il fausse compagnie à un groupe de dix hommes et fait parler ses qualités de rouleur pour résister et couper la ligne en vainqueur. Stephen Roche devient le premier Irlandais à conquérir le titre mondial alors que l'on aurait plus attendu Sean Kelly qui devra se contenter du bronze en 1982 et 1989.
Il ne sera en revanche pas le premier à réaliser cet incroyable triplé Giro-Tour-Mondial puisqu'un certain Eddy Merckx l'avait déjà réussi en 1974. Mais après ces quelques mois de folie, Roche ne parviendra plus à revivre de telles sensations et terminera sa carrière avec des résultats plus modestes. Son heure de gloire était passée, mais son nom restera écrit en lettres dorées dans la légende
1995: Abraham Olano (Espagne)
En 1995, Miguel Indurain est au sommet de son art. Vainqueur de son 5e Tour (qu'on ne pense pas être le dernier à l'époque) quelques semaines plus tôt, le Navarrin écrase la concurrence dans son exercice fétiche, le contre-la-montre, lors des championnats du monde. Il devance un certain Abraham Olano avec lequel il va tenter d'offrir à l'Espagne le titre sur l'épreuve en ligne, chose qui n'est jamais arrivée dans l'histoire.
Le circuit colombien de Duitama, situé à 2500 mètres d'altitude, pourrait en surprendre plus d'un. Mais pas les Espagnols qui se retrouvent bien représentés à l'avant avec deux hommes. Profitant du marquage dont faisait l'objet le roi Miguel, Abraham Olano prend la poudre d'escampette dans l'avant-dernier tour. Malgré un boyau dégonflé dans les derniers kilomètres, celui qui a souvent été considéré comme le clone d'Indurain va résister jusqu'au bout pour ramener le maillot irisé pour la première fois en terre espagnole.
Trois ans après ce succès, Olano retrouvera les joies d'un sacre mondial, dans la discipline du contre-la-montre cette fois. Il s'adjuge aussi le Tour d'Espagne la même année. Mais le Basque a surtout libéré son pays qui a ensuite remporté le maillot arc-en-ciel à quatre autres reprises (3 fois Oscar Freire, une fois Igor Astarloa).
Sans oublier les six podiums d'Alejandro Valverde, le véritable "Poulidor" de cette épreuve.
2000 : Romans Vainsteins (Lettonie)
C'est en terre de cyclisme reconnue que Plouay accueille l'épreuve en 2000. Les conditions climatiques sont difficiles sur les routes bretonnes et la journée s'annonce éprouvante. Neuvième de Milan-San Remo, troisième du Tour des Flandres et quatrième de l'Amstel, Romans Vainsteins est à peine cité parmi les outsiders. Surtout que la Lettonie ne peut aligner que trois coureurs au départ. Dans une épreuve où le rôle des équipiers est souvent déterminant, Vainsteins n'est donc pas favorisé.
Mais il est dit que cette journée verra souffler un vent venu de l'Est. Les dévoués Raivis Belohvosciks et Arvis Piziks font leur travail afin que leur leader arrive le plus frais possible en cas d'arrivée au sprint. Et comme les Polonais de Zbigniew Spruch font le boulot pour empêcher les puncheurs de se faire la malle, c'est donc une vingtaine de coureurs qui se présentent dans les 500 derniers mètres malgré une belle tentative du plus slave des Belges, Andreï Tchmil, qui avait décidé de refaire le coup de son Milan - San Remo victorieux de 1999.
Mais aux 200 mètres, Romans Vainsteins déclenche son effort. Surpuissant, le Letton résiste au retour de Spruch pour offrir ce qui reste l'une des victoires les plus surprenantes de l'histoire des Mondiaux. La suite de l'histoire sera moins rose, du moins dans un premier temps.
Bien aidé par son flair, Patrick Lefevere avait déjà engagé le futur champion du monde en vue de la saison suivante. Sur le podium à Milan-San Remo, il remet le couvert à Paris-Roubaix quelques semaines plus tard. Cependant, il ne parvient plus jamais à remporter une grande course. En 2004, son contrat chez Lampre n'est pas renouvelé. Déçu et sans doute plus assez motivé, le Letton raccroche son vélo au clou à seulement 31 ans.
2009 : Cadel Evans (Australie)
Cadel Evans a la "lose" dans la peau. Il est certes un bon coureur, régulier, sympathique, mais apparaît trop court pour réaliser son rêve : gagner le Tour de France. Deux fois deuxième du Tour en 2007 et 2008, l'Australien s'est complètement planté en 2009 et voit l'émergence de concurrents plus jeunes et plus talentueux que lui avec Alberto Contador et Andy Schleck. De plus, au sein de son équipe, un jeune au dents longues, Jürgen Van den Broeck, a montré qu'il pouvait devenir un leader à long terme. Bref, à 32 ans, Cadel Evans semble être sur la pente descendante. Et ce n'est pas sur une course d'un jour comme le championnat du monde, qui plus est sur un circuit favorisant les coureurs puissants et/ou explosifs, qu'il va se découvrir un goût pour la victoire Du moins pense-t-on.
Car à Mendrisio, l'Australien va surprendre tout son monde en s'en allant dans les derniers kilomètres de l'épreuve. Lui l'homme au démarrage mou s'envolait, alors qu'on attendait Gilbert ou Cancellara, pour aller chercher le plus beau succès de sa carrière. Tellement émouvant qu'il ne pourra s'empêcher de laisser couler quelques larmes au moment de recevoir son précieux bien.
Mais le meilleur restait à venir pour l'Australien puisqu'il finissait par remporter le Tour de France en 2011 alors qu'on ne l'en croyait plus capable. Cette année, il disputait ses derniers mondiaux et espérait bien faire de Simon Gerrans son successeur. Ce ne sera pas le cas, ce qui lui permet de rester l'unique Aussie à avoir porter les tuniques arc-en-ciel et jaune.
Pas mal pour un loser.
2010 : Thor Hushovd (Norvège)
Difficile de dire que la Norvège est une terre de cyclisme. Cela ne va pourtant pas empêcher Thor Hushovd de faire son trou dans le peloton. Il effectue ses premiers tours de roue à neuf ans et bénéficie des conseils de l'ancien professionnel Dag Otto Lauritzen, vainqueur d'étape au Tour et 7e du championnat du monde d'Oslo en 1993.
Dès son premier Tour de France, il s'adjuge une étape lors du contre-la-montre par équipes avant d'en gagner une seconde "en ligne" l'année suivante. Au total, il remporte 11 étapes sur l'épreuve. Champion du monde du chrono chez les espoirs, le grand Thor rêve d'en faire de même chez les pros. Mais c'est sur l'épreuve en ligne qu'il décrochera le Graal.
Sur le circuit de Geelong, en Australie, Philippe Gilbert fait figure d'épouvantail. Dans la dernière côte du parcours, le Remoucastrien met les gaz et semble parti vers le sacre. Mais la distance entre le sommet de la bosse et l'arrivée est trop longue et le peloton rattrape le fuyard. Ne pouvant pas spécialement compter sur une équipe en surnombre, Hushovd la joue Vainsteins et fait parler sa puissance dans la dernière ligne droite.
Avec son beau maillot sur les épaules, celui qui a le prénom du dieu du Tonnerre dans la mythologie nordique espérait bien remporter la course qui le faisait fantasmer : Paris-Roubaix. Mais le jeu d'équipe, qui profitera à Johan Van Summeren, et le marquage sur un Fabian Cancellara qui faisait peur a tout le monde le priveront de son rêve.
Après deux années difficiles, Thor Hushovd a décidé de se retirer du peloton professionnel. Une fin en demi-teinte pour le meilleur coureur norvégien de l'histoire.
2013: Rui Alberto Faria da Costa (Portugal)
La politique du leader unique est souvent la meilleure pour briller dans un championnat du monde. Quand les égos s'en mêlent, on en arrive souvent à des déconfitures comme celle connue par l'Espagne sur le circuit de Florence.
Dans la dernière difficulté du jour, Joaquin Rodriguez attaque et seuls Vincenzo Nibali, Alejandro Valverde et Rui Costa peuvent le suivre. Purito repart seul à 2km du but, mais se fait ensuite rejoindre et dépasser par Rui Costa qui avait la jonction entre temps après avoir surpris l'Italien et celui qui est son équipier au sein de la Movistar.
Comme Romans Vainsteins en 2000, le Portugais ne pouvait compter que sur deux équipiers au départ, dont un abandonnera assez rapidement. Mais il a su compenser ce manque de soutien avec son intelligence de course et sa gestion physique. Mais aussi la volonté de Valverde de voir un coureur de son équipe de marque triompher plutôt qu'un compatriote diront les mauvaises langues.
Ce succès a considérablement "dopé" la notoriété du Portugais qui est parti chez Lampre pour avoir le statut de leader unique qu'il ne pouvait pas avoir chez Movistar. Il a aussi été récompensé par le titre de "sportif portugais de l'année". Au pays de Cristiano Ronaldo, ce n'est pas rien.
Fabien Chaliaud