Paul Van Himst raconte les secrets de sa profonde amitié avec Eddy Merckx: "Quand j'étais aux soins intensifs, il était tous les jours près de mon lit d'hôpital"

Presque 60 ans plus tard, les deux sont les plus grands amis. "On se voit tous les jours", dit Van Himst. "En va boire un verre après mon boulot ou on va manger un bout. Et quand on ne se voit pas, on s’appelle. On parle de tout. Du sport, de nos vies privées, de la santé, même de la politique. On veut changer le monde. Mais on n’y parvient pas (Rires)."

L’amitié entre les deux ne s’est renforcée qu’après leur carrière. "On n’avait pas le temps de se voir souvent pendant nos carrières", indique Van Himst. "On ne s’est rencontrés que de temps en temps. Mes parents vendaient du café au magasin de ses parents à Woluwe. Et on a notamment participé à une émission pour enfants à Namur. Mais il n’y avait pas de contact courant entre nous."

Le comble veut que Van Himst était supporter de Rik Van Looy et Merckx était grand fan du Racing White, où il avait débuté comme jeune footballeur. Van Himst relativise : "Quand j’étais jeune, c’était la mode d’être pour Van Looy. Mais j’ai vite savouré les succès d’Eddy. Je me souviens des discours d’Albert Roossens, notre ancien président à Anderlecht. Quand Eddy avait gagné une grande course comme Milan - Sanremo le samedi après-midi, il nous motivait pour le match du soir en disant qu’Eddy devait nous servir d’exemple."

Et quid de l’amour de Merckx pour le RC White ? Van Himst : "Le maître Gooris était son grand ami. Quand il a été mis de côté par Jean-Baptiste l’Écluse lors de la fusion, il n’a plus été au stade Machtens pour voir le RWDM."

En 1978, Merckx a dit adieu au cyclisme. Van Himst : "J’avais entendu que ça n’allait pas trop bien avec lui. J’ai décidé d’aller le trouver. Je me souviens que Guillaume Michiels, son soigneur, était en train de laver la voiture d’Eddy. Il lui a passé le message comme quoi il devait me rappeler. On s’est fait rendez-vous, et on ne s’est plus perdu de vue, surtout vu que le courant passait aussi très bien entre les épouses et entre les enfants."

Surtout dans les moments difficiles, l’un est là pour l’autre. Et vice versa. Van Himst : "La fin 2013 était une période très dure pour moi. J’ai passé le mois de novembre aux soins intensifs à l’hôpital de Jette avec des problèmes de santé, et mon épouse est décédée en décembre. Eddy était tous les jours à mon lit d’hôpital. Je lui disais qu’il ne devait pas faire tous ces efforts, mais pas moyen de lui faire changer d’avis. Il tenait à être là."

Merckx, lui aussi , a eu des problèmes privés. "Récemment, il a souffert quand sa petite-fille - la plus jeune fille d’Axel, qui habite au Canada - a eu une tumeur sous le genou. Finalement, elle a été opérée aux États-Unis par un chirurgien qui leur a été conseillé par Lance Armstrong. Maintenant, cela a l’air d’aller mieux avec elle. Je croise les doigts pour toute la famille. La fille aînée d’Axel, elle, est une championne de natation. Vu qu’ils habitent si loin, Eddy ne les voit pas souvent. Le mois passé, elle a participé aux championnats de Belgique de natation. Cela m’a fait quelque chose de la voir nager. Elle a le caractère d’Eddy."

Bref : Paul et Eddy sont inséparables. "Si on s’est déjà disputés, pendant toutes ces années ? Il doit y avoir eu l’une ou l’autre friction, comme dans les meilleurs couples. Mais il s’agit de futilités qu’on oublie le lendemain."

"Il a chassé les hooligans de Milan"

Eddy et Paul sont voisins dans la tribune d’Anderlecht et ont connu des déplacements européens épiques.

Ils sont les seuls, après la reprise d’Anderlecht par Marc Coucke, à avoir pu garder leur place gratuite dans la tribune d’honneur du Sporting. L’un est rarement là sans l’autre. "Mais moi, je pars souvent avant la fin du match, pour ne pas être dans les bouchons", dit Van Himst. "Eddy, lui, veut voir le match jusqu’au bout. C’est un acharné. J’essaie toujours de le calmer, mais ce n’est pas évident. Après la rencontre, on se retrouve à Grand-Bigard pour boire un verre et papoter du match."

Merckx est devenu grand supporter d’Anderlecht quand Van Himst a été désigné entraîneur des Mauves , en 1982. Van Himst : "Il avait un excellent contact avec Constant Vanden Stock, qui l’invitait aux matchs européens. La tradition a été maintenue jusqu’à ce jour. Cela fera bizarre, cette saison, de devoir rester chez nous."

Le tout premier déplacement européen de Merckx était celui en Finlande, à Koparit Kuopio, où Anderlecht a gagné 1-3. "J’étais entraîneur, je n’ai donc pas participé au traditionnel banquet organisé par le club local. Mais visiblement, les invités ont été priés de se rendre au sauna après le repas. Même monsieur Constant, pourtant toujours très réservé, s’est laissé convaincre à se déshabiller. Et Eddy a raconté que Michel Verschueren et lui-même ont sauté nus dans un petit lac, alors qu’il faisait zéro degré (rires)."

Merckx a assisté à deux finales européennes de son ami Paul : à Benfica et à Tottenham. Van Himst : "Je me souviens de ce long tunnel dans le stade de Benfica. Soudainement, mon ami Eddy était à côté de moi. Tout le monde le connaissait, il pouvait passer partout."

La popularité de Merckx est la plus grande en Italie, croit Van Himst. Le 1er novembre 2006, la tête connue d’Eddy a peut-être sauvé un supporter d’Anderlecht à Milan. Van Himst fait le récit. "Le jour du match entre Milan et Anderlecht (4-1, trois buts de Kaka), on va s’acheter une écharpe avec les noms des deux clubs. Tout à coup, un supporter d’Anderlecht - visiblement un policier d’Overijse - s’écroule devant nos yeux, après avoir été tabassé par six ou sept Italiens. Le sang dégoulinait de son visage."

Alors que Van Himst était stupéfait, Merckx a pris les choses en main. Van Himst : "Je ne sais pas si ces hooligans l’ont reconnu, mais ils ont pris la fuite. Eddy était en costume et en mocassins, mais il a failli les rattraper, alors qu’il avait 62 ans."

La scène caractérise bien la personne Merckx. Van Himst : "Cela va déjà un petit peu mieux, mais il passerait à travers un mur. C’était sa qualité en tant que sportif : il voulait bouffer ses adversaires. D’où sans doute son surnom de Cannibale…"

Sur Eddy l’Anderlechtois: “Un incident Merckx – Dehaene au Club”

La grande passion de Merckx – le RSC Anderlecht – a parfois provoqué des tensions. Van Himst : “Nous évitons les matchs en déplacement. Surtout à Bruges, c’est devenu trop risqué. On devait passer derrière le kop pour aller du parking à la Tribune 1. Que l’on s’appelle Van Himst ou même Merckx : on n’échappe pas aux noms d’oiseaux.”

Même l’ancien Premier ministre Jean-Luc Dehaene a agressé verbalement Merckx. Van Himst : “Je ne me souviens plus des détails, mais je suppose qu’Eddy avait dit quelque chose sur le match. Dehaene était aussi acharné qu’Eddy. Il n’avait pas apprécié la remarque d’Eddy, et il le lui avait fait comprendre.” Au Lierse, en revanche, l’incident était plus grave. “Là, Eddy a failli se faire agresser physiquement.”

Sur Eddy le footballeur: “Eddy, médian en vétérans au RSCA”

Après leur carrière, Van Himst a fait du vélo et Merckx du foot. Un jour, Van Himst a raconté qu’il avait placé un démarrage lors d’une randonnée à Neufchâtel sur un parcours vallonné. Il pensait avoir une avance considérable sur le groupe de Merckx. Mais en réalité, Merckx était toujours à 200 mètres de lui. Il se marrait, sans faire le moindre effort. Van Himst : “Je l’avais déjà oubliée, cette anecdote. Par contre, je me souviens des matchs d’Eddy avec les vétérans d’Anderlecht, comme Heylens, Plaskie et Cornelis.
Au début, il était embêté de jouer avec eux. Il n’avait pas la musculature d’un joueur de foot. Mais il savait taper dans une balle, croyez-moi. Il avait un physique de dingue et une bonne passe dans les pieds, même de l’extérieur.
Il jouait dans l’entrejeu, mais a souvent mis des buts.”

Sur Eddy le Héros de ce 6 juillet: “Super pour lui, mais je le plains”

Paul Van Himst sera évidemment présent au Grand Départ du Tour de France à Bruxelles, où son ami Eddy sera mis à l’honneur. “C’est une belle initiative de la part d’Alain Courtois”, dit Van Himst. “Eddy le mérite. C’était un grand sportif et un homme extraordinaire. Mais je ne voudrais pas être à sa place, ce jour-là. Ce sera la folie. On m’a invité à la Grand-Place pour le départ de l’étape. Mais je ne crois pas que je vais y aller. Pour me retrouver dans un bain de foule, parmi des milliers de personnes ? Par contre, j’irai au banquet organisé par l’ASO dans l’Atomium après la course. Mais je plains Eddy…”