Les confessions d'Erik Zabel: "Désormais, je suis un homme heureux"
La silhouette est restée élancée et les joues creusées. À bientôt 47 ans (le 7 juillet), Erik Zabel a conservé le physique d’un coureur pro.
- Publié le 30-06-2017 à 11h47
- Mis à jour le 30-06-2017 à 12h55
La confession de ses erreurs a libéré l’Allemand. La silhouette est restée élancée et les joues creusées. À bientôt 47 ans (le 7 juillet), Erik Zabel a conservé le physique d’un coureur pro. "Je sens pourtant que le temps fait son œuvre", sourit l’Allemand à notre remarque. "J’enfourche mon vélo quatre fois par semaine, mais le plus souvent pour une sortie de deux heures tout au plus."
Retraité des pelotons au terme de la saison 2008, le quadruple vainqueur de Milan-Sanremo est aujourd’hui employé par le constructeur allemand Canyon pour qui il gère le partenariat technique avec les formations Movistar et Katusha. Un quotidien en retrait d’un cyclisme professionnel qui lui a tourné le dos dans la foulée de ses confessions de dopage en 2013, mais dans lequel il semble, enfin, pleinement épanoui.
Erik, la première question est celle que l’on adresse à quelqu’un que l’on retrouve. Comment allez-vous ?
"Bien, je vous remercie ! Je peux dire aujourd’hui que je suis un homme heureux. Après avoir reconnu mes erreurs il y a quatre ans, j’ai tenté de faire face à la vérité. En football, on dirait sans doute que je me suis brandi moi-même la carte jaune (rires) . J’ai, dans la foulée, abandonné l’ensemble de mes différents rôles dans le monde du cyclisme. La rupture a été brutale et totale mais cela m’a permis, d’une certaine manière, d’opérer une sorte d’analyse, de me reconsidérer. Il me fallait abandonner mon ancienne vie, laisser toute une époque au bord de mon chemin de vie. Après une année sabbatique, Canyon m’a proposé un job dans lequel je suis pleinement épanoui."
Avez-vous eu le sentiment de vous libérer d’un poids en reconnaissant vos erreurs ?
"Ces instants n’ont pas été faciles à vivre mais j’ai désormais digéré tout cela. J’ai le sentiment de ne plus devoir avoir peur de quoi que ce soit. De m’être délesté d’un sac à dos que je trimballais depuis de nombreuses années…"
Même si vous n’êtes pas employé par une équipe, votre quotidien reste articulé autour du vélo. Était-il inconcevable pour vous de tirer un trait définitif sur la discipline ?
"Juste après ma carrière de coureur, j’étais convaincu que toute ma reconversion serait en lien avec le cyclisme pro. C’est d’ailleurs la voie que j’avais empruntée avec des rôles de conseiller et directeur sportif chez HTC et Katusha. Mais les choses ont changé. J’ai dû admettre les conséquences de mes erreurs passées et il fut rapidement clair que je n’avais plus d’avenir dans ce secteur précis. Couper les ponts n’a pas été simple car je tournais le dos à ce que j’avais toujours connu jusque-là. Mais désormais, mon état d’esprit est diamétralement opposé. Je ne me vois pas revenir dans le monde pro. J’ai trouvé le bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Le cyclisme a beaucoup changé. Le boulot de directeur sportif ne consiste plus seulement à coacher l’équipe en course. L’essentiel des journées est désormais composé par la rédaction de rapports et de plannings. Tout est très scientifique et le job vous occupe à temps plein 300 jours par an. Les équipes vont sans cesse plus loin dans l’innovation et tout le monde veut suivre le mouvement. Non, vraiment, je ne voudrais plus faire machine arrière…"
Ce grand départ matérialise-t-il, à vos yeux, le renouveau du cyclisme allemand ?
"Je n’en suis pas certain… L’intérêt des Allemands pour le cyclisme est très opportuniste. Ils ont besoin d’une star pour se passionner pour autre chose que le foot. Autrefois, certains étaient capables de se réveiller au milieu de la nuit pour suivre un match de Boris Becker ou Steffi Graf. Mais depuis… Kittel a tout pour être la figure de proue de notre sport. Il livre un discours fort, possède un look de play-boy et enchaîne les victoires. Mais il est plus populaire en Belgique qu’en Allemagne…"
"L’Allemagne est la nation du sprint"
Vainqueur de douze étapes du Tour de France et de quatre Milan-Sanremo, Erik Zabel a vécu le sommet de sa carrière sportive à l’âge où André Greipel, John Degenkolb ou Marcel Kittel enfourchaient leurs premiers vélos. "Il serait extrêmement prétentieux de m’attribuer la paternité de cette fantastique génération de sprinters (rires). Je pense plutôt qu’elle est le fait de notre école de cyclisme. Dans les catégories de jeunes, les courses rassemblent souvent une centaine de partants sur des profils généralement plats ou légèrement vallonnés."
Et de continuer : "La victoire se joue donc le plus souvent dans la dernière ligne droite. Nos jeunes coureurs apprennent donc très vite à manœuvrer à haute vitesse. L’Italie produit davantage de grimpeurs et la Belgique des coureurs très habiles dans le vent. On peut parler d’une forme d’écolage. L’Allemagne peut, en tout cas, affirmer être aujourd’hui la nation du sprint."
Kittel, Greipel, Degenkolb : quel est le meilleur sprinter parmi ces trois spécialistes ? "C’est difficile à dire car ils sont chacun très forts sur des terrains spécifiques. Kittel est, sans doute, intrinsèquement le plus puissant et donc le plus rapide sur un terrain plat. Lorsque la course a été usante ou que la dernière ligne droite est en très légère montée, c’est Greipel qui émerge. Et quand la bataille se fait un peu plus intense, Degenkolb surgit alors (rires). Il serait périlleux d’avancer le nom de l’actuel meilleur sprinter du monde. Mais cela en est d’autant plus excitant à l’aube de ce Tour !"
"Sagan est une bénédiction pour le vélo"
Recordman de victoires au classement par points du Tour de France avec ses six maillots verts, Erik Zabel pourrait voir Peter Sagan le rejoindre dès cette année au sommet de cette hiérarchie particulière.
"Je me fais une raison, le double champion du monde me dépossèdera très prochainement de mon record", sourit celui qui vit désormais dans la grande banlieue de Dortmund. "Si cela devait être le cas un jour, je n’aurais pu rêver plus beau coureur que Sagan pour m’évincer des tablettes. Il n’a encore que 27 ans et j’ai le sentiment qu’il s’améliore encore année après année. Les choses semblent tellement faciles et naturelles lorsqu’on le voit sur un vélo… Il est très clairement le meilleur coureur de sa génération et je ne vois pas pourquoi cela changerait."
Personnalité hors norme, Sagan plaît à Erik Zabel pour bien autre chose que ses facéties. "Ce que j’apprécie le plus chez lui, c’est sans doute qu’il n’a jamais peur de perdre pour gagner. Il se livre sans retenue, avec une rafraîchissante spontanéité. Dans le cyclisme moderne, le contrôle est érigé en mot d’ordre par beaucoup. Les oreillettes, les staffs toujours plus larges : toutes les équipes cherchent à maîtriser un maximum de paramètres. À mes yeux, le double champion du monde est la parfaite antithèse de tout cela. Il est dirigé presque exclusivement d’après ses émotions. Et je crois que c’est précisément pour cela que les gens l’aiment autant. Sagan est une bénédiction pour le vélo et la meilleure chose qui soit arrivée au cyclisme ces dix dernières années."
Déjà quintuple maillot vert du Tour, le Slovaque n’appartient pourtant pas à la caste des véritables sprinters.
"Et c’est précisément cela qui fait sa force", continue Zabel. "Ce gars sait absolument tout faire (rires) ! Même si les organisateurs tentaient de remanier le barème des points de ce classement, je suis convaincu qu’il ramènerait tout de même le maillot vert à Paris. Comme moi, il a déjà enlevé deux fois ce ranking sans remporter d’étape mais on ne peut tout de même pas le lui reprocher (rires). Même lorsque Cavendish ou Greipel lèvent quatre fois les bras sur un seul et même Tour, c’est tout de même Peter qui ramène le vert…"
"Je laisse mon fils tracer sa voie"
Neuf ans après la dernière participation d’Erik à la Grande Boucle (en 2008 sous le maillot de Milram), un autre Zabel sera au départ de la 104e édition du Tour ce samedi. Seul et unique enfant du sextuple maillot vert, Rick fait en effet partie de la sélection du Team Katusha, où il sera principalement amené à épauler Alexander Kristoff.
Erik, comment votre fils en est-il venu au cyclisme ? Est-ce le podium des Champs-Élysées sur lequel vous l’emmeniez qui l’a inspiré ?
"Non, pas vraiment. Il a débuté le sport par le foot. Mais après avoir pris part à une sorte de critérium organisé dans notre ville et au terme duquel il avait pris la seconde place, il s’est mis en tête de devenir coureur cycliste. Il devait avoir 10 ans. Ma femme a posé son veto car elle le jugeait trop jeune et souhaitait qu’il termine la saison dans son équipe de foot. Il s’est montré patient et est revenu à la charge deux ans plus tard (rires) . Après avoir évolué dans le club de notre ville, à Unna, il est parti dans l’Est de l’Allemagne dès ses 14 ans pour évoluer au sein du Thüringer Energien , la célèbre équipe qui a formé Martin, Kittel ou Degenkolb."
Il n’a pas choisi la facilité. Porter le nom de Zabel ne doit pas être simple lorsque l’on fait du vélo…
"Il a grandi avec cela et s’en accommode plutôt bien. Il me dit parfois que si nous devions nous retrouver dans un livre, nous ne serions assurément pas dans le même chapitre car, comme nos époques, nous sommes très différents. Je lui réponds que, pour aller plus loin, nos livres ne seraient même pas dans la même bibliothèque (rires) ."
Lui prodiguez-vous beaucoup de conseils ?
"Lorsque Rick était jeune, je ne pouvais m’empêcher de lui donner mon avis sur son évolution, de lui faire des remarques. Nous nous sommes rendu compte que cela créait pas mal de tensions et nuisait à notre relation. Depuis qu’il est passé pro (NdlR : à 19 ans chez BMC !) , je tente vraiment de rester en retrait. Je le laisse tracer sa voie. Je suis son plus grand supporter mais j’évite de m’immiscer dans sa carrière. Il a un super staff autour de lui, un coach et un manager personnel en qui il a pleine confiance. Cette distance vis-à-vis de sa vie professionnelle nous a permis de retrouver une forme de liberté."
De nombreux coureurs confient souvent ne pas chercher à ce que leurs enfants se mettent au cyclisme tant ce sport est difficile et nécessite des sacrifices…
"À raison ! Si vous retirez les dérives inhérentes à mon époque, je pense même que nous avions alors une plus belle vie. Aujourd’hui, chaque entraînement est calibré de manière scientifique, il faut suivre un programme à la lettre. Lorsque j’y songe, je me dis que je ne voudrais pas être pro aujourd’hui... Mais que voulez-vous faire ? Quand on aime son enfant, on le supporte quoi qu’il fasse. La chose la plus importante est de comprendre qu’il faut éviter de comparer les époques. Eddy Merckx reste le plus grand coureur de tous les temps. Vouloir le mettre en balance avec son fils Axel n’aurait pas de sens car tout change en près de quarante ans et qu’ils sont tout simplement différents. La plus grosse erreur serait de dire à mon fils qu’il doit tout faire comme moi. Les temps ont changé, le cyclisme a changé, la vie a changé."
Quel sentiment vous procure sa première sélection pour le Tour ?
"Je suis très heureux pour lui. Mais ma fierté de père n’est pas fonction de ses résultats ou de ses prestations. Je l’aime pour ce qu’il est, peu importe ce qu’il accomplit. Je sais que le Tour est un sacré défi, incomparable avec les autres courses du calendrier. Les équipes mettent une réelle pression sur leurs coureurs car elles savent que cette seule épreuve leur garantit 80 % de leur visibilité annuelle. Mais, au final, si on survit à la Grande Boucle, elle fait grandir chaque coureur qui voit les Champs-Élysées."
Quel type de coureur est Rick à vos yeux ?
"Il possède une bonne pointe et est assez complet. Il n’a que 23 ans, il ne faut pas chercher à se spécialiser trop vite. Les vérités du cyclisme sont souvent implacables. Si vous êtes largué dans chaque bosse, vous savez vite que vous ne serez pas grimpeur (rires) ."
"Je préfère suivre ses courses à la télé"
S’il sera présent sur une partie du Tour en tant que responsable du partenariat technique entre le constructeur allemand Canyon et les équipes Movistar et Katusha, c’est le plus souvent devant sa télévision qu’Erik Zabel suit les prestations de son fils. "Je suis un peu moins nerveux devant mon petit écran, sourit-il. Ma femme fonctionne, elle, totalement à l’inverse. Lorsque je me rends sur une course, je peux difficilement tenir en place… Un mélange de stress et d’adrénaline que je peine à contrôler m’envahit immanquablement."