Gianni Savio, l'homme qui a découvert Bernal: "Egan est un talent hors norme"
Manager de la formation italienne Androni, Gianni Savio est l’homme qui a amené Egan Bernal en Europe et fait passer la pépite colombienne chez les pros. Récit de la découverte d’un trésor par cet infatigable chercheur d’or
- Publié le 23-07-2019 à 08h21
- Mis à jour le 23-07-2019 à 12h25
Manager de la formation italienne Androni, Gianni Savio est l’homme qui a amené Egan Bernal en Europe et fait passer la pépite colombienne chez les pros. Récit de la découverte d’un trésor par cet infatigable chercheur d’or.
La découverte
“Quand on m’a présenté Egan, j’ai répondu que je ne cherchais pas à engager un enfant…”
À 71 ans, Gianni Savio est incontestablement l’un des personnages les plus truculents du cyclisme italien. Toujours tiré à quatre épingles, même par plus de trente degrés à l’ombre, l’homme à la moustache et au brushing toujours impeccables est aussi l’un des spécialistes du marché sud-américain.
“J’ai mes antennes un peu partout dans le monde mais je nourris des relations privilégiées avec la Colombie, c’est vrai”, sourit le manager de la formation Androni-Giocattoli. “C’est le directeur de la radio nationale de ce pays qui a été le premier à me parler d’Egan Bernal. Il n’évoluait alors encore que très rarement sur la route et participait pour l’essentiel à des compétitions de mountainbike avec succès puisqu’il était monté à deux reprises sur le podium des Mondiaux de cross-country. Cela constituait tout de même une sacrée référence et m’avait tapé dans l’œil ! Un jour, alors que je discutais à l’arrivée d’une épreuve italienne avec l’ancien coureur Paolo Alberati, devenu agent de coureur, je lui fais savoir que le sprinter qu’il tentait de placer dans mon équipe ne m’intéressait pas, mais que j’étais en revanche à la recherche d’un grimpeur. Il m’a alors présenté Egan qui l’accompagnait justement ce jour-là. Lorsque j’ai rencontré le Colombien pour la première fois, alors qu’il n’avait que 18 ans, j’ai lancé à Alberati qu’il voulait que j’engage un enfant (rires)... Paolo m’a alors lancé qu’une fois qu’il m’aurait envoyé les résultats des tests physiques de Bernal, j’allais courir pour empoigner mon téléphone et le rappeler très vite… C’est effectivement ce qu’il s’est passé…”
Le premier contrat
“Il est passé des juniors aux pros comme un certain Remco Evenepoel”
En septembre 2015, à 18 ans, Egan Bernal remporte le Trofeo di Autunno del Monte Pisano-Sognando il Giro delle Fiandre, une épreuve juniors qu’il dispute en Toscane sous le maillot de l’équipe nationale colombienne.
“On appelle cela le petit Tour des Flandres car le final est agrémenté de côtes pavées”, sourit Savio. “Sa victoire ce jour-là a confirmé tout le bien que je pensais de lui. Le soir même, nous nous sommes retrouvés à Ovada, à mi-chemin entre la Toscane et le Piémont et je lui ai fait signer un contrat de quatre ans (NdlR : avec une clause le libérant pour le WorldTour qu’activera la Sky en 2018). Je sais que plusieurs équipes WorldTour l’avaient dans le viseur, mais elles souhaitaient le faire d’abord évoluer dans une structure de développement. D’autres formations continentales le suivaient également mais elles ont été plus hésitantes que moi à poser leur choix : en moins d’une heure, je m’étais décidé (rires). J’avais compris que j’avais affaire à un talent totalement hors norme. Comme votre compatriote Remco Evenepoel, Egan a donc fait le grand saut des juniors aux pros sans passer par la case espoirs. La réussite de ses deux coureurs aujourd’hui prouve que pour de tels talents, rien ne sert d’attendre à condition qu’il soit bien entouré…”
Son mental
“Egan est à la fois humble, orgueilleux et respectueux”
“J’ai vu passer de nombreux jeunes talents dans mon équipe et je pense que ce qui différencie sans doute le plus Egan du reste de ceux-ci, c’est son mental. Il s’agit d’un garçon extrêmement bien éduqué, qui concilie humilité, orgueil et respect. Je me souviens que lorsqu’il est arrivé chez nous, il m’a dit qu’il rêvait d’un jour évoluer dans la plus grande équipe du monde. Il avait déjà accompli cet objectif à 21 ans (NdlR : en signant chez Sky). Dans la foulée de sa victoire au Tour de Suisse, il aurait pu affirmer qu’il était le meilleur atout du Team Ineos pour le Tour de France, mais il est resté les pieds sur terre en affirmant qu’il se mettrait au service de Thomas. Egan est un gars loyal qui a compris que chaque chose venait en son temps. Sa compagne est une ancienne vététiste qui a les pieds sur terre elle aussi. Il s’accommode par ailleurs sans aucun problème de la pression. Dans son pays, on le voit déjà comme le premier vainqueur colombien du Tour, mais il ne s’enflamme pas pour autant.”
Son talent
“Il apprend plus vite que tous les autres”
“Pour sa première année chez les pros, en 2016, je me souviens qu’Egan avait réalisé un gros numéro lors de la Semaine Coppi Bartali, sourit Savio. Il était sorti seul, d’un groupe de favoris qui comprenait alors Landa lors de l’étape reine de cette épreuve avant de tomber dans la descente. Une erreur de jeunesse qu’il n’a, ensuite, jamais répétée. Lors de ses premiers pas dans le peloton pro, j’avais demandé à notre capitaine de route, Francesco Gavazzi, de le prendre sous son aile, mais ce dernier m’a rapidement fait comprendre qu’il n’avait déjà plus grand-chose à lui enseigner. Egan est un autodidacte qui regarde, analyse et apprend les choses beaucoup plus vite que les autres. Lors du dernier Paris-Nice, j’ai été subjugué de le voir évoluer avec aisance dans un coup de bordure. Je lui ai alors envoyé un message pour lui souffler qu’il était devenu un vrai Flandrien, ce à quoi il m’a répondu que c’était chez Androni qu’il avait appris cela. C’était sans doute pour me flatter (rires)… Egan n’a pas besoin qu’on lui montre les choses pour les maîtriser très rapidement. Quand je le vois évoluer dans le peloton du Tour cette année, j’ai le sentiment qu’il a déjà dix saisons dans les jambes et l’expérience d’un vieux briscard.”