Christian Prudhomme revient sur le Tour 2019: "L’audace appelle l’audace"
Le directeur du Tour a vécu une édition réussie car remplie d’émotions.
- Publié le 30-07-2019 à 06h48
- Mis à jour le 30-07-2019 à 08h08
Le directeur du Tour a vécu une édition réussie car remplie d’émotions. Patron du Tour de France depuis 2007, Christian Prudhomme confessait dimanche avoir refermé "sa plus belle édition" tant elle aura été chargée de moments forts. Du sacre de Bernal à l’espoir d’une victoire française, le boss de la plus grande course du monde dresse son bilan de trois semaines passionnantes.
Christian Prudhomme, ce Tour a été tellement dense qu’on ne sait pas s’il faut commencer par sa fin, son début ou le milieu au moment d’en tirer le bilan…
"Ce qui est certain, c’est que cette édition a été remplie d’émotions d’un bout à l’autre et qu’il s’agit d’un Tour extraordinaire. L’émotion suscitée par le Grand Départ de Bruxelles pour les 50 ans de la victoire d’Eddy Merckx avec ces gens qui pleuraient sur son passage n’est jamais retombée et a duré durant trois semaines avec les attaques de Julian Alaphilippe, de Thibaut Pinot, avec Bernal qui ne trouve pas les mots tant il est ému au moment d’endosser son premier maillot jaune, avec cette étape alpestre menant à Tignes stoppée au sommet de l’Iseran… C’est la première fois sur ce Tour que je révèle des choses dites au briefing des coureurs avant le coup d’envoi de l’épreuve. J’avais invité les acteurs à s’inspirer d’Eddy et de sa générosité. Cinquante ans après sa première victoire sur la Grande Boucle, si des gens pleurent sur son passage, ce n’est pas pour ses 525 victoires ou ses cinq tours mais c’est parce qu’il a procuré aux gens une émotion incroyable qui reste toute la vie. Le mois de juillet est le seul durant lequel des gens qui ne s’intéressent pas au sport suivent le cyclisme. J’ai le sentiment que l’ombre protectrice d’Eddy Merckx nous a accompagnés d’un bout à l’autre de ce Tour inoubliable."
Cette audace, cette générosité dans le chef des coureurs tient-elle aussi du tracé ?
"Non car l’étape d’Epernay ressemblait très fort à celle de Mûr-de-Bretagne de l’année dernière où il ne s’était pas passé grand-chose. Les organisateurs d’une course cycliste ne doivent jamais surestimer leur pouvoir, nous n’avons qu’un quart de la réponse. Cela ne veut pas dire que nous allons arrêter de travailler… (rires) Tout le monde a trouvé l’étape d’Epernay formidable mais derrière Alaphilippe, c’est un groupe de près de 40 coureurs qui se présentent ensuite sur la ligne. Cela tient beaucoup à un gars qui ose, qui est imprégné d’une forme de folie, d’instinct, de jeu. Ce qui m’a frappé c’est que les coureurs, en prenant du plaisir, nous ont donné du plaisir."
Julian Alaphilippe a-t-il été le poil à gratter qui a bouleversé les codes de ce Tour ?
"L’absence de Chris Froome, qui a été le personnage dominant et dominateur de cette épreuve depuis plusieurs années, a changé des choses. La porte s’est entrebâillée et un déclic s’est alors opéré dans la tête d’autres coureurs. Julian Alaphilippe a mis les deux pieds dans la porte, Pinot a tiré sur les battants et d’autres se sont ensuite engouffrés. C’est cela qui change les choses. Même si Ineos a enregistré son premier doublé depuis 2012, l’équipe est apparue moins dominatrice et la course a été passionnante, belle, sympa. J’ai aussi vu des nations historiques relever la tête, ce qui est pour moi essentiel, avec le premier maillot jaune néerlandais depuis 30 ans, avec des victoires d’étape belges, un leader du général un temps italien, les Français qui dynamitent la course. Et dans le même temps, on assiste au premier succès final d’un coureur colombien."
Vous avez dit que si un Français ne montait pas sur le podium à Paris, ce ne serait pas tout à fait juste. Pourquoi ?
"Je parlais de la cérémonie protocolaire dans son ensemble et pas uniquement des trois premiers. Cela aurait tout de même été paradoxal que l’année où ils ont emballé la course, nous n’en ayons eu aucun honoré sur les Champs-Élysées."
On a également beaucoup évoqué l’engouement populaire sur le bord du parcours. Comment l’avez-vous perçu ?
"Ce qui m’a frappé c’est que j’ai vu énormément d’enfants au bord du parcours. Et les champions de notre enfance sont les champions de notre vie. Ces gamins vont grandir avec Pinot et Alaphilippe et c’est évidemment important."
Avez-vous le sentiment qu’une partie du public français a redécouvert le Tour par la grâce des performances d’Alaphilippe et de Pinot qui ont longtemps entretenu l’espoir d’une victoire française dans le Tour ?
"Probablement oui. Les quatorze jours en jaune d’Alaphilippe, ce n’est tout de même pas rien ! L’étape du Tourmalet avec la victoire de Pinot et Julian qui conserve son maillot jaune en terminant deuxième en présence du Président de la République, cela a généré une forme d’euphorie, un espoir. On peut faire tout ce qu’on peut pour une discipline, mais quand il y a des champions, cela change tout. Alaphilippe c’est de l’audace partout, sur le vélo mais aussi en dehors. Lorsqu’il joue avec ses sourcils à côté d’Emmanuel Macron, c’est incroyable (rires) et c’est sympa."
Une des images fortes de ce Tour, cela restera aussi l’étape menant à Tignes arrêtée en raison de ces éboulements et de la grêle. Une décision qui, même si elle s’imposait, a tout de même suscité la polémique dans le chef de certains…
"Il n’y a pas eu de décision à mon sens à partir du moment où il n’y avait plus de route… Comment voulez-vous composer autrement ? On dit que le premier par terre est celui qui a gagné ?"
Comment avez-vous vécu les journées de vendredi et samedi entre ces conditions dantesques en bas de l’Iseran et la chute des Français ?
"Minute par minute (rires)… Le Tour a une imagination plus grande que la nôtre. On ne sait jamais ce qui va se passer sur la route et c’est cela qui est magique. Sur ce Tour, l’audace a appelé l’audace et le vélo a montré le meilleur de lui-même."
Par notre lorgnette belgo-belge, Wout Van Aert aura été l’une des révélations de cette édition. Que vous a-t-il inspiré ?
"J’espère d’abord qu’il va revenir très vite. Ce coureur a un talent fou, son Dauphiné avait été exceptionnel. Il fait partie de cette jeunesse emballante. Et puis, je ne peux penser à lui sans penser à Michael Goolaerts (NdlR : son ancien équipier décédé sur Paris-Roubaix 2018). Lorsque son équipe nous avait sollicités l’année dernière pour participer à l’Enfer du Nord, nous avions évidemment répondu favorablement à cette requête très rapidement. Mais le rêve s’est transformé en cauchemar. Le cyclisme, c’est du bonheur apporté aux gens devant leur porte, et quand il y a un drame comme celui-là, c’est la négation de tout ce que nous faisons. Dans mon esprit, Wout Van Aert sera lié pour toujours à Michael Goolaerts."
Le voyez-vous comme un rival potentiel de Sagan pour le maillot vert dans les prochaines années ?
"Oui mais pas seulement. Il est dans la même catégorie qu’Alaphilippe ou Van der Poel, c’est un semeur d’imprévisible."