Sagan, Lefevere, Evenepoel, sa retraite, la Primavera: Pippo Pozzato fait le point
Retraité des pelotons cet hiver, Pippo ne sera pas au départ de la Primavera pour la première fois depuis 2005.
- Publié le 23-03-2019 à 07h33
- Mis à jour le 23-03-2019 à 12h06
Retraité des pelotons cet hiver, Pippo ne sera pas au départ de la Primavera pour la première fois depuis 2005. Dans les ruelles de Pomarance, théâtre du départ de la troisième étape de Tirreno-Adriatico, sa silhouette pourrait encore se confondre avec celle d’un coureur s’il se décidait à enfiler maillot et cuissard.
Retraité des pelotons depuis cet hiver, Filippo Pozzato a conservé à 37 ans ce physique de golden boy et cette flamboyance qui ont longtemps fait de lui un des personnages du cyclisme professionnel.
Une image un brin superficielle qui ne laisse pas nécessairement deviner la sincère gentillesse de ce vainqueur italien de Milan-Sanremo 2006.
Filipo, comment allez-vous cinq mois après avoir mis un terme à votre carrière de coureur pro ?
"On ne peut mieux, je vous remercie (rires) ! J’aime beaucoup ma nouvelle vie. Je touche à plusieurs activités puisque j’emmène des cyclistes amateurs parfois à l’autre bout du monde et m’occupe également de la carrière de plusieurs coureurs pros comme Cobrelli ou Ballerini en association avec Luca Mazzanti. Nous possédons également une équipe continentale, Beltrami. Je n’ai pas le temps de m’ennuyer… (rires) "
Vous n’avez donc pas plongé dans ce que certains jeunes retraités du peloton appellent le "trou noir" de l’après-carrière ?
"Non, pas du tout. Il faut dire que beaucoup d’anciens coureurs m’avaient alerté sur cette transition difficile et le changement de rythme de vie qui en résultait. J’ai donc souhaité préparer ma reconversion au mieux, en amont. Cela a grandement facilité les choses car un projet clair et défini m’attendait."
Pourquoi avez-vous décidé de mettre un terme à votre carrière de coureur pro fin 2018 ?
"Après dix-neuf années dans le peloton, je crois qu’il est logique et naturel que la motivation s’étiole quelque peu, même si son amour pour le vélo est absolument intact. Mon niveau physique était toujours bon mais la tête était bien plus fatiguée que les jambes (rires) … Aujourd’hui, le cyclisme moderne n’autorise aucune approximation dans l’entraînement, la diététique, la récupération, etc. C’est un métier qui exige de s’investir à 100 %. Et je n’avais donc pas envie de le faire sans une implication mentale totale. Quand tu te lèves le matin et que cela te pèse parfois de prendre la route de l’entraînement parce qu’il pleut, cela veut dire qu’il est temps de passer à autre chose."
Mais continuez-vous tout de même à rouler pour le plaisir ?
"Oui, bien évidemment, même si c’est parfois compliqué avec mon emploi du temps. J’étais en Argentine pour le Tour de San Juan et y ai roulé trois jours, j’ai ensuite profité du soleil des Émirats arabes lors du UAE Tour pour faire tourner les jambes dans la perspective des Strade Bianche. Nous avons participé à la version cyclosportive de l’épreuve toscane avec Bettini, Paoloni et Museeuw. Mais à une allure très très tranquille… (rires) "
Pour la première fois depuis 2005, vous ne serez pas au départ de Milan-Sanremo ce samedi. Une émotion particulière vous habitera-t-elle au moment du départ ?
"Non car j’ai accepté et décidé de raccrocher et de changer de vie. Plus que d’une émotion, je parlerais plutôt d’une excitation à l’idée de suivre le premier monument de la saison. La course continue de me faire vibrer, même lorsque je la suis à la télé. Ce samedi, je m’installerai probablement tranquillement devant mon écran à la maison, entouré de quelques amis, avec une bonne bière à la main. C’est ça les petits bonheurs de la vie non ? (rires) "
Quelle place occupe votre succès sur Milan-Sanremo dans votre palmarès ?
"Ma plus grosse émotion sur le vélo, je ne l’ai pas vécue sur la Via Roma mais bien lors de ma victoire d’étape sur le Tour de France, en 2004, à Saint-Brieuc. J’avais alors 23 ans et il s’agissait de ma première grande victoire. Elle m’a fait changer de dimension. La Primavera reste en revanche le succès le plus prestigieux de mon palmarès. Et pour un Italien, gagner à Sanremo c’est bellissimo !"
Depuis le succès de Vincenzo Nibali l’année dernière, vous n’êtes plus le dernier coureur italien vainqueur du premier monument de la saison. Étiez-vous heureux d’enfin trouver un successeur ?
"Oui, bien évidemment. Une victoire italienne sur Sanremo, c’est une excellente nouvelle pour le cyclisme dans notre pays, la meilleure des publicités. Et cela est bien plus important que le fait que de voir mon nom figé dans les livres d’histoire pour une année de plus… Comme beaucoup, j’avais été surpris par le succès de Vincenzo car il faut être sacrément costaud pour réussir à s’imposer en solitaire sur la Via Roma. Quand il a attaqué, je pensais son mouvement promis à l’échec. Mais on parle ici d’un grand champion qui a réussi un truc hors norme, de la très grande classe !"
Ces deux dernières années, le Poggio s’est révélé décisif puisque le trio Kwiatkowski-Sagan-Apahilippe s’y était dégagé en 2017 avant que Nibali n’y forge son exploit il y a douze mois. Comment l’expliquez-vous ?
"C’est difficile d’avancer un argument très rationnel. Sanremo est une épreuve qui se joue le plus souvent en quelques secondes. Si un mouvement se dessine sur les pentes du Poggio et que, derrière, les poursuivants marquent un tout petit temps d’arrêt, cela peut suffire à décider du scénario de la course. Ce qui s’est produit ces deux dernières années est d’autant plus remarquable que le niveau du peloton est toujours plus élevé. Aujourd’hui, pratiquement tous les sprinters sont capables d’avaler la Cipressa ou le Poggio…"
Quel Italien vous semble le mieux armé pour lever les bras cette année ?
"Mon favori est Fernando Gaviria, mais j’aimerais beaucoup que ce soit Elia Viviani qui s’impose. Le coureur de chez Deceuninck-Quick Step est en grande forme et ce serait superbe pour le cyclisme italien de voir le champion national s’imposer sur la plus grande course d’un jour disputée sur notre sol !"
"Il faudrait trois ou quatre Sagan..."
Personnification du playboy à l’italienne avec son corps bronzé couvert de tatouages et ses cheveux gominés, Filippo Pozzato a véhiculé pendant toute sa carrière l’image d’un coureur un brin nonchalant. "Le cyclisme n’a pas encore compris qu’il a besoin de personnages pour prendre une dimension mondiale. Il faudrait trois ou quatre gars comme Sagan dans le peloton actuel pour que la popularité de notre sport décolle vraiment. Je suis ami avec Nibali, qui est un coureur fantastique, mais il souffre d’un manque de charisme. Même si vous n’aimez pas particulièrement le foot, vous connaissez Ronaldo et c’est pareil pour Lewis Hamilton en F1 ou Valentino Rossi en Moto GP. Le cyclisme a parfois un côté trop traditionnel selon lequel un coureur ne peut pas être bon s’il possède une dimension glamour… Il faut casser ces stéréotypes !"
"Lefevere est le meilleur"
Le succès de l’équipe s’explique d’abord et avant tout par la vision de son manager.
Passé pro au sein de l’équipe Mapei en 2000, Filippo Pozzato avait retrouvé Patrick Lefevere cinq ans plus tard, après une parenthèse de deux saisons chez Fasso Bartolo.
"Quand on a la chance d’être coureur professionnel, je me plais à dire que chaque année est belle tant il s’agit d’un job hors-norme, mais il est clair que cette période chez Quick Step (2005 et 2006) est inoubliable pour moi, sourit l’Italien. J’y ai vécu deux grands succès, avec la classique d’Hambourg et Milan-Sanremo, mais y ai aussi et surtout noué des amitiés très fortes qui, je pense, résisteront au poids des ans. La semaine dernière, lors de Tirreno Adriatico, je suis par exemple allé manger avec Patrick Lefevere. On a parlé pendant toute la soirée de tout et de rien, mais je lui ai quand même glissé à l’oreille le nom d’un coureur dont je m’occupe et qui pourrait l’intéresser pour 2020 (rires). Et dernièrement, j’ai eu Tom (Boonen) au téléphone. Il est intéressé par une Ferrari 940 que je possède, une pièce de collection. J’espère que je vais pouvoir lui vendre à un bon prix (éclat de rires)…"
Avec déjà 18 succès engrangés depuis le début de la saison, l’équipe Deceuninck-Quick Step évolue sur les mêmes bases que lors de son exceptionnelle moisson 2018.
"Ils ont gagné 73 courses UCI l’année dernière. Rendez-vous bien compte de ce que représente ce chiffre ? s’exclame Pozzato. La force de cette formation tient essentiellement dans son manager. Patrick n’est ni plus ni moins que le meilleur du monde dans son boulot. Chaque année, avec un budget qui n’est pas le plus élevé du WorldTour, il parvient à engranger les victoires. J’ai parfois l’impression que l’un de ses hommes gagne chaque jour ou presque (sourire). S’il est aussi fort, c’est parce qu’il a toujours un temps d’avance sur la concurrence et une vision à long terme. Il voit quatre ou cinq fois plus loin. Terpstra et Gaviria sont partis cet hiver, mais qui se souvient encore qu’ils évoluaient sous le maillot bleu la saison dernière ? Lefevere arrive sans cesse à renouveler son groupe de manière très naturelle."
L’atmosphère est , selon l’Italien, l’autre secret de la flamboyante réussite des tuniques bleues. "Même si le sport professionnel est très particulier, on peut parler de véritable culture d’entreprise au sein de cette formation, conclut le vainqueur de Milan-Sanremo 2006. Du leader au chauffeur du bus en passant par le mécanicien, tout le monde ne veut qu’une seule et même chose : gagner !"
"Evenepoel fait les bons choix"
Passé pro à 19 ans au sein de la mythique équipe Mapei, Filippo Pozzato est bien placé pour évoquer le cas de Remco Evenepoel. "J’ai parlé de lui avec Patrick Lefevere la semaine dernière lors de Tirreno", sourit l’Italien. "Il m’a confirmé que votre jeune compatriote était un authentique phénomène mais qu’il gardait aussi la tête solidement accrochée sur les épaules jusqu’ici. Il a fait le bon choix en optant pour la structure de Patrick car ce staff sait comment protéger un talent, ils en ont l’expérience. La construction de son programme de courses en est la meilleure preuve. Le plus difficile, quand on passe pro aussi jeune, c’est de ne pas se laisser étourdir par tous ceux qui vous veulent soi-disant du bien mais n’ont comme seule visée que de vivre du talent d’un autre. Si beaucoup se présentent comme des ‘conseillers’, très peu de gens peuvent affirmer savoir comment aiguiller un jeune coureur pro."