Rencontre avec Dries Smets, l'agent qui s'occupe des meilleurs coureurs belges du peloton: "Le business est plus compliqué dans le foot"
Dries Smets défend les intérêts des meilleurs coureurs belges. Il évoque ce qui fait les spécificités de son boulot dans le cyclisme et les différences avec le foot.
- Publié le 03-05-2018 à 12h28
- Mis à jour le 03-05-2018 à 12h30
Dries Smets défend les intérêts des meilleurs coureurs belges. Il évoque ce qui fait les spécificités de son boulot dans le cyclisme et les différences avec le foot. Même si vous êtes connaisseur du cyclisme, le nom de Dries Smets ne vous dit sans doute pas grand-chose. Pourtant, c’est un de ses acteurs importants, un de ceux qui œuvrent en coulisse et apparaissent rarement à la lumière.
"Ce n’est pas le rôle d’un agent d’être connu", dit-il.
Dries Smets est agent de coureurs et pas de n’importe lesquels. Son écurie, son portefeuille, son catalogue, appelez la liste de ceux dont il défend les intérêts comme vous voulez, recense le nom de la plupart des principaux coureurs belges, même si Tom Boonen, qui en faisait partie, a arrêté il y a un an.
Parmi les quelque quatre-vingts coureurs qu’il représente ("Je n’en dis pas le nombre car mes coureurs ne sont pas des numéros", dit-il), Greg Van Avermaet, Tim Wellens, pour lequel il vient d’ailleurs de négocier une prolongation de contrat, Jasper Stuyven, Tiesj Benoot, Philippe Gilbert, Thomas De Gendt, Yves Lampaert, Loïc Vliegen ou Jan Bakelants sont tous sous contrat avec Squadra Sports Management, la société de Dries Smets qui recense aussi de nombreux étrangers comme Julian Alaphilippe, Michael Mattheuws, Zdenek Stybar ou Luke Durbridge.
Comme la plupart de ses collègues, le patron de la société de management est occupé du 1er janvier au 31 décembre. Ces jours-ci, il est en Israël, à l’occasion du départ du Giro et sera bientôt aux États-Unis pendant le Tour de Californie.
Votre boulot ressemble à celui des agents de joueurs de foot ?
"C’est très différent. Dans le foot, dont je m’occupais à mes débuts (voir ci-dessous) , le business est plus compliqué, je trouve. C’est très difficile d’avoir une relation stable avec son client. Il y a en permanence des agents qui cherchent à vous court-circuiter, à prendre votre place."
C’est-à-dire ?
"Dans le football, les agents gagnent la plus grande partie de leur argent sur les transferts, sur leurs commissions qu’ils négocient avec les clubs. Quel est leur client, le joueur de foot ou le club qui paie la commission sur le transfert ? En cyclisme, c’est plus transparent. Le coureur nous paie un pourcentage, qui est quasi toujours le même quel que soit l’agent, sur ce qu’on leur négocie comme salaire. Pour chaque euro que nous obtenons pour le coureur, nous touchons un petit pourcentage. C’est plus clair et sain. En cyclisme, il y a une certaine stabilité et un contrat se respecte. Je trouve que c’est une bonne chose. Le jour où ce ne sera plus le cas, ce sera la galère. Le modèle économique du vélo est tout différent aussi. Les équipes évoluent, naissent, disparaissent, obtiennent ou pas un sponsor supplémentaire, un budget plus ou moins important… Ça change parfois tout."
Agent de coureurs, c’est aussi une profession réglementée par l’Union Cycliste Internationale.
"Aujourd’hui, pour représenter les coureurs, il faut être reconnu. C’est une bonne chose pour structurer, pour contrôler. Il y a de plus en plus d’agents. Il y a une dizaine d’années, nous étions une douzaine, maintenant, il y a une centaine d’agents recensés par l’UCI, après un examen, qui concerne surtout ses règlements. Il y a une dérogation pour les avocats et pour la famille, le père ou le frère par exemple peuvent s’occuper d’un coureur. En France, il faut aussi obtenir une licence auprès de la FFC pour s’occuper des Français et des équipes françaises. Je suis un des deux étrangers qui en disposent."
Quel est le taux de coureurs qui ont un agent ?
"Au plus haut niveau, WorldTour et Procontinental, 80, 85 % ont un agent, c’est encore plus important pour la jeune génération. À mes débuts, il fallait expliquer aux coureurs ce qu’était un agent, les convaincre de notre utilité. Et les équipes aussi. Aujourd’hui, c’est normal, on leur facilite la vie ! On s’occupe du contrat mais aussi de nombreux problèmes administratifs, pour les étrangers notamment, les papiers, les visas, le droit au travail, les résidences…"
Quel est votre travail ?
"D’abord, les négociations de contrats et de transferts. Mais on assiste le coureur dans plusieurs autres domaines. Les statuts des sportifs sont différents, la pension, la sécurité sociale, les assurances… Je trouve cela très important. Les coureurs, souvent très jeunes, ne savent pas exactement ce dont ils disposent. Ils sont dans un contexte international et pratiquent un sport de risques. Chaque année, on explique à chacun de nos coureurs de quelles assurances ils disposent, comment ils sont couverts, pour quels risques… Il y a la sécurité sociale qui couvre ceci, cela, pour tel ou tel montant. Mais cela change selon les contrats, les pays, les équipes… Certaines ajoutent des choses, d’autres pas… Un montant X pour un contrat dans une équipe ou dans une autre ne fait pas la même chose au final. Donc, nous mettons en garde nos coureurs par rapport à tel ou tel risque et on les invite ou non à prendre des assurances privées complémentaires. Il y a des coureurs qui ont des statuts d’indépendants, d’autres de salariés."
Est-ce que vous guidez les coureurs dans leur choix ?
"Non. Ce n’est pas à moi de prendre cette décision. Je veux rester neutre. Je vais voir les équipes en leur parlant uniquement des coureurs qui sont en fin de contrat et je reviens vers mon coureur en lui disant quelles sont les équipes intéressées. Mais c’est à lui ensuite de faire son choix. Je peux alors poursuivre les négociations en sachant ce que le coureur espère."
"Un puzzle où tout doit se mettre en place"
Il n’y a pas de somme de transfert entre deux équipes pour un coureur.
Contrairement au foot, il n’y a pas de transfert de coureurs sous contrat en cyclisme ?
"L’UCI ne permet pas de faire des transferts en cours de saison sauf entre le 1er et le 15 août et à la condition que les trois parties, le coureur et les deux équipes, soient d’accord. Ces dernières années, il y a eu Rohan Dennis, qui est parti de Garmin vers BMC, et Carlos Verona, de Quick-Step vers GreenEdge, mais c’est tout. Il n’y a pas de sommes de transfert c’est même interdit ! Il n’y a pas de transaction financière autorisée entre deux équipes."
Et donc pas de mercato ?
"Non. En fait, on parle toute l’année. Pendant la première partie de saison, les équipes veulent savoir qui sera libre ou non en fin de saison. Ça commence au Tour Down Under, je vois trois ou quatre managers d’équipes qui sont là, je les informe de mes coureurs qui sont en fin de contrat. Ensuite, je continue, course après course, jusqu’à Liège-Bastogne-Liège."
C’est nécessaire de voir les managers, les coureurs aux courses ou dans les hôtels ?
"Oui, car c’est mieux pour les contacts personnels. La course est le seul endroit où tous les acteurs sont présents. Ces dernières semaines, j’ai vu les managers des dix-huit équipes WorldTour et des principales procontinentales. Les équipes m’informent de ce qu’elles recherchent, quel type de coureurs, sprinter, grimpeur…, les nationalités qui les intéressent. Et puis, à partir de là, on commence à parler. Je tiens au courant mes coureurs."
La deuxième phase commence ?
"Les équipes savent qui elles vont garder, mais aussi qui elles ne vont pas garder, qui elles vont perdre, car en fin de contrat… C’est un puzzle où tout doit se mettre en place. Moi je défends l’intérêt de mes coureurs, les managers celui de leur équipe. Ils commencent toujours par leurs leaders. Ce sont plutôt les prolongations qui se font d’abord. Une équipe et un coureur sont contents de travailler ensemble, il ne reste que les détails à discuter, ils prolongent… Après, quand une équipe sait qui va rester, ou qui part, ou qui ne va pas venir comme leader parce qu’il a prolongé ou est parti ailleurs, elle construit autour de lui ou d’eux. En mai, juin, ça se décide petit à petit, ça a un effet domino, on construit autour des leaders pendant le Tour. On prend les décisions en juillet, août, après, ça devient tard."
Si l’équipe BMC continue ou arrête, ça va tout changer, non ?
"Aujourd’hui (au moment de cet entretien) , on ne sait pas ce que BMC va faire, mais on sait que tous les coureurs sont en fin de contrat. Donc les équipes sont prévenues que ces coureurs sont potentiellement libres. Ce n’est pas comme si brusquement une formation arrête. Et encore, quand, l’an passé, Jonathan Vaughters annonce fin août que Cannondale doit stopper (NdlR : avant de trouver un nouveau sponsor et de poursuivre) , ça arrive tard, toutes les équipes ont déjà quasi fini leur recrutement, il n’y a plus beaucoup de budget."
Vous devez parfois faire la pub de vos coureurs ?
"Cela arrive, mais c’est rare. Comme j’ai de très bonnes connexions en Australie, je travaille depuis début janvier avec Jimmy, officiellement, c’est James en fait, Whelan. Il a 22 ans, dernière année espoir, mais il n’a commencé le cyclisme qu’il y a un an après avoir couru à pied. C’est un super-coureur, dont j’avais déjà parlé avec plusieurs équipes. Il a intégré l’équipe satellite de EF Education First de Jonathan Vaughters. Il est venu pour la première fois en Europe, début avril, pour courir le Tour des Flandres espoirs. C’était sa première course au plus haut niveau, il n’avait jamais vu de pavés et il l’a gagnée en solitaire après avoir résisté pendant quinze kilomètres au peloton ! Soudainement, toutes les équipes viennent aux renseignements : "C’est qui ce Whelan ?"… "
Sa valeur change alors ?
"Oui, mais ce n’est pas moi qui décide du prix et de la date ! C’est le marché qui décide de la valeur d’un coureur. Des équipes intéressées attendent parfois. Si une équipe n’a plus qu’un an de contrat avec son sponsor, elle préfère d’abord négocier la prolongation de ce contrat, ce qui lui permettra ensuite d’offrir des contrats de deux ou trois ans aux coureurs… Ça dépend aussi de la mentalité des coureurs. Certains veulent la sécurité et préfèrent signer rapidement, d’autres attendent et espèrent un bon résultat pour se retrouver en meilleure position."
En foot, il y a un business autour des jeunes joueurs, vous faites aussi de la prospection ?
"Je sais bien sûr qui sont les bons jeunes coureurs, je suis les résultats, je m’informe. Mais je ne contacte un coureur que quand il est espoir, qu’il a 19 ans. Quand il est junior, je trouve que c’est trop jeune. C’est plus par principe, par éthique, mais je me pose de plus en plus la question, car c’est un problème qui arrive en cyclisme. De nouveaux agents, qui n’ont pas encore de coureurs sous contrat, commencent avec des jeunes. Je suis contre ce qui se passe en foot avec des parents qui gagnent des fortunes grâce à leur fils de 12 ans qui signe dans un grand club."
Le stagiaire devenu patron
Dries Smets a 34 ans. Détenteur d’un Master en sciences politiques de l’Université de Louvain et d’un autre en management sportif obtenu à l’Université de Bruxelles, il a débuté comme stagiaire dans la société dont il est désormais le patron. "Même si science po c’était intéressant, je ne me voyais pas continuer dans cette direction, reconnaît-il. Le sport m’a toujours intéressé, là je pouvais combiner ma passion du sport avec les diplômes que j’avais obtenus et le management d’athlètes. Après l’obtention de mon dernier diplôme, j’étais parti pendant six mois en Australie et en revenant, je comptais poursuivre mes études de management à Gand, mais le lendemain de mon retour en Belgique, Paul (De Geyter) m’a contacté et m’a proposé une place dans sa société. J’ai quand même passé mon examen d’entrée à la Vlerick Business School, je l’ai réussi, mais j’ai préféré saisir cette opportunité et j’ai commencé à travailler." Dans un cyclisme de plus en plus mondialisé, sa connaissance de nombreuses langues l’avantage car il parle le néerlandais, le français, l’anglais, l’allemand, un peu l’espagnol, mais aussi le luxembourgois et le suédois. "Enfant, j’ai vécu au Grand-Duché et étudié ensuite en Suède", sourit-il.
De SEM à Squadra Sports Management
En 1999, Paul De Geyter, devenu aujourd’hui le manager général de l’équipe Lotto Soudal et de la société coopérative Captains of Cycling, qui la dirige, crée à Louvain le bureau de management sportif SEM (pour Sports and Entertainment Management) avec Dirk Degraen, qui fut ensuite directeur du club de foot RC Genk. À l’époque, Frank Vandenbroucke fut un de leurs premiers et plus connus clients, mais Mario Aerts, Luc Nilis, Yves Vanderhaeghe, Filip De Wilde, Branko Strupar ou l’athlète Kim Gevaerts faisaient aussi partie de leur écurie. De Geyter resté seul en 2006, la société devint ensuite Celio Sport&Image et recentra ses activités autour du cyclisme à partir de 2011. Lorsqu’au début de l’année dernière, Paul De Geyter a vendu sa société à Dries Smets, celui-ci en a changé le nom, à son tour. Elle s’appelle maintenant Squadra Sports Management et ses bureaux se trouvent à Oud-Hervelee. "Nous sommes quatre à travailler", explique Dries Smets. "Je négocie avec les équipes et donc je suis sans doute le plus connu, mais les trois qui travaillent ici sont aussi importants. Il y a un spécialiste des assurances, un économiste et un juriste, le frère de Paul De Geyter."