Poulidor, pour toujours le premier dans le cœur des Français
À 83 ans, le plus adulé des sportifs français, auquel le maillot jaune s’était refusé, s’en est allé. Entré dans la légende comme l’éternel deuxième, il avait gagné 189 courses.
- Publié le 13-11-2019 à 17h37
- Mis à jour le 13-11-2019 à 20h57
À 83 ans, le plus adulé des sportifs français, auquel le maillot jaune s’était refusé, s’en est allé. Entré dans la légende comme l’éternel deuxième, il avait gagné 189 courses.
"J'aurais gagné une ou deux fois le Tour de France ou même porté seulement un jour le maillot jaune, on ne parlerait plus de moi, ma popularité n’aurait pas été la même…”
En juillet dernier, lors du Tour, Raymond Poulidor évoquait ce qui avait fait de lui une immense figure populaire. Ce champion de la France profonde et de la ruralité, aimé de tous, adulé parfois, simple, accessible, jouissait d’une aura immense qui avait suscité la formule de la Poupoularité à l’écrivain Antoine Blondin.
Dès 1968, alors que sa carrière n’en était qu’à sa moitié, Poulidor avait tout compris. Lui, auquel on offrait plus d’argent pour se produire dans un critérium qu’à son grand rival Jacques Anquetil, pourtant quintuple vainqueur du Tour, n’avait-il pas intitulé le premier des nombreux livres qui lui ont été consacrés “La gloire sans maillot jaune” ?
Le grand coureur des années soixante et septante, celui qui avait combattu Anquetil dans la première partie de sa longue carrière et défié Eddy Merckx dans la seconde, s’est éteint mercredi, à 2 heures du matin, à l’hôpital de Saint-Léonard-de-Noblat, sa commune du Limousin. L’ancien champion y avait été hospitalisé le 8 octobre en raison d’une grande fatigue détectée au sortir du Tour de France, le 57e qu’il a suivi ou auquel il avait participé.
En août, des examens avaient révélé l’usure avancée de son cœur. Victime d’un oedème pulmonaire, il avait subi deux ponctions. Il avait 83 ans.
Né dans la Creuse le 15 avril 1936, ce fils de métayers d’une exploitation agricole du hameau des Gouttes à Masbaraud-Mérignat, passera ensuite sa jeunesse en Haute Vienne, cinquième enfant d’une famille nombreuse. C’est en suivant ses frères aînés qu’il découvre le cyclisme. En 1952, à 16 ans, il acquiert un vélo demi-course. Il finit 6e de sa première épreuve. En mars 1954, alors qu’il n’a pas 18 ans, il enlève sa première victoire dans le G.P. de Quasimodo à Saint-Léonard-de-Noblat où ses parents ont déménagé.
Poulidor effectuera son service militaire, durant 24 mois, d’abord en Allemagne, puis en Algérie où c’est la guerre et dont il revient en décembre 1958. Il a pris quinze kilos !
Un an plus tard, il intègre l’équipe Mercier à laquelle il restera fidèle durant toute sa carrière et même au-delà. D’abord sous la férule d’Antonin Magne, l’homme au béret et au cache poussière, double vainqueur d’un Tour qui se refusera toujours à son poulain, puis sous la direction de Louis Caput. Après son arrêt fin 1977, il travaille pour les fabricants de cycles Manufrance et France Loire, qui commercialisent des vélos sous les marques Mercier et Poulidor. Consultant de divers médias, il était, depuis 2001, l’ambassadeur sur le Tour de France de la banque LCL sponsor du… maillot jaune.
Poupou est entré dans la légende comme “l’éternel second”. Pourtant, en dix-huit saisons au plus haut niveau, Raymond Poulidor aura gagné 189 courses. Mais ce sont ses huit places (un record) sur le podium du Tour, trois fois 2e et cinq fois 3e, le fait qu’il n’ait ni gagné la Grande Boucle, ni même porté un seul jour, en quatorze participations, le maillot jaune qui lui resteront collé à jamais.
“Mon nom est devenu un nom commun, disait-il. On parle du Poulidor de la politique, du Poulidor de ceci ou de cela…”
Pourtant, le Limousin a notamment enlevé le Tour d’Espagne, Milan-San Remo, la Flèche Wallonne, le Grand Prix des Nations, le championnat de France, le Midi Libre, la Semaine Catalane, deux fois Paris-Nice et le Critérium du Dauphiné ainsi qu’une kyrielle d’autres épreuves.
En 1964, il avait même inscrit le Super Prestige Pernod, l’équivalent du WordlTour, à son tableau de chasse où l’on recense aussi quatre podiums au Mondial en dix-huit participations consécutives, un autre record !
Au début des années 1960, son duel avec Jacques Anquetil divise la France. On est pour l’un ou pour l’autre. La malchance, des erreurs, un manque d’audace lui firent manquer plusieurs rendez-vous. En 1962, il se fracture un petit doigt trois jours avant le départ mais termine 3e à Paris. Deux ans plus tard, son combat avec Anquetil atteint son paroxysme. A Monaco, Poupou se trompe et sprinte un tour trop tôt perdant la minute de bonification au profit d’Anquetil… Il perdra le Tour pour 55 secondes après avoir laissé passer sa chance sur le Puy-de-Dôme. Au sommet, il est revenu à 14 secondes du Normand. Poulidor rendit visite à son éternel rival peu avant son décès, en 1987, des suites d’un cancer.
“Tu vois Raymond, lui dit Jacques Anquetil sur son lit de mort, même là, je te bats…”
Il rate aussi plusieurs occasions uniques. En 1965 d’abord, face à Gimondi, 22 ans, qui ne devait pas courir le Tour. L’année suivante, Anquetil qui sent qu’il ne gagnera pas, le mystifie en jouant la carte de son équipier Lucien Aimar. En 1968 enfin, juste avant l’arrivée d’Eddy Merckx, Poulidor a le champ libre quand, dans l’étape vers Albi, il est renversé par un motard. Victime d’un traumatisme crânien et d’une fracture du nez, il doit abandonner.
S’il a laissé filer le maillot jaune pour quatorze secondes au sommet du Puy de Dôme, celui-ci lui échappe neuf ans plus tard pour 80/100es de seconde. A Scheveningen, le prologue du Tour 1973 est gagné par son équipier Joop Zoetemelk…
Raymond Poulidor était père de deux filles dont la plus jeune, Corinne, a épousé le champion néerlandais Adrie Van der Poel. Ils ont eu deux fils, David et Mathieu, qui perpétuent la dynastie.