Philippe Gilbert: "Froome est sans doute trop gentil"
Capitaine de route de l’équipe Quick Step, Philippe Gilbert dresse le bilan de ses deux premières semaines de course
- Publié le 24-07-2018 à 12h05
- Mis à jour le 24-07-2018 à 16h01
Capitaine de route de l’équipe Quick Step, Philippe Gilbert dresse le bilan de ses deux premières semaines de course Planté au milieu d’une majestueuse allée de platanes, dans la proche périphérie de Carcassonne, le château de Pennautier tranche singulièrement avec la frénésie du Tour de France. Un lieu hors du temps, choisi par la formation Quick Step pour annoncer son nouveau partenaire (lire ci-contre), et duquel se dégage une envoûtante sérénité en parfaite adéquation avec l’état d’esprit de Philippe Gilbert. Chef de Phil du Wolfpack, le Liégeois court comme il l’aime depuis de début de cette Grande Boucle . Entretien.
Philippe, se trompe-t-on si on avance que vous semblez prendre beaucoup de plaisir sur cette Grande Boucle ?
"Non, mais c’est le cas depuis le début de l’année sur beaucoup de courses. Nous avons bien démarré ce Tour en décrochant rapidement deux victoires d’étape avant de malheureusement perdre Gaviria dans les Alpes (abandon). Le groupe a su tourner la page et a continué à bien fonctionner. Il faut désormais espérer que le succès va revenir sous peu. J’adore aussi les départs que nous avons eu depuis de petits villages et ai pu apprécier, par moments, la beauté des endroits que nous traversions. L’ambiance est, par ailleurs, globalement bonne dans le peloton où je n’observe pas de trop grandes tensions ou règlements de compte"
Vous avez pourtant autrefois entretenu une relation plus complexe avec le Tour…
"C’est vrai. Tout y est exacerbé, démultiplié parfois à l’excès. Il y a aussi beaucoup de représentants des médias qui ne suivent, par exemple, pas le cyclisme durant le reste de la saison et qui ne connaissent dès lors pas notre métier. Il n’est, du coup, pas toujours simple de communiquer…"
Quel bilan personnel tirez-vous de vos deux premières semaines de course ?
"J’ai tenté quelques fois ma chance mais ai manqué d’un brin de réussite pour concrétiser mes offensives. Dans le sport de haut niveau, cela se joue parfois à très peu de choses."
Votre état de forme semblait précisément vous autoriser à prétendre à plus, comme une victoire d’étape ou même le port du maillot jaune en première semaine. Nourrissez-vous certaines frustrations ?
"Si j’ai un regret, celui-ci tient au chrono par équipes que nous avons totalement foiré alors que nous aurions dû nous y imposer. Cela aurait alors été synonyme, pour moi, d’un maillot jaune qui aurait changé beaucoup de choses, même si je ne l’avais porté qu’un ou deux jours. Soit, je n’ai d’autre choix qu’accepter les événements… J’ai abordé ce Tour en meilleure condition que l’année dernière, lorsque ma chute sur l’Amstel avait compliqué ma préparation. J’avais été contraint de cravacher pour revenir à mon meilleur niveau et cette charge de travail, combinée avec le degré d’exigence du Tour que tout le monde connaît, était tout simplement de trop. La fraîcheur est déterminante sur ce rendez-vous. Ce n’est pas un hasard si les prétendants à la victoire finale ne comptent, pour l’essentiel, qu’une trentaine de jours de course à leur compteur."
Les abandons ou les arrivées hors délais de très nombreux sprinters sont-ils le témoin d’un Tour plus difficile ?
"Il est en tout cas extrêmement usant. En Bretagne et en Vendée, la tension était permanente car tout le monde se méfiait d’un éventuel coup de bordure qui n’a finalement jamais été possible. Les finals étaient également souvent dangereux alors que la chaleur pèse sur les organismes depuis le Grand Départ . On sent que de nombreux coureurs ont profondément entamé leurs réserves et sont très fatigués. Lorsque Dan Martin a accéléré dimanche dans la dernière difficulté du jour, tout le monde était à bloc… Je sais que certains jugent qu’il ne se passe pas assez de choses sur ce Tour mais je vous assure que, dans le peloton, nous n’avons pas le temps de nous ennuyer (rires). Depuis le départ de Vendée, le vent a majoritairement soufflé de face, c’est cela qui a le plus souvent bloqué la course."
Vous avez posté un message très sympathique à l’égard de Vincenzo Nibali. Son abandon a semblé vous toucher…
"Oui, je suis hyperdéçu pour lui. Nous avons toujours eu un bon contact. L’Italien possède un panache fou. Cela lui a très certainement coûté certaines victoires, mais je suis persuadé que c’est pour des coureurs comme cela que les gens vont voir des courses ou s’installent devant leur télé. J’ai, à titre personnel, eu plus de réactions pour mon attaque dans le dernier kilomètre à Valence que pour ma 3e place à Quimper."
Se faire respecter
Le Liégeois juge qu’il faut parfois savoir se faire respecter
Partenaire occasionnel d’entraînement de Chris Froome à Monaco, Philippe Gilbert a son avis sur les questions qui entourent le Team Sky.
Philippe, les positions de Thomas et de Froome au classement général vous surprennent-elles ? Comment voyez-vous évoluer la hiérarchie au sein du Team Sky ?
"Je pense que Froome se retrouve désormais dans une position dans laquelle il va lui être difficile d’attaquer. Il est quelque peu bloqué et la seule opportunité pour lui de repasser devant serait que son équipier connaisse une défaillance. Thomas avait pointé le Tour depuis longtemps déjà, cela transparaissait dans son discours mais aussi dans son programme. Je savais que s’il passait la première semaine sans embûche, il irait loin…"
Froome et Dumoulin, deux des trois premiers au classement général, sortent du Giro. Ce constat vous étonne-t-il ?
"Avec la Coupe du Monde de foot, le Tour a été décalé d’une semaine et je pense que les sept jours qui se sont ajoutés entre la fin du Giro et le début de la Grande Boucle changent beaucoup de choses. Cela leur a laissé le temps d’observer une réelle coupure avant d’attaquer un nouveau bloc d’entraînement. Sans ce repos, l’équation est nettement plus difficile à résoudre."
Que vous inspire le contexte ambiant avec lequel le Team Sky doit composer ?
"Cela a été alimenté par des gens influents et une partie des médias. Mais comme depuis vingt ou trente ans, c’est à nouveau tout le peloton qui en paie le prix. On nous traite moins souvent de dopés, mais notre sport reste malheureusement associé dans l’esprit de trop de gens à la triche."
Que pourrait faire Froome pour améliorer son image ? Il est poli, souriant, fait l’effort de parler français aux médias hexagonaux…
"Il est peut-être précisément trop gentil. Personnellement, lorsque je considère qu’un journaliste me manque de respect, je le lui fais savoir et lui réponds. Cela peut vexer certains mais cette attitude participe à imposer une forme de respect. Froome n’a jamais agi de la sorte. Je peux vous dire que si l’on m’avait traité de la même manière que lui l’a été, je ne me serais pas laissé faire…"
Vous vous entraînez parfois avec lui à Monaco. Vous apparaissait-il touché par ce contexte ?
"Non, très sincèrement cela lui passe au-dessus de la tête. Lorsque vous êtes coureur, vous enchaînez courses, plages de récupération, stages, entraînements… On n’a tout simplement pas le temps de se soucier de ce que les gens disent et pensent. À titre personnel, je ne suis touché par la critique que lorsque je sens qu’elle blesse mes proches."
"Alaphilippe a tout pour devenir la coqueluche du cyclisme français"
Proche de Julian Alaphilippe par certaines caractéristiques physiques, Philippe Gilbert partage aussi avec le Français la même philosophie de vie. Une complicité naturelle qui nourrit une forme d’affection. "Julian a tout pour devenir la nouvelle coqueluche du cyclisme français, juge ainsi le Liégeois. Depuis le départ à la retraite de Voeckler, ce pays était en attente d’une telle figure. Je n’ai pas le sentiment que Bardet jouit d’une extrême popularité. Mon équipier doit maintenant se battre pour ramener ce maillot à pois à Paris. Barguil constitue son principal rival et il faudra donc surveiller le Breton. Thomas pourrait aussi être dangereux car nous avons noté que les points sont doublés sur certains sommets pyrénéens."
"Je ne me vois pas au Mondial"
Si la perspective des prochains championnats du monde est, certes, encore lointaine (course en ligne le 30 septembre), elle ne semble pas faire partie des prochaines priorités de Philippe Gilbert. "Le Mondial ? Je ne vois pas trop ce que je pourrais aller faire sur un circuit dessiné pour les grimpeurs. On peut évidemment se dire qu’on a toujours une chance lorsqu’on prend le départ d’une course, mais… Je voudrais en revanche y disputer l’épreuve de chrono par équipes. Je ne fais par ailleurs pas partie de la sélection pour l’Euro car, après avoir discuté avec plusieurs représentants d’autres pays, j’ai compris que de nombreuses sélections y aligneraient une équipe essentiellement articulée autour d’un sprinter. On a présenté ce tracé comme favorable aux puncheurs, mais c’est là que Cavendish avait été champion de Grande-Bretagne en 2013. On ne peut pas tout faire et ces éléments m’ont conforté dans mon choix."