Olivier Naesen a connu la poisse au dernier printemps : "J’espère avoir semé ce satané chat noir !"
Poursuivi par la poisse lors du dernier printemps des classiques, le coureur de chez AG2R est fin prêt pour entamer la période des classiques.
- Publié le 22-02-2019 à 06h46
Poursuivi par la poisse lors du dernier printemps des classiques, le coureur de chez AG2R est fin prêt pour entamer la période des classiques. Le visage tanné par les embruns de la corniche de Matrah, où mouille l’immense yacht du Sultan Qabus, et les jambes colorées par près de dix jours sous le soleil de la péninsule arabique, Oliver Naesen engloutit une cannette de soda à l’ombre de la ligne d’arrivée du Tour d’Oman avant de rejoindre son hôtel à vélo. "Cela fera monter le compteur", sourit le coureur de chez AG2R-La Mondiale.
Quelques heures plus tôt, le Flandrien s’était posé au bord de la piscine de son hôtel pour préfacer son printemps avant d’aller saluer sa maman et sa compagne Dorien, venues l’encourager sur les routes omanaises. "Elles combinent cela avec des visites culturelles et connaissent déjà bien mieux le pays que moi qui y étais pourtant déjà venu", sourit le sympathique ancien champion de Belgique. Entretien.
Oliver, avec quel sentiment repartez-vous de ce Tour d’Oman, à un peu plus d’une semaine de l’ouverture de la campagne des classiques ?
"Je suis impatient que cela débute, mais en même temps très serein car je me sens prêt pour le premier rendez-vous qu’est le Circuit Het Nieuwsblad. Je me suis testé sur les 2e et 3e étapes de ce Tour d’Oman et y ai pris les 5e et 7e places. Je n’avais, jusqu’à cette année, participé qu’une seule fois à cette épreuve, en 2017, et je sens que mon niveau est meilleur qu’il y a deux ans. C’est donc très bon pour la confiance."
La poisse vous a poursuivi durant une bonne partie du dernier printemps avec des chutes ou des crevaisons toujours survenues au mauvais moment. Nourrissez-vous dès lors un sentiment de revanche ?
"Non pas véritablement. Dans une carrière, je crois que chaque coureur connaît, à l’échelle qui lui est propre, une année de grâce et une saison de guigne. J’ai mangé mon pain noir jusqu’à la dernière miette en 2018 et espère que le satané chat de la même couleur va enfin lâcher ma roue ! Je pense l’avoir semé en chemin (rires) ."
Vous nous aviez glissé en septembre, lors des Grands Prix canadiens, être persuadé d’avoir encore progressé lors de la saison écoulée mais que cela ne s’était malheureusement pas matérialisé à la lecture des résultats. Cela doit, forcément, être quelque peu frustrant…
"Oui, et ce sentiment s’accentue à mesure que le mauvais sort vous poursuit. J’en serais presque venu à me demander s’il ne fallait pas que je mette pied à terre avant un virage (rires) … Dans le vélo, chaque coureur sait ce que le niveau de sa condition lui autorise à espérer. Quand on franchit la ligne trop loin de là, c’est forcément rageant. Pour remonter à plus loin encore, ma chute dans le Vieux Quaremont lors du Tour des Flandres 2017 hante encore certaines de mes nuits car sans cela, je suis pratiquement certain que je serais alors monté sur le podium."
Vous appartenez aujourd’hui aux meilleurs spécialistes du monde sur les classiques pavées. Une fois ce niveau atteint, comment fait-on alors pour encore progresser quand, comme vous, on est logiquement à pleine maturité physique (28 ans) ?
"C’est précisément cette quête qui nourrit chaque sportif de haut niveau. Chercher à s’améliorer et à acquérir ce petit plus qui fera la différence, c’est aussi ce que j’aime dans le cyclisme. À l’entraînement, j’essaie toujours de faire le maximum sans me cramer comme on dit dans le jargon, pour encore bénéficier de suffisamment de fraîcheur une fois en course. Ce volume, défini avec l’appui d’un bon entraîneur, augmente au fil des saisons passées dans le peloton pro. Je suis persuadé d’encore posséder une marge de progression. Les valeurs récoltées par mon capteur de puissance mais aussi mes sensations sur des efforts d’intensité et de durée très précises vont d’ailleurs dans le même sens."
Comment définiriez-vous en quoi Oliver Naesen est un coureur différent en 2019 par rapport à 2017 ?
"Je suis surtout plus expérimenté. Je sais mieux gérer les courses et les moments forts et faibles qu’on y connaît forcément. Je pense aussi mieux jauger mes adversaires. Avant, j’avais parfois le sentiment que certains de mes rivaux possédaient une ceinture entière de cartouches et étaient capables de placer un nombre d’offensives presque illimité. Désormais, si un gars est seul en tête et que je suis dans un groupe en chasse derrière lui où cela roule très vite, je peux évaluer combien de temps il pourra nous résister. Cela fait maintenant plusieurs saisons que je participe à l’intégralité de la campagne du Nord, et les têtes d’affiche y sont, le plus souvent, les mêmes. On ne peut donc pas vraiment miser sur l’effet de surprise entre nous (rires) ."
Ces deux dernières saisons, un homme a, à chaque fois, globalement dominé l’ensemble de la campagne des flandriennes : Terpstra en 2018 et Van Avermaet en 2017. Comment expliquez-vous ce constat ?
"Je ne sais pas vraiment. J’espère que ce sera mon tour cette année, et je pourrai alors vous analyser plus finement ce mécanisme (éclat de rire) … J’ai le sentiment que la confiance joue un rôle clé. Quand on enclenche une spirale positive, on est alors aspiré vers les sommets."
Que constituerait précisément, pour vous, un bon départ sur le Nieuwsblad ?
"Je vous aurais dit un podium jusqu’il y a peu mais le nouveau parcours change pas mal la donne. Le vent de face peut tout bloquer dans la finale car pour relier en solitaire le sommet du Bosberg à l’arrivée dans de telles conditions, il faut être sacrément costaud ! Il y a de grandes chances que cette épreuve débouche sur un sprint massif dans les prochaines années. L’année dernière, j’avais d’excellentes sensations sur cette épreuve et je suis passé à l’attaque à de très nombreuses reprises. Mais quand cela souffle dans le nez, on ne va jamais bien loin… Il faut donc pouvoir trouver des alliés pour qu’un groupe d’hommes forts puissent ainsi se porter aux avant-postes."
On dit souvent que, sauf chute ou crevaison, chaque coureur est à sa place sur le Tour des Flandres ou Paris-Roubaix. Ce constat ne vaudrait-il pas pour le Nieuwsblad ?
"Non, il ne vaut pas pour l’ouverture de la saison belge. L’ancien tracé ne mentait pas, mais les choses ne sont plus les mêmes désormais. La direction du vent est presque devenue plus importante que le parcours."
Vous évoluez dans une formation française qui semble désormais totalement convertie à la culture des classiques. Est-ce une fierté pour vous d’avoir porté un tel projet ?
"Oui, totalement. Ils parleront bientôt mon patois flamand si cela continue (rires) . AG2R-La Mondiale avait déjà un attrait pour ces épreuves avant mon arrivée et avait tenté de monter un groupe pour ces courses à plusieurs reprises sans, malheureusement, connaître trop de réussite dans cette entreprise. Aujourd’hui, je sens que toute l’équipe souhaite m’accompagner au mieux pour aller chercher un grand résultat. On me consulte par exemple avant de conclure certains transferts."
Tiesj Benoot jugeait cet hiver que le départ de Terpstra de Quick Step vers Direct Energie allait davantage ouvrir les classiques pavées. Partagez-vous son analyse ?
"Complètement ! Cela rééquilibre considérablement les forces en présence. Deceunick-Quick Step est encore très solide avec Lampaert et Gilbert, que j’ai vu très forts sur le Tour de la Provence. Mais voir un vainqueur du Ronde, de Roubaix, de l’E3 et d’À Travers la Flandre s’en aller, c’est forcément une perte considérable."
Quelle est la course qui vous fait le plus rêver ?
"Je n’ai pas le luxe de choisir (rire) . Peu importe, j’aimerais vraiment gagner une classique ou une semi-classique pavée. Mon palmarès ne compte que quatre succès (NdlR : deux fois la Bretagne Classic, le championnat de Belgique et la Poly Normande) et un seul podium sur la campagne du Nord, au Grand Prix de l’E3. Ce n’est pas énorme même si je compte un très grand nombre d’accessits. Il faut donc que je concrétise désormais !"
Même si vous appartenez à la caste des meilleures spécialistes des pavés, vous ne pouvez toutefois pas vous appuyer sur la même explosivité qu’un Van Avermaet ou Sagan. Pouvoir compter sur une bonne pointe de vitesse, cela peut tout changer dans le palmarès d’un coureur non ?
"Oui, c’est vrai. Je travaille beaucoup sur ce point et espère m’améliorer car aborder un sprint à trois ou quatre en se disant qu’on a neuf chances sur dix de lever les bras, c’est un luxe. Face à des gars comme Van Avermaet ou Sagan, c’est pour moi un peu le contraire actuellement (rires) … Tiesj Benoot est l’un des meilleurs exemples de votre constat. C’est sans doute l’un des plus gros moteurs du peloton, mais son manque explosivité le condamne pratiquement à arriver seul pour espérer lever les bras."
Sur le vélo qu’enfourchait votre équipier Romain Bardet sur le dernier Tour de France figurait une devise : ‘take the risk or lose the chance’. Celle-ci pourrait-elle être votre devise pour les classiques ?
"Oui, tout à fait. Il faut parfois prendre le risque de franchir la ligne en trentième position pour tenter de gagner."
Entre le niveau qui est le vôtre actuellement et celui que vous espérez posséder sur le Tour des Flandres ou Paris-Roubaix, y a-t-il encore une marge de progression ?
"L’essentiel est surtout de ne pas tomber, de bien récupérer et, surtout, de ne pas tomber malade jusqu’à Paris-Nice. J’ai toujours noté que cette épreuve permet de franchir encore un palier sur le plan de la condition."
"Remco Evenepoel gagnera une course cette année"
Passé pro sur le tard (24 ans), Oliver Naesen observe depuis plusieurs mois, avec attention, le nouveau phénomène Remco Evenepoel. "Nous avons un peu des trajectoires opposées puisque lui est extrêmement précoce", sourit le compagnon d’entraînement de Greg Van Avermaet. "Ce qu’il fait est très impressionnant. Je me suis entraîné durant une partie de l’hiver avec Tiesj Benoot en Espagne et je peux vous assurer que son niveau y était déjà très élevé. Voir Remco (9e) terminer devant lui (10e) au général en Argentine est donc révélateur d’un potentiel hors norme pour un néo-pro. C’est un diamant à qui il faut donner le temps d’être poli. L’attention médiatique autour de sa personne est compréhensible, mais il serait plus sain que celle-ci soit plus mesurée. Quand il oublie sa crème solaire, cela fait la Une des journaux flamands… Il a choisi, je crois, la bonne équipe pour progresser étape par étape. Cette année, je suis convaincu que si la malchance l’épargne, il gagnera déjà une course chez les pros."