Les dernières lignes du best-seller Boonen: il aura manqué le bouquet final
Treizième, l’Anversois aura été l’un des acteurs de sa dernière course.
- Publié le 10-04-2017 à 10h21
- Mis à jour le 10-04-2017 à 10h37
Treizième, l’Anversois aura été l’un des acteurs de sa dernière course. Il y a des chapitres que l’on voudrait réécrire avant même d’en avoir terminé la dernière ligne. Tom Boonen 13e de son Paris-Roubaix, c’est un peu comme un fantastique thriller dont le final tomberait à plat, une comédie romantique qui finirait sur une dispute.
Acteur d’une course dont il tenta de forcer le déroulement en plusieurs instants, l’Anversois dut se contenter d’un second rôle dans la finale. Au pied du bus de la Quick Step Floors, dont les abords avaient pris, dimanche, les allures des premiers rangs d’un concert rock, membres du staff et supporters semblaient tenter de racler dans le fond de leur gorge un goût tenace de trop peu.
Une heure après avoir franchi pour la dernière fois la ligne d’un vélodrome très largement acquis à sa cause et digéré les événements, l’Anversois ne cherchait pourtant aucun faux-fuyant. Au beau milieu d’une cohue que même nos plus estimés et expérimentés confrères assurent n’avoir jamais vécue, le quadruple vainqueur de l’épreuve déroula aux dizaines de micros tendus vers lui un discours à son image : honnête et sincère.
"Durant la plus grande partie de la journée, je n’ai jamais eu de super sensations", commentait ainsi Boonen. "Comme je m’y attendais, certains m’ont marqué de très très près. John Degenkolb, par exemple, a sans doute livré la course la plus lâche de sa carrière en restant vissé à ma roue arrière sans jamais assumer de relais… Sur les tronçons pavés où il aurait pu m’être possible de faire la différence, le vent soufflait le plus souvent de face, ce qui compliquait évidemment ma tâche. J’ai donc rapidement dit à Stybar que s’il flairait un bon coup, il pouvait y aller. Il a bénéficié de plus de libertés que moi et les circonstances de course nous ont finalement amenés à jouer sa carte dans l’équipe. Une fois Styby à l’avant, il n’y avait plus véritablement d’équipe dans notre groupe pour assumer le poids de la poursuite. Seuls les Lotto ont pris leurs responsabilités lorsque Greipel est rentré."
Arrivé sur l’anneau du Nord dans un groupe de treize coureurs en lutte pour la sixième place, Boonen ne disputa pas ce sprint pour les accessits aux Démare, Greipel ou Theuns.
"Lorsque nous avons déboulé sur la piste, je me suis dit ‘à quoi bon’? J’étais heureux d’être là et d’arriver. Au final je n’aurai jamais véritablement été dans le coup pour la victoire mais ce n’est qu’à environ quinze kilomètres du but que j’ai compris définitivement que je ne soulèverais pas mon cinquième pavé."
Si les cinquante derniers kilomètres du parcours avaient pris les allures, en de nombreux endroits, d’une ode au Campinois, celui-ci confessa ne pas avoir pu en profiter.
"Cette édition est sans doute l’une de plus exigeantes que j’ai disputées. Nous avons roulé à bloc durant pratiquement toute la journée et je n’ai pas eu beaucoup de temps pour porter mon attention sur autre chose que mon effort… (rires) Je n’avais pas d’attentes particulières, mais la foule présente autour du bus une heure après l’arrivée m’impressionne. C’est cette image-là que je garderai à l’esprit."
Un instantané à l’image d’une carrière : plein de vie.
Lefevere: "La fin d’une époque"
Le manager de Boonen a félicité son désormais ancien coureur.
Patrick Lefevere et Tom Boonen, c’est l’histoire d’un mariage qui durait depuis 2003. Alors quand peu après 17h, son protégé a tiré définitivement un trait sur sa carrière, son mentor avait évidemment des choses à dire, à la fois sur la course et sur l’un des meilleurs coureurs de tous les temps sur les pavés.
"Tom est un phénomène, évidemment", soulignait le patron de Quick-Step Floors. "Depuis la première fois où je l’ai vu à Roubaix, en 2002, on a tout de suite vu que c’était un grand talent. Il a gagné 4 fois Paris-Roubaix, 3 fois le Tour des Flandres, faire mieux c’est presque impossible."
Et a-t-il pensé à la retraite de son poulain pendant l’après-midi ? "Pendant, la course je n’y ai pas pensé. C’est la fin d’une époque, nous allons devoir nous adapter mais nous sommes flexibles. Il est le symbole d’une génération. Il a été une des premières grandes stars du peloton. Ce dimanche, dans une course passionnante qui a été très rapide, nous avons malheureusement perdu trop vite des éléments et Tom s’est retrouvé un peu isolé dans la finale. Il a essayé de refaire la différence dans le Carrefour de l’Arbre, mais ça n’a pas marché."
Par contre, Lefevere n’a pas voulu dévoiler un moindre indice sur le futur de Boonen…
La Boonenmania jusqu’au bout
Le corps fourbu par les 257 kilomètres de l’Enfer du Nord, Matteo Trentin dû s’attaquer à une ultime difficulté au moment de rejoindre le bus de l’équipe Quick Step Floors : fendre la foule dense qui ceinturait le véhicule pour faire la fête à Tom Boonen. Des enfants tentant de résister, desseins à la main, à la poussée de certains adultes, des ados à la voix stridente et au front peinturluré à la gloire de Tomeke ou des quadras à la caboche aussi surchauffée que leur cannette de pils : 200 à 300 personnes ont fait le pied de grue pendant près d’une heure pour dire merci à l’Anversois. "Il nous a offert tellement de bons moments qu’on se devait d’être là aujourd’hui", commentait Sylvie, venue de Mons pour l’occasion. "Je ne suis pas là pour tenter de glaner un selfie ou un autographe mais juste pour lui rendre un bel hommage. Il le mérite bien !"
Son frère, sa femme : "Tout a une fin"
Lore, sa compagne, est soulagée qu’il ait terminé sa dernière course sans chute.
Le clan Boonen a vécu une journée spéciale, ce dimanche.
"On n’a pas encore eu le temps de réaliser que c’est vraiment fini, même si on le sent depuis plusieurs jours", commente Sien Boonen, le petit frère de Tom. "Mais cette course était quand même très spéciale."
Même s’il l’a vécue comme une autre : en recoupant plusieurs fois le parcours.
"Je pense que nous avons vu la course treize fois, c’est beaucoup, mais nous sommes habitués", ajoute Sien Boonen. "C’est dommage que Tom arrête. Mais cela fait partie de la vie. Il y a un temps pour tout. Tout a une fin."
Qu’a-t-il pensé de la course de son frère ? "Cette édition de Paris-Roubaix n’a pas été idéale pour lui", répond-il. "J’ai eu l’impression que c’était une course très fermée, que tout le monde s’observait. Tom, lui, préfère quand c’est d’homme à homme."
Lore, l’épouse de Tom Boonen, elle, soufflait de soulagement.
"Je suis surtout heureuse qu’il ait terminé entier", a-t-elle commenté. "Il n’a pas gagné, mais il a bien couru, et la déception sera vite oubliée. Par contre, nous serons soulagés de retrouver du calme, et ne plus avoir cette tempête médiatique autour de Tom."
Les dernières lignes d’un best-seller
Zoom sur les dernières heures de la vie de coureur de Boonen
"Jusqu’à ce que je franchisse la ligne d’arrivée du vélodrome, dimanche soir, je sais que je serai engagé dans une succession de dernières." Engagé dans le décompte de sa vie de coureur depuis plusieurs mois déjà, Tom Boonen a écrit hier les dernières lignes d’un best-seller.
Samedi 15 : 50 Sur les pavés de la place du Général de Gaulle, le public a resserré un peu plus les rangs au moment où le speaker animant la traditionnelle présentation des équipes a annoncé l’arrivée de "Toooom Booooonen", monté sur le podium quelques secondes après ses équipiers. Souriant et détendu, l’Anversois est honoré par une médaille de la Ville de Compiègne. Sur l’écran géant, les images de ses quatre succès défilent comme un hommage.
Samedi 16 : 00 Suivi à la trace par plusieurs caméras dès sa descente du bus de l’équipe Quick Step Floors, Tom Boonen prend le temps de répondre, avec une disponibilité intacte, aux nombreux médias. Anglais, néerlandais, français : le quadruple vainqueur répète son amour pour la Reine des Classiques.
Dimanche 8 : 00 Si Boonen affirme ne jamais s’être lassé du métier de coureur, les réveils matinaux pour satisfaire aux contrôles antidopage ne lui manqueront sans doute pas… Pour son ultime course, le Campinois est sorti une dernière fois du lit. "Cela fait aussi apparemment partie des dernières…" philosophe le coureur. Il passe ensuite à la table du petit-déjeuner afin de faire le plein d’énergie en vue des 257 kilomètres de course.
Dimanche 9 : 10 Les coureurs de l’équipe Quick Step Floors quittent l’Auberge du Jeu de Paume de Chantilly. Déjà concentré sur son sujet, Boonen prend tout de même le temps de s’arrêter pour les quelques chasseurs d’autographes présents avant de monter dans le bus en direction de Compiègne, à 50 kilomètres de là.
Dimanche 10 : 30 "Sometimes, you don’t need a plan, you just need big balls." La formule se passe de traduction. Apposé sur le tube transversal du vélo que ses mécaniciens viennent d’installer au pied du bus, la citation de Tom Boonen aura valeur de pense-bête…
Dimanche 10 : 45 Un quart d’heure avant le départ de son dernier Paris-Roubaix, le Campinois descend une dernière fois les marches du pullman de la Quick Step pour se rendre à la signature de la feuille de départ. "J’étais plus stressé avant mon premier Paris-Roubaix que ce matin", souffle Boonen.
Dimanche 16 : 55 Installée au centre de la pelouse du vélodrome, sa compagne Laure est venue suivre les dix derniers kilomètres sur l’écran géant en compagnie de leurs jumelles Valentine et Jacqueline. À un peu plus de deux ans, la sieste de l’après-midi semble manquer aux deux petites filles qui s’assoupissent dans les bras de leur maman.
Dimanche 17 : 03 La fin d’une ère. Alors que Greg Van Avermaet se précipite dans les bras de son soigneur pour célébrer son succès, Tom Boonen franchit, lui, la ligne en 13e position, sur les talons de Florian Senechal. Il vient de donner son dernier coup de pédales en compétition. Encadré par l’attaché de presse de l’équipe Quick Step, il file directement vers le bus de la formation belge sans lâcher un mot aux médias qui se lancent dans un jogging de près d’un kilomètre.
Dimanche 17 : 30 Rejoint dans le pullman par ses deux filles, sa compagne Laure et sa maman, Boonen est aussi félicité par le propriétaire de l’équipe, le Tchèque Zdenek Bakala. Devant le bus, trois cents supporters guettent la sortie de l’Anversois sous le soleil roubaisien.
Dimanche 17 : 55 Près d’une heure après l’arrivée, douché et en civil, Tom Boonen vient livrer ses derniers commentaires de coureur aux médias sous les "Merci Boonen" qui succèdent aux "Tommeke Tommeke Boonen". Le Campinois se dresse sur la pointe des pieds pour tenter de discerner la foule au-dessus de l’essaim de caméras qui l’entourent. Le dernier salut d’un champion à ses fans. "C’est cette image que je garderai", souffle-t-il avant de s’en aller pour Gand où un repas puis une fête avec l’équipe et ses proches l’attendaient.