Les 12 temps forts de la carrière de Boonen (12/12): 10 avril 2016, la symphonie inachevée
Deux fois, Tom Boonen est passé tout près d’une dernière grande victoire en 2016, à Paris-Roubaix d’abord, puis au Mondial de Doha.
- Publié le 08-04-2017 à 14h14
- Mis à jour le 08-04-2017 à 22h44
Deux fois, Tom Boonen est passé tout près d’une dernière grande victoire en 2016, à Paris-Roubaix d’abord, puis au Mondial de Doha. C’est le dimanche 10 avril 2016. Sur le vélodrome de Roubaix. La clameur qui s’est amorcée à leur entrée sur la piste et a accompagné les coureurs tout au long des six cents derniers mètres (un tour et demi de l’anneau de ciment) s’est muée en un moment de stupeur marqué par le "Oh " du public.
Pendant une seconde, c’est comme si le temps s’arrêtait… et puis la vie reprend son cours. L’inattendu Matthew Hayman vient de gagner la 114e édition de Paris-Roubaix en devançant au sprint Tom Boonen auquel tout le monde prédisait quelques instants plus tôt un cinquième succès dans la Reine des classiques .
Avec ses équipiers, Boonen a fait exploser la course. En accélérant à cent vingt kilomètres de l’arrivée, il a poussé dans les cordes Fabian Cancellara et Peter Sagan, les principaux favoris au départ. Car le fait que le coureur d’Etixx-Quick Step a presque gagné est déjà un miracle en soi. Six mois plus tôt, Tom Boonen a chuté lourdement au Tour d’Abu Dhabi où il s’est fracturé le crâne.
"J’en ai souffert longtemps" , rappelait-il l’hiver dernier. "Après la chute, j’ai vraiment été à la rue pendant huit semaines et pendant trois mois, j’étais un vieillard."
Ce que confirme Yvan Van Mol, le médecin de la Quick Step, qui l’a évidemment suivi durant toute sa convalescence.
"C’était quand même exceptionnel qu’il parvienne à presque gagner Paris-Roubaix ", témoigne-t-il. "Il a commencé plus tard sa préparation hivernale et surtout, elle n’a pas été complète. Ce qui lui a manqué, c’est qu’il a fait moins d’intensité et surtout, qu’il n’a pu effectuer toutes les séances de musculation, de stabilité qu’il effectuait généralement les premiers mois. À cause de ça, Tom manquait d’explosivité en début de saison."
Ce qui s’est vu notamment durant la série des courses flandriennes où il n’a jamais joué les premiers rôles.
"Volontairement, on lui a fait commencer la saison 2016 avec un peu de retard", dit Van Mol. "Plus tranquillement à Valence. Il a déjà fait les sprints pourtant, ce qui prouvait que mentalement il était déjà prêt à se mêler aux sprints massifs. Car, on craignait qu’après sa chute à Abu Dhabi, Tom vive avec la peur. Pour vaincre cela, pour en parler, il a eu plusieurs discussions avec Jef Brauwers (NdlR : le psychologue du sport) lors des stages en Espagne. Il a vite pris le dessus sur d’éventuelles angoisses et craintes."
Sur sa force et son endurance
Mais pour les médias et le public, Tom Boonen tarde à redevenir celui qui marquait les courses printanières de son empreinte les saisons précédentes.
"C’était incroyable" , poursuit Van Mol, irrité. "À la télévision flamande, on ne l’épargnait pas. On le comparait, alors qu’il sortait à peine d’un grave accident qui aurait pu lui coûter la vie ou mettre fin à sa carrière, au Boonen des meilleures années alors qu’il n’avait pu avoir de préparation spécifique à l’entraînement. À chaque course, pourtant, il s’est amélioré. Lui aussi savait que ce n’était pas normal que trente coureurs s’échappent et qu’il n’en fasse pas partie, mais il a survécu à cela grâce à sa mentalité et son caractère. D’ailleurs, contrairement au Tour des Flandres, Paris-Roubaix n’est pas une course d’explosivité, mais de force et d’endurance."
Sur les pavés de l’ Enfer du Nord , le coureur anversois trouve donc le terrain qui doit lui permettre de redevenir Tornado Tom. Il piège les autres favoris avant même la Tranchée d’Arenberg où il effectue un nouvel écrémage.
Un final au couteau
Au km 194, le groupe Boonen-Vanmarcke reprend les rescapés de l’échappée matinale parmi lesquels un certain Matthew Hayman. Il ne reste plus que douze hommes en tête. Un peu plus tard, dans le groupe de poursuite, Fabian Cancellara tombe, la course est finie pour le Suisse dont la retraite est annoncée pour la fin de saison. Le duel Boonen-Cancellara n’aura plus lieu. Sagan, qui a échappé par miracle à la chute, est à une minute quand, dans le secteur de Camphin-en-Pévèle, à trente kilomètres de l’arrivée, Ian Stannard attaque et emmène avec lui Boonen, Vanmarcke, Boisson Hagen et Hayman.
Sep Vanmarcke tente alors son va-tout dans le Carrefour de l’Arbre dont il sort en tête avec quelques secondes d’avance sur Tom Boonen. Celui-ci, privé de son exceptionnel coup de rein, a plié mais il n’a jamais rompu.
La fin va être exceptionnelle d’intensité avec des attaques à répétition des cinq échappés. À l’entrée du vélodrome, rien n’est fait. Boonen et Hayman sont repris par Vanmarcke, puis par Stannard et Boasson Hagen. Au sprint, qu’il lance de loin, Hayman s’impose, notamment parce que Boonen a été empêché par Vanmarcke de déboîter.
"C’est comme cela", finit par admettre Boonen qui avait été le premier à féliciter son bourreau. "Je suis un peu déçu, mais pas trop déçu. Les cinq gars qui arrivent pour la victoire méritaient tous de gagner. C’est Mathew qui s’impose, il le mérite. C’est bien qu’un type comme lui qui a passé toute sa carrière à travailler pour les autres gagne une course comme Paris-Roubaix."
Tout Tom Boonen est résumé dans cette appréciation.
"Ce matin", expliquait-il encore, "avant le départ à Compiègne, j’ai reçu un sms du médecin qui m’avait opéré à Abu Dhabi. Il me souhaitait une bonne course en me répétant que le fait que je sois au départ était un miracle."
Cette défaite qui a des allures de victoire laisse un double sentiment à celui qui déjà, sur le vélodrome, annonce qu’il reviendra "pour gagner."
"Le soir de Paris-Roubaix, on s’est retrouvé avec toute l’équipe dans un restaurant à Gand ", raconte Patrick Lefevere. "Quand il est arrivé, nous avons eu une accolade. J’ai senti qu’il était près de craquer, mais ensuite, Tom est capable de tourner très rapidement la page. Il a sûrement pensé encore à cette défaite, mais il s’est tourné vers l’avenir."
Boonen est en fin de contrat avec l’équipe de Lefevere, mais les négociations vont durer car les deux hommes n’ont pas la même optique du futur.
"Déjà Patrick aurait aimé que Tom arrête en 2016 après Paris-Roubaix ", explique Paul de Geyter, le manager du coureur. "La chute à Abu Dhabi avait aussi installé chez lui et au sein de l’équipe la crainte qu’il ne dispute la saison de trop. Un jour, Tom m’a téléphoné et m’a dit : ‘Paul, j’en ai assez. Je roulerai jusqu’à Roubaix et ensuite, j’arrête. Règle-moi ça.’ "
Le bronze et pas l’or
Patrick Lefevere le reconnaît volontiers.
"Je ne voulais pas vivre avec Tom la même fin difficile qu’a connue Johan (Museeuw)", avoue le manager de Quick Step. "Ou Indurain, ou Kelly, ou Merckx, ou Maertens… Même si les palmarès et les carrières ont été exceptionnels, les gens se souviennent de la fin, on ne se rappelle que ça. Je suis sûr que Tom sera content plus tard. Bien sûr, physiquement, il pourrait encore rouler, mais comment se motiver encore ?"
Tom Boonen se motive pourtant à nouveau pour le Mondial, couru le 16 octobre au Qatar, à Doha, sur des routes où il a gagné vingt-sept fois durant sa carrière. Avec ses partenaires de l’équipe belge, il donne une leçon de cyclisme dans le désert, battu par le vent, en provoquant des bordures qui font exploser le peloton. Mais la deuxième partie de la course arc-en-ciel n’offre plus trop de possibilités de faire plier ses adversaires et, un peu isolé dans le dernier kilomètre, après que ses équipiers eurent tout et trop donné auparavant, il doit se contenter de la troisième place au sprint, derrière Peter Sagan et Mark Cavendish.
"Je pense que Tom a été plus déçu encore après le Mondial de Doha qu’après Paris-Roubaix" , confesse Lefevere ." Il s’était tellement monté la tête pour cette course et il avait vécu une si longue période pour préparer ce rendez-vous. Tout d’un coup, il comprenait qu’il n’aurait plus d’occasion, que c’était fini…"