Le patron du Tour se livre: "Eddy a fait rêver tant de monde"
Christian Prudhomme, le patron du Tour, se livre dans un entretien exclusif.
- Publié le 21-03-2019 à 07h32
- Mis à jour le 21-03-2019 à 12h37
Christian Prudhomme, le patron du Tour, se livre dans un entretien exclusif. Christian Prudhomme, le patron du Tour de France, que nous avons rencontré en début de semaine à Nice, sera ce soir, à Bruxelles, au stade Roi Baudouin pour assister au match Belgique-Russie et à l’échange des maillots jaunes entre Eden Hazard et Eddy Merckx. La première des nombreuses manifestations et célébrations qui vont rythmer les prochains mois jusqu’au Grand Départ du Tour de France, le samedi 6 juillet.
Vous serez souvent en Belgique ces prochaines semaines ?
"On a un programme chargé. Le 28 mars, Eddy et les autorités bruxelloises nous attendront à notre descente du train. Le TGV sera aux couleurs du Grand Départ, Eddy va le signer. Il y aura une série de manifestations et notamment l’inauguration du square Eddy Merckx (NdlR : place des Bouvreuils, à Woluwé-Saint-Pierre, où il a grandi et où ses parents avaient une épicerie). "
On connaît votre admiration et votre amitié pour Eddy Merckx.
"C’est le plus grand champion cycliste, mais aussi un grand homme, une belle personne. Eddy ouvre toutes les portes car il a fait rêver tant de monde. Quand on parle de diplomatie sportive, je pense au tennis de table, aux Chinois et aux Américains, dans les années 1970, mais aussi à Eddy Merckx. C’est un ambassadeur exceptionnel. Il est proche du peuple car il a gardé ses racines, il parle à tout le monde, il est accessible."
Comme tous les coureurs cyclistes en général…
"C’est vrai, mais à propos d’Eddy, je vais vous donner un exemple que je cite souvent. En 2009, le Tour de France part de Monaco. Un soir, on est une vingtaine dans un restaurant près de Brignoles. Avec nous, il y a juste une table occupée par un couple de gens d’une soixantaine d’années. Je vais les trouver avec Hinault et Thévenet pour nous excuser du dérangement qu’on cause car on faisait du bruit (il rit) . Ce sont des Néo-Zélandais, venus en France pour la deuxième fois pour le Tour de France. Le monsieur me remercie mais il m’avoue que le champion de sa vie, c’est Eddy Merckx. Je prends mon téléphone, j’appelle Eddy, qui répond, je lui passe le monsieur et je m’éloigne. Un moment, j’ai vu son visage se figer et une larme qui coulait. Je ne sais pas ce qu’ils se sont dits, mais ce monsieur-là, à cet instant-là, a vécu un des moments les plus forts de sa vie. C’est une autre preuve de sa générosité. Il aurait pu me dire : ‘Merci Christian, des trucs comme ça, j’en ai 25 par jour.’ Il n’a rien dit et a donné un bonheur incommensurable à cet homme. Il n’oubliera jamais, mais moi non plus. Il était pétrifié et je n’osais plus l’approcher pour récupérer mon téléphone."
Le Grand Départ à Bruxelles s’annonce bien ?
"Je ne doute pas que ce sera une immense fête populaire et un grand hommage au plus grand coureur de tous les temps, à celui qui a porté 111 fois le maillot jaune ! L’un des plus grands sportifs de l’histoire."
Sur Paris-Nice, avec Egan Bernal, on a peut-être découvert, si pas le successeur de Merckx, du moins un de ses descendants.
"La course m’a beaucoup plu, dès l’entame avec le vent, les bordures. Puis, il y a eu le chrono et le final magnifique avec l’avènement de nouveaux coureurs, d’une nouvelle génération avec Egan Bernal, bien sûr, mais aussi Daniel Martinez ou chez les sprinters, la confirmation de Dylan Groenewegen, bien meilleur que les anciens. J’ai le sentiment que la victoire de Bernal frappe tout le monde. Voir cette image, après une vraie étape de montagne du Tour, d’une certaine manière, avec pour la première fois une arrivée de course cycliste au Turini, voir que ce gars-là qui n’a que 22 ans, qu’on attend depuis qu’il a gagné le Tour de l’Avenir, adoubé par le plus grand champion de l’histoire, Eddy Merckx, qui lui remet le maillot jaune en en attendant peut-être d’autres, c’est un sacré symbole."
Son avenir semble tout tracé.
"On ne sait jamais ce qui peut se passer, mais c’est un incontestable talent. Si on prend les coureurs qui ont brillé très jeunes, on trouve Eddy Merckx, Bernard Hinault, Jacques Anquetil, Felice Gimondi ou Laurent Fignon… Ils n’ont pas tous gagné cinq fois le Tour, mais ils ont tous laissé un nom, une trace. Bernal peut être de ceux-là."
Vous avez dû aimer aussi le coup de force de Gilbert, dans l’avant-dernière étape ?
"J’ai rêvé, vraiment ! J’ai cru qu’il allait réussir. J’ai trouvé cela formidable. Pas du tout parce que c’est un coureur que j’apprécie, mais pour le pied de nez que je croyais qu’il allait réussir. On sortait de la logique et Philippe est un maître tacticien. Chez Sky on a dû se poser quelques questions. C’est ce que j’adore dans le cyclisme et le sport, comme tout le monde."
Par contre, Paris-Nice ne vous a pas donné d’enseignements pour les invitations au Tour.
"Non, c’est vrai. On n’a pas eu d’éléments nouveaux. Ce que je sais, par contre, c’est que donner une réponse rapidement est important pour les équipes. On ne va pas attendre la règle des quarante jours avant le départ. Légitimement, tout le monde veut savoir. On sait que nous ferons quoi qu’on décide des déçus. C’est pour cela que nous avons déjà assuré Cofidis et Wanty-Gobert de leur participation. Nous avons appliqué la règle de qualifier les deux premiers de 2e division, qui sera la règle tout court l’an prochain."
Pourquoi ne pas demander une dérogation à l’UCI pour aligner 23 équipes ?
"Ce qui compte, ce n’est pas le nombre d’équipes, mais celui des coureurs. Le maximum, c’est 176. On ne va pas nous demander une dérogation à une règle nouvelle, qui date de l’an passé, et que nous, organisateurs, à travers l’AIOCC, avons souhaitée et demandée pendant des années pour des raisons de sécurité et d’attractivité."
La sécurité, cela devient un problème permanent ?
"En cinq ans, le nombre d’aménagements routiers a doublé sur les routes du Tour. On serait totalement incohérents de demander plus de coureurs. On fait, avec les médias et grâce aux médias, des campagnes ‘la route se partage’, des clips. C’est une question d’éducation, il faut respecter les coureurs, respecter les cyclistes en général. Dans les courses, bien sûr, mais aussi tous les jours sur la route !"
C’est de plus en plus compliqué d’organiser ?
"C’est un souci. C’est de plus en plus compliqué, de plus en plus lourd, à tous points de vue, notamment pour les contraintes, les risques, la responsabilité. Pour des gens qui le plus souvent sont des bénévoles. Nous, nous sommes professionnels, c’est notre métier. Mais, sans eux, sans les amoureux purs du cyclisme, il n’y a plus de course. La pyramide du cyclisme, pour moi, ce n’est pas une formule. Aujourd’hui, pour être organisateur bénévole, il faut être dingue, il faut sacrément aimer. Il faut avoir la foi. Le cyclisme, ce n’est pas la Formule 1, on ne fera jamais vivre une ligue seule qui irait faire quelques courses sur chaque continent. Il faut un lien avec les gens, une base. Le Tour de mes rêves, c’est celui qui passe devant chez moi. Mais c’est vrai pour toutes les courses."
"Le vélo a vraiment changé"
"Le boulot fait en cyclisme depuis des années est énorme", dit le patron du Tour.
Christian Prudhomme, on a rappelé il y a peu que Vincenzo Nibali vous avait attaqué au plan juridique après sa chute dans l’Alpe d’Huez.
"C’est une affaire pour les avocats. Ceux de Nibali se sont manifestés dès le Tour. Il y a une enquête, on n’a pas été sollicité. Je ne pense pas que ce soit lui qui soit derrière tout cela. La prochaine course où je le verrai, je lui serrerai la main et il n’y aura pas de problème, ce ne sera pas feint. Il nous avait d’ailleurs remerciés quand, le soir après sa chute, à 23 heures, nous l’avions attendu à son hôtel, à son retour de l’hôpital. Nibali est un très, très grand champion et un homme pour lequel j’ai la plus profonde estime."
C’est aussi un coureur qui aime aller sur tous les terrains, comme vous souhaiteriez que tous le fassent.
"Oui, ce serait formidable. Prenez l’exemple du ski. On a eu les champions polyvalents, puis cela s’est spécialisé, mais regardez la jeune Mikaela Schiffrin, spécialiste des épreuves de vitesse, mais qui a tout raflé en super-G. Je rêve que ce soit comme cela aussi en cyclisme. Je vois quand même que cela s’ouvre de plus en plus. J’adore ce mouvement-là. C’est important pour le cyclisme que les champions de juillet, du Tour de France, on les voie aussi pendant le reste de la saison, un peu partout et pas seulement dans les courses à étapes faites pour eux. J’aimerais voir les coureurs du Tour sur Paris-Roubaix. Ça paraît complètement dingue, mais moins qu’il y a trois ou quatre ans. Il y a un mouvement, on le voit sur les Strade Bianche, sur ce que nous avons fait à Paris-Tours… Bardet va courir Milan-Sanremo pour la première fois et c’est très, très bien. C’est important pour le vélo."
Est-ce que le vélo et le cyclisme se portent bien ?
"Ce que je sais c’est que la bicyclette ne s’est jamais aussi bien portée depuis cent ans. Le lien entre la bicyclette et les champions est essentiel. Le Grand Départ en 2021 de Copenhague, où il y a plus de vélos que d’habitants, s’inscrit dans cette optique. Je suis convaincu que la meilleure alliée du vélo des champions, c’est la bicyclette du quotidien."
Dans le même temps, un nouveau scandale de réseau de dopage sanguin éclate en Autriche.
"Ce ne sera jamais un monde parfait. On sait que le combat contre le dopage est permanent, contre la triche en général, dans tous les domaines, pas qu’en sport et qu’en cyclisme. Toutes les activités humaines sont touchées. J’ai la conviction que le vélo a vraiment changé, maintenant, on n’est jamais à l’abri. Le fameux sparadrap du dopage nous colle en effet. Dès qu’il y a quelque chose, il revient et pourtant, le boulot fait en cyclisme depuis des années est énorme."
Grand départ du Tour 2020: un format inédit
“C’est un format inédit pour le départ d’un Tour de France”, dit Christian Prudhomme à propos des premières étapes en 2020. “La Grande Boucle aura beaucoup de boucles, des petites, des moyennes, des grandes, pour son départ de Nice, ce qui permettra d’avoir un énorme succès populaire. Nous voulions, avec Thierry Gouvenou, trouver un tracé qui soit intéressant pour les coureurs, afin qu’ils puissent s’exprimer. Il y aura une première étape qui, même si elle est vallonnée, peut être favorable aux sprinters. Puis, le lendemain, un nouveau maillot jaune, sans doute. Pour la première fois depuis 40 ans, dès le 2e jour, les coureurs devront affronter de vrais cols, aller au-delà de 1 600 m avec la Colmiane et le col de Turini. Il y aura 40 m d’ascension et des descentes techniques. Le Turini m’a conquis à Paris-Nice, mais après on va redescendre dans la plaine, il n’y a pas le risque que le Tour soit joué dès son 2e jour. Notre rêve, c’est de voir côte à côte, épaule contre épaule, dès le premier week-end ceux qui peut-être gagneront le Tour.”