Le 50-50 de Maxime Monfort: "Revenir au Tour pour aider nos jeunes grimpeurs ou... Greipel"
Maxime Monfort vient de fêter ses 1000 jours de course. C'était l'occasion de l'interviewer en 50 questions. Au menu : Le Tour 2016, ses services à Cavendish à l'époque HTC, ses clashs avec Van den Broeck et Beenkens, son image dans le peloton et, bien sûr, ses (déjà !) 13 années chez les pros. Rencontre.
- Publié le 12-07-2016 à 11h57
- Mis à jour le 12-07-2016 à 13h21
Jeudi 7 juillet, le Tour 2016 bat son plein tandis que Maxime Monfort digère à peine sa longue sortie du jour lorsque nous frappons à sa porte. Le natif de Bastogne prépare le Tour de Pologne (et surtout la Vuelta), où il vivra le 1001e jour de course de sa carrière, ce mardi. Mais avant ça, il fallait évidemment faire le point avec lui sur les 1000 premiers, évoquer le Tour de France, l'équipe nationale (de cyclisme comme de football), ses coups de gueule mais aussi ses coups de cœur. Bref, on a parlé vélo pendant deux heures avec Maxime Monfort, le temps de lui poser nos 50 questions et de regarder Cavendish remporter sa 29e étape sur la Grande Boucle. "Je suis encore plus stressé quand je regarde l'arrivée sur mon canapé", nous confie notre hôte, déçu d'avoir vu son équipier André Greipel manquer son sprint...
1 | Vous pensez quoi de ce Tour 2016, pour l'instant ?
C'est un beau Tour. Pas trop de chutes, peu d'abandons. De mon point de vue de coureur, c'est intéressant et il y a eu du spectacle en première semaine. On a vu que certains étaient déjà à la limite avant même les premiers cols... Du côté de la Lotto-Soudal, André peut avoir des regrets, car on ne l'avait pas super bien emmené lors de la 3e étape, qu'il a terminée à la deuxième place pour quelques centimètres. Thomas De Gendt a, par contre, été battu par plus fort que lui le jour où Van Avermaet a endossé le maillot jaune.
2 | Vous avez des contacts avec l'équipe ?
Si je dois en avoir, ce sera avec Tony (Gallopin). S'il fait un truc, je l'appellerai sans doute pour le féliciter de vive voix mais pour le reste je les laisse tranquille, je suis bien placé pour savoir qu'on est dans une bulle et qu'il y a beaucoup de sollicitations, déjà...
3 | On a l'impression que c'est toujours plus nerveux…
La nervosité est une vérité dans toutes les courses et pas seulement au Tour. Voilà ma théorie personnelle : le niveau est plus haut, plus homogène. Il y a de plus en plus de coureurs capables de frotter en tête de peloton mais il n’y a pas plus de place pour autant… Sagan a raison, il faut qu'il y ait quelque chose. Surtout au Tour, quand on voit Sky et Astana rouler carrément en tête à l'approche des sprints... C'est un manque de respect total. Je peux comprendre les enjeux mais effectivement ce changement de règle ferait du bien, il faudrait pouvoir prendre les temps de tout le monde à 3 ou 5 kilomètres de l'arrivée des étapes plates, sans tenir compte des cassures éventuelles. Après, l’idée n’est pas nouvelle mais Sagan est l'un des rares coureurs écoutés. Pour parler un peu crument, il a le droit de l'ouvrir. Comme Cancellara, par exemple, mais ils sont peu nombreux à pouvoir se permettre ça.
4 | Vous qui avez roulé pour des sprinters mais aussi pour des classements généraux, vous roulez comment ?
J'ai toujours préféré prendre le risque inverse : rester au milieu du peloton et augmenter mes chances d'éviter les chutes plutôt qu'aller frotter pour essayer d'éviter une petite cassure. Le risque de chute est quand même grand pour des gars comme Froome qui sont tout le temps dans les tops 20 des sprints.
5 | C'est qui, le sprinter le plus fou que vous avez côtoyé ?
Ils sont tous un peu fous. Par rapport à moi, je veux dire. Mais il n'y en pas qui sont plus kamikazes que d'autres. On peut remarquer que ce sont des chutes spectaculaires mais rarement graves. Regardez Morkov : il a 5 fractures mais finalement rien de grave, tant mieux ! Il y a aussi beaucoup de respect entre les sprinters. Je pense qu'ils débranchent tous un peu leur cerveau dans les finales des étapes... Mark Renshaw ? Effectivement quand il est exclu en 2010, c'est justifié. Mais c'est un vrai gentil, je pense qu'on a tous une autre personnalité dans le peloton, comme tous les sportifs d'ailleurs. Je crois que ce jour-là, il a été agacé par ce qu'il s'est passé ou dit avant...
6 | Vous avez partagé l’équipe de Cavendish et Greipel, deux des trois meilleurs sprinters du monde…
Ils ont des qualités différentes. Cav est plus rapide et André plus puissant. Ils sont encore au meilleur niveau, c'est beau à voir, notamment sur ce Tour. Ce sont deux bons gars. On a fait passer Cav pour le mauvais lorsqu’ils ne s’entendaient pas bien chez HTC. Mais à l'époque, ils avaient tous les deux de grandes qualités et pouvaient réclamer légitimement le leadership sur plein de courses. Après, quand on est équipier, on se contente de faire son job.
7 | En 2009 et 2010, de nombreux supporters belges se désolaient de vous voir griller des cartouches dès la première semaine pour rouler pour Cavendish, derrière les échappées…
J'ai beaucoup appris sur ces deux Tours. Oui, j'ai roulé en tête mais j'avais quartier libre en montagne, même si j'avais effectivement grillé des forces. Cela dit, sur le Tour, je sais que je suis limité au top 15 au mieux. L'intérêt pour l'équipe était donc limité de m'épargner pour un hypothétique top 15 alors qu'on avait des étapes à gagner. Il faut aussi rappeler que je devais me battre pour la sélection, car c'était la plus belle équipe de l'époque. J'avais 25-26 ans et j'étais content d'être là. Encore aujourd'hui je suis content de ce que j'ai vécu dans cette équipe.
8 | HTC était un peu la dream team de l'époque, aujourd'hui c'est Sky qui a cette étiquette. Vous décelez des différences entre les deux, au niveau de l'approche globale des choses ?
Les époques ont changé, c'est clair que les entraînements scientifiques pointaient à peine le bout de leur nez en 2008/2009. Sky est aujourd'hui à la pointe et recrute énormément, quitte à briser la carrière de certains qui auraient pu faire mieux s'ils avaient joué leur carte personnelle. Mais bon, c'est leur choix... Chez HTC, l'approche était différente. La chance était donnée à beaucoup de coureurs et on a eu deux années à plus de 80 victoires. On bossait pour Cav quand c'était plat mais tout le monde avait sa chance le reste du temps. Chez Sky, il n'y a qu'un leader par course.
9 | Il y a aussi une approche très scientifique, du côté de Sky...
C'est leur méthode ! Il y aura toujours des détracteurs à ça mais, sur papier, ça doit fonctionner, même si pour certains coureurs c'est plus dur à concevoir. Personnellement, je l'aime bien, cette approche très calculée. J'ai un esprit assez cartésien, je suis beaucoup comme ça dans mon caractère. Mais il faut quand même garder une part d'improvisation et ne pas trop se robotiser...
10 | Vous n'avez aucun regret de ne pas avoir tenté de prendre le leadership dans une équipe un peu moins forte, à cette époque, alors que votre début de carrière laissait entrevoir de belles promesses ?
Non... Chez Leopard j'ai eu ma chance à la Vuelta et j'ai pu la saisir. Je me considère comme un bon coureur mais pas comme un leader qui mérite une équipe autour de lui. Je connais mes limites et je n'ai aucun regret.
11 | Finalement, entre Monfort en 2009, 2010 et Vermote et De Gendt en 2016, rien n'a changé: les Belges sont des bons chasseurs d'échappés !
Oui, sur le Tour de France en tout cas. Chaque année qui passe montre que tout est de plus en plus structuré et qu'il n'y a plus de place à l'improvisation. Aujourd'hui (l’interview a eu lieu le jeudi 7, jour de la 3e victoire de Cavendish, NdlR), on sait très bien qu'Arashiro et Bartra ne vont pas aller au bout. Si Vermote n'arrive pas à ramener le peloton, il se fait remonter les bretelles ce soir !
12 | De tête, vous pourriez nous dire combien de victoires collectives vous comptez sur le Tour ? (NdlR : 16, voire 17 si on compte le classement par équipes avec Radioshack en 2012)
Ouf... En 2008 il doit y avoir Chavanel... 2009 il doit y avoir Cav 4 fois, en 2010 aussi. En 2011 il y a Andy, 2012 il y a Cancellara au prologue... 2013 il y en a une aussi mais je ne sais plus qui. Ah oui, départ en Corse... ah bah oui, Bakelants, c'est juste ! Je suis dans le bon?
(NdlR : on le corrige : Dumoulin en a également gagné une en 2008, Cavendish a remporté 6 étapes en 2009 et 5 en 2010, le reste était bon).
Ah oui, 11 étapes en deux ans pour Cav quand même! C'est vrai, ça valait la peine de rouler (rires).
13 | Comment vit-on ces victoires collectives ? Il y a des leaders plus reconnaissants que d'autres ?
Le prologue de Cancellara ou le doublé étape-maillot jaune de Bakelants, ils sont allés les chercher seuls. Mais c'est vrai que Cav, j'ai pu l'aider et Andy, je me sens bien concerné ! On a l'impression de gagner un peu nous-même. Après, question reconnaissance, Cav l'était, Andy aussi. Mais Andy, c'était presque devenu un ami. Ils laissaient leurs primes, on avait des cadeaux... c'est ce qu'il se fait souvent dans le milieu.
14 | Cette 18e étape du Tour 2011 était un vrai coup de force à l'ancienne. Vous pouvez nous raconter cette journée du briefing jusqu'à ce que vous craquiez pour laisser Andy Schleck seul dans le Lautaret ?
Cela a commencé plusieurs jours avant, car Andy avait perdu du temps à gauche et à droite. Il n'avait plus rien à perdre et l'avant-veille, j'ai entendu des bruits courir en interne et finalement Kim Andersen est venu me trouver pour parler de cette tactique, deux jours à l'avance. Ouais OK, c'est ambitieux, mais c'était presque de la Playstation, ça faisait un peu peur. Sur papier, c'était beau, mais de là à ce que ça fonctionne... C'est ce qui me rend fier aujourd'hui, c'est que tout a fonctionné comme on l'avait espéré. Tout s'est mis comme il le fallait, si ce n'est que Posthuma aurait pu basculer l'Izoard avec nous pour rouler dans la plaine et que moi je puisse concentrer mes efforts dans les montées mais il y a déjà eu beaucoup de bonnes circonstances ce jour-là car rien que prendre l'échappée était très difficile, on avait bataillé pendant une heure. Après, quand on est devant, le plus dur est fait. Derrière, l’attaque d’Andy a fait mouche car personne n'y croyait et qu'il est sorti très fort. Quand Andy revient dans ma roue, je ne réfléchis pas aux conséquences, je me contente d'accomplir ma mission. J'étais concentré sur le moment-même et sur l'importance de rouler à bloc le plus longtemps possible. Dans la voiture, on m'a motivé pour tenir jusqu'à la banderole des 25 kilomètres avant l'arrivée mais j'avais encore un peu de jus, donc le directeur sportif m'encourageait à tenir jusqu'aux 20 kilomètres. Et là il m'en restait un tout petit peu donc j'ai voulu tenir jusqu'aux 15 mais je me suis effondré un peu avant.
15 | On a souvent reproché cette année-là aux deux frères Schleck de trop courir l'un en fonction de l'autre. C'était aussi votre sentiment au sein de l'équipe ?
Le fait qu'ils se retournent pour voir où en est l'autre, c'est surtout des images qu'on voit à la télévision. Oui, ça les a peut-être cadenassés un peu mais je ne pense pas que ça ait changé grand-chose. Finalement ils étaient heureux d'être sur le podium tous les deux même s'il fallait digérer la perte du maillot jaune après le tout dernier chrono.
16 | C'est votre troisième année de suite sans Tour, ça ne vous fait pas trop mal de le regarder à la télé ?
Moins cette année que les deux précédentes. Je prends beaucoup de plaisir sur d'autres courses comme le Giro et la Vuelta notamment. Mais c'est vrai, j'aimerais retourner au Tour. D'ailleurs j'ai souvent des interrogations dans mon quartier : "Tiens, tu n'es pas au Tour ?", c'est parfois un peu dur. Mais dans le milieu on sait que le Tour n'est pas plus relevé d'un point de vue physique, même si c'est plus dur mentalement.
17 | Que faudrait-il pour vous revoir au Tour ? Que vous changiez d'équipe ?
Ce n'est pas à l'ordre du jour, je n'en ai pas envie. Il faudrait que Lotto change sa tactique, mais Greipel sera là jusqu'en 2018... Peut-être qu'un jour ils m'utiliseront pour rouler derrière les échappés mais pour l'instant ils jugent que je vaux mieux que ça. Et puis j'aurai aussi peut-être un jour le rôle d'aller épauler nos jeunes grimpeurs, qui sait. En tout cas, j'ai fait six Tours et j'aimerais y retourner au moins une fois pour boucler la boucle.
18 | Permettez-nous de faire un gros retour en arrière. Vous pouvez identifier le jour où vous êtes tombés amoureux de ce sport ?
A 8 ou 9 ans je partais tout seul pour faire des tours de 7 ou 8 kilomètres. Sans but, pour le plaisir, et de manière inexplicable finalement puisque personne dans ma famille ne faisait de vélo. Le virus était déjà là même si je touchais au foot, tennis et tennis de table. Il y avait une forme de plaisir dans la souffrance, déjà. Puis, j'ai commencé chez les aspirants, à 14 ans, au Luxembourg, ce qui me permettait de courir plus tôt car en Belgique il fallait attendre juin ou juillet pour les premières compétitions. Mes parents et mes grands-parents me conduisaient partout, j'ai un peu emmené la famille dans cette passion. Mais aujourd'hui, à leurs yeux, c'est devenu un métier. Et pour moi aussi parfois... Une certaine routine s'est installée au fil des années !
19 | Quelle était votre ambition en commençant le cyclisme ?
L'ambition c'était juste de passer pro. Je n'ai jamais eu des résultats suffisamment prometteurs pour espérer plus. C'était déjà un aboutissement pour moi. Et une fois chez Landbouwkrediet, j'ai signé directement pour deux ans donc c'était rassurant. Quand j'ai remporté le Tour du Luxembourg, j'étais agréablement surpris mais je n'ai jamais été rempli d'ambition. Je n'ai jamais été un gagneur ou un mort de faim de victoires comme certains grands leaders qui ont un sale caractère. Moi, je n'ai pas cette fibre, heureusement ou malheureusement. Aujourd'hui, quand j'enchaîne quelques déceptions sur le vélo, je regarde 15 ans en arrière et je me dis que j'aurais signé des deux mains pour vivre cette carrière.
20 | Vous êtes trop gentil pour être un véritable gagneur ?
Je donne toujours le meilleur de moi-même mais je pourrais parfois être plus agressif, c'est vrai. En course, il faut savoir être méchant dans le bon sens du terme. Peut-être qu'il ne faut pas forcément avoir un sale caractère mais il faut être hargneux. On le devient forcément un peu tous parce qu'au moment où on frotte pour sa position dans le peloton, on ne peut pas penser à un truc gentil. Ce n'est pas compatible.
21 | Et après vos débuts prometteurs, il y avait une forme de pression...
Sincèrement, je ne l'ai jamais ressentie. J'ai été bien entouré, aussi. Une fois arrivé sur le Tour avec l'étiquette de coureur de classement, c'est vrai que j'avais parfois trop d'attention. C'est évidemment plaisant d'avoir bonne presse mais c'est vrai qu'on m'a souvent prédit de très belles choses alors que j'ai simplement fait une fois top 10 sur la Vuelta (6e en 2011, NdlR). Pourtant, chaque année on m'annonce top 10 partout. Alors oui potentiellement je peux y parvenir mais il me faut quand même une série de circonstances favorables.
22 | Vous avez des regrets ?
Peut-être que l'équipe Leopard n'ait pas continué. Car il y avait un super groupe, un super projet. Ça n'a duré qu'un an, finalement, car la 2e année c'était la fusion. C'était bien, hein, mais ce n'était plus pareil. Cette équipe était créée de toute pièce, avec des coureurs que Frank et Andy appréciaient. On a créé un vrai groupe d'amis, avec un super budget. Et les résultats suivaient, l'ambiance était vraiment géniale. Des années après, dans le peloton on parle encore du "groupe Leopard". C'est un truc qui n'a pas duré longtemps mais qui a marqué tout le monde. J'entends encore parfois "ah ouais, toi t'étais chez Leopard".
23 | Il y avait un côté cour de récréation où Frank et Andy ont pris tous leurs copains pour rejoindre leur équipe...
(Enthousiaste) Oui, c'était ça ! Forcément, on est fier quand on peut appartenir à quelque chose comme ça. Ce type de projet semble impossible maintenant... quoique, on parle aujourd’hui du projet de Bahreïn donc pourquoi pas revoir ça dans le peloton.
24 | Vous en êtes à 1000 jours de course, vous auriez pensé atteindre ce cap un jour ?
Je ne sais pas si c'est à ça qu 'on pense quand on commence. Après on dit toujours : quand on fait 15 ans chez les pros, c'est super. Là, j'ai déjà 14 ans d'assurés (il a un contrat chez Lotto jusqu'à la fin 2017, NdlR). Mille jours, ça fait trois ans de courses non-stop. Et ça fait un peu bizarre.
25 | Le plus beau de ces 1000 jours, ce fut lequel ? Et la plus belle année ?
Oufti ! Il y en a eu beaucoup, des beaux jours. (Il réfléchit) Peut-être quand même la première victoire. C'était inattendu et je n'étais pas dans une période où je me sentais super bien. Donc c'était une vraie surprise. Ça restera sans doute ma plus belle émotion. La plus belle année, c'est plus facile: 2011 ! Il y a quand même cette sixième place à la Vuelta. Ça reste pour moi un tout gros résultat. Puis, il y a tout ce qu'il a eu à côté : la création de l'équipe (Léopard, NDLR) et toutes les émotions. Sur le Tour, on était déçu. Mais on est passé tout près. Avec le recul, c'était quand même une réussite.
26 | Vous avez roulé pour des équipes belges (Landbouwkrediet et Lotto) et française (Cofidis) ainsi que pour deux grosses formations américaines. Vous retirez des bénéfices de cette diversité ?
La grosse différence, c'est la mentalité. En Belgique et en France, il y a une mentalité qui ressort vraiment. Alors que chez HTC et Léopard, c'était vraiment un melting-pot. Il y avait, je crois, 17 ou 18 nationalités différentes. Quand on mélange autant de cultures, il n'y a que le meilleur qui peut ressortir. Quand on met des gens qui se ressemblent ensemble, ce n'est pas la même chose. Les mauvais côtés ressortent souvent. C'était le cas chez Cofidis et parfois c'est le cas chez Lotto. On ne peut rien y faire. J'ai eu du mal à m'adapter au début, en 2014. Mais après, c'est un confort de vie en général de rouler à nouveau pour une équipe belge. Le service course n'est pas loin et quand il y a un souci avec le matériel, on a tout à proximité…
27 | Niveau organisation, il y a vraiment des différences de HTC à Leopard et Lotto ?
Pas vraiment. En 2014, Lotto était peut-être un peu en retard au niveau de l’aide aux coureurs, qui sont chouchoutés dans les grandes équipes américaines. Mais maintenant ça a beaucoup changé. Lotto n'a plus rien à envier aux autres formations.
28 | C'est ce qui a fait que vous aviez eu du mal à vous adapter ?
Oui, il y avait ça. Parce que j'étais déçu de ne pas retrouver le cadre que j'avais connu dans des équipes comme HTC et Leopard. Mais il n'y avait pas que ça... On avait aussi une fausse image de moi dans l'équipe. Des équipiers pensaient que j'étais arrogant, sale garçon... Il a fallu du temps pour montrer que je n'étais pas comme ça. Dans le peloton, on est tous un peu différents, parfois un peu agressifs. Ça peut venir de là. Au niveau de l'équipe, ils attendaient beaucoup aussi. En m'envoyant au Giro et à la Vuelta, ils pensaient que j'allais faire Top 10 chaque année. Après ils ont vu qui j'étais vraiment, comment je travaillais et quel était mon vrai potentiel. Et maintenant ça se passe super bien.
29 | Lotto, c'est votre dernière équipe?
Il ne faut jamais se fermer aucune porte. Mais j'ai trouvé ma place et je m'y sens bien. A l'heure actuelle, j'espère que je vais finir ma carrière là. Mais pas l'année prochaine, au terme de mon contrat, hein !
30 | Vous disiez que le cyclisme est devenu un métier plus qu'une véritable passion, y compris pour vos proches...
Il y a une routine qui s'installe. Une lassitude pour la famille. C'est la treizième année. C'est toujours un peu la même chose. Et puis, ce n'est pas comme si je ramenais dix victoires chaque année. Je fais toujours le métier du mieux que je peux. Mais ça ne passionne pas toujours les foules. Ceci dit, je prends toujours du plaisir. Je retrouve des nouveaux challenges. Mais je comprends que les supporters qui étaient là à certains moments ne viennent plus sur toutes les courses. Ils ont d'autres attentes.
31 | Comment vous vous sentez, à un mois et demi de la Vuelta ?
De mieux en mieux. J'ai bien récupéré du Giro et j'ai pu retravailler. Je viens de finir huit - neuf jours de gros travail. Et j'avais de bonnes sensations. Je travaille différemment par rapport aux petites erreurs que j'avais pu commettre dans la préparation du Giro, notamment concernant les entraînements à jeun. J'ai retrouvé beaucoup de motivation pour la suite de la saison. Après, je sais très bien que pour faire Top 10, il me faut des circonstances. Et ces circonstances, j'ai envie d'aller les chercher. Je sais qu'au début ça ne sert trop à rien que j'aille dans les échappées. Mais au bout d'une semaine, il y a de vraies opportunités. Et j'ai envie d'être là. En perdant si possible moins de temps qu'au début du Giro.
32 | Vous n'avez pas gagné de victoire individuelle depuis 2010, c'est quelque chose qui vous pèse un peu ?
Oui et non. Je n'ai jamais été un grand vainqueur. Je n'ai pas souvent connu la sensation de la victoire. Donc ça ne pèse pas. Mais quand je m'entraîne c'est toujours pour obtenir le meilleur résultat possible : la première place. Même si je sais que ce sera compliqué.
33 | Si aujourd'hui on vous dit que vous pouvez en gagner au moins une belle, ce serait laquelle ?
Il faudrait que je réponde un truc accessible. Donc ce serait une étape au Tour quand j'y retournerai. Ce serait magnifique pour clôturer une carrière. Liège-Bastogne-Liège me fait toujours rêver mais il faut que je sois réaliste. J'y suis déjà allé en étant en forme mais j'ai toujours été déçu. Le mieux que j'ai pu faire, c'était arriver au pied d'Ans avec les meilleurs. Mais je ne pouvais pas faire la différence. Je repartais plus frustré qu’autre chose.
34 | Vous étiez candidat pour une sélection aux JO ? C'est une déception de ne pas y être ?
J'étais dans les 15. Mais j'ai eu une discussion constructive avec Kevin De Weert (le sélectionneur national, NDLR) qui fait vraiment bien son job depuis qu'il est là. Et on en a conclu que je n'avais pas le profil. Je me suis par contre porté candidat pour les championnats d'Europe.
35 | Vous gardez quel souvenir de votre course à Pekin, en 2008 ?
Sportivement, un très mauvais souvenir. Car je sortais cramé du Tour et j’avais dû abandonner. Par contre, les à-côtés et les gens que j'ai pu rencontrer là-bas, c'était top . J'ai encore des amitiés qui tiennent. C'est là que j'ai rencontré Steve Darcis, par exemple. Et on se voit encore souvent. Être au contact de champions de toutes les disciplines, c'est une superbe expérience.
36 | Quand vous dites que vous voulez participer aux championnats d'Europe, c'est avec un grand sourire…
Oui. J'ai envie de porter ce maillot national. Je n'ai rien contre Bomans (l'ancien sélectionneur national, NDLR) mais, avec lui, on n'avait pas de suivi, on ne savait pas ce qui se passait. Il m'appelait quand il avait besoin, c'est tout. Avec Kevin De Weert, on a le même âge, on a roulé ensemble. Il a été plein de fois dans ma situation. Il sait comment faire. Et donc j'ai envie de revenir en sélection nationale. Je suis conscient de ne pas être le leader de l'équipe. Mais je trouve que le coach doit appeler tous ses coureurs sélectionnables et doit voir ce qu'il peut faire avec. Et pas seulement les trois cadres de l'équipe. Les cinq autres qui complètent l’équipe aux championnats du monde apprenaient quasiment leur sélection par la presse. Je ne trouve pas ça logique.
37 | Vous avez vu ce sport changer aussi, forcément, en 13 ans. Du Giro 2006 au Giro 2016, notamment…
Tout est devenu plus pointu. Tout le monde est plus fort. Le Giro 2006, c'était plus relax. Il y en avait encore beaucoup de l'ancienne époque : des Basso, Ulrich... Je crois que c'était Honchar qui remportait les chronos. C'était le vrai Giro. La bella vita. On laisse partir l'échappée, puis derrière on roule tranquille, et on fera le final si ça nous enchante. Je peux vous dire que ce n'est plus comme ça (rires) !
Et puis, il y a 6 ou 7 ans d'ici, j'étais sûr de faire la longueur de carrière que j'avais envie de faire. Maintenant, j'ai envie d'encore courir après 2017, mais je ne suis pas sûr d’obtenir le même contrat et les mêmes propositions. Les plus forts signent des contrats à plusieurs millions, les autres remplissent les cases restantes. Ce n'est pas si facile que ça.
38 | Quel coureur vous a le plus impressionné durant ces années ?
C'est difficile car ça devient vite des copains. On a du respect mais on n'a plus cette admiration que l'on a pour quelqu'un qu'on ne connait pas. Mais sinon Cancellara est impressionnant. C'est Spartacus ! Quand je suis arrivé chez Leopard, j'avais beaucoup de respect pour lui. Il a ce côté parfois distant quand il vous parle, il en impose !
39 | Entre Cancellara et Tony Martin, lequel est la plus belle bête à rouler ?
Tony, il fait des entraînements de fous, à l'allemande. Fabian, il ne s'entraîne pas comme ça. Il s'entraîne plutôt à l'italienne : tranquille avec des intervalles. Tony c'est tout le temps à fond. Même entre les intervalles, il est à fond.
40 | Vous donnez l'impression d'être l'un des vrais gentils du peloton… pourtant l'année passée vous avez connu deux clashs médiatisés !
Avec Van den Broeck, c'est de ma faute si ça a été médiatisé. J'aurais dû penser qu'il y avait une caméra. Mais franchement je n'ai pas de regrets. Je ne vais pas rentrer dans les détails parce qu'on a réglé ça entre nous. Mais il n'a pas été réglo. C'était sur toute une période. Je lui ai dit que j'avais énormément de respect pour tout ce qu'il a fait dans sa carrière. Jamais je n'aurais pu faire quatrième du Tour. Mais il ne pouvait pas se comporter comme il s'est comporté. J'ai pris beaucoup sur moi mais à un moment donné je ne pouvais plus. S'il avait eu de la bonne volonté, on finissait tous les deux dans le Top 10 du Giro. Vraiment. Si l'on avait roulé l'un avec l'autre et pas l'un contre l'autre – enfin surtout lui contre moi – on gagnait trois ou quatre minutes au général tous les deux.
41 | Lors du Tour 2015, les sous-entendus de Rodrigo Beenkens sur votre manque de panache vous ont blessé également…
Aucun regret non plus. Même si j'ai été dépassé par la réponse que j'ai écrite sur les réseaux sociaux. Je me suis réveillé tôt ce jour-là. Ma femme dormait encore. Et j'ai écrit ça comme ça. Je ne voulais pas être pris pour un con. Je ne suis pas la personne qu'il a décrite. Il n'avait pas le droit de me détruire comme ça. C'était gratuit, méchant. Et ce n'était pas la première fois en plus. Si ma femme avait été réveillée, elle m'aurait empêché d'écrire ce message et on en serait resté là. J'accepte d'être critiqué, c’est le job des journalistes. Mais il faut une critique objective. Ici, il a dit que Serge Pauwels avait attaqué plus en une semaine de Tour que Monfort dans toute sa carrière. Qu'est-ce qu'il avait besoin de lâcher ça sur la RTBF ? Il ne se rend pas compte qu'il fait l'opinion des gens. Ok, je n'ai pas attaqué assez dans ma carrière, j'aurais pu le faire plus souvent. Il y a plein de trucs à redire sur ma façon de rouler. Mais qui est Rodrigo Beenkens pour se permettre un commentaire comme celui-là à ce moment-là ? Avec mon œil de spécialiste, quand je regarde la télé, j'ai aussi plein de choses à lui reprocher quand il commente. 50-50, balle au centre. Il m'a aussi critiqué sur mes choix de carrière, mes choix de programme. Alors que mes choix de programme, je n'ai rien à dire. Je suis le premier à vouloir aller au Tour. Je prends ce qu'on me donne...
42 | On sent qu’une reconversion comme consultant vous tend les bras, mais vous ne commenterez jamais le Tour de France avec Rodrigo Beenkens…
(Il rigole) C'est ce que Michel Lecomte m'a dit, car oui, c’est allé jusque-là : le chef du service sport de la RTBF m’avait contacté. Enfin bon, Rodrigo Beenkens n'avait pas à dire ça et je n'avais pas à réagir comme ça. On en reste là. Mais effectivement, devenir consultant me plairait. Ce que fait Cyril Saugrain maintenant, c'est parfait. Je ne sais pas si c'est ce qu'attend le commun des mortels mais il connaît son truc. Son binôme avec Laurent Bruwier fonctionne bien.
43 | Comment vivez-vous l'incertitude qui règne toujours autour de la santé de votre équipier Stig Broeckx ?
C'est triste. J'ai déjà été choqué par le décès d'Antoine, avec qui je m’entraînais souvent. Ce qui se passe avec Stig, ça vient s'y ajouter... Je n'ai juste pas de mots. Dans l'équipe, ils disent "Fight for Stig". Moi, ça ne me fait pas fighter du tout. Ça m'abat. Je suis le premier à vouloir qu'il s'en sorte. Mais je n'arrive pas à puiser de la force dans ce qui lui arrive. Comme Antoine, il était sûr de lui au moment de l'accident. Il n'avait pas l'impression de prendre des risques. Dans un sprint, dans une descente, on sait que ça peut arriver. Mais là... Il ne devait rien arriver. Moi, j'ai pris beaucoup de recul avec beaucoup de choses. Avec ma famille, on a vraiment changé de philosophie.
44 | Le nombre croissant de motos sur le parcours a déjà causé deux accidents dramatiques cette année…
On a fait un bon débat sur le sujet à la RLVB début juin. Il y a plein de trucs à mettre en place. Mais ce qu’il faut surtout, c'est enlever ce stress aux motards qui se sentent obligés de passer à certains moments. Ils abordent donc ces dangers en prenant des risques. Quand on est stressé, on oublie le danger. Une solution pourrait même être de mettre plus de motos en course. Il y aurait plus de motards pour bloquer les carrefours. Et certains ne se sentiraient pas obligés de devoir prendre des risques pour dépasser le peloton. Ils seraient couverts par leurs collègues.
45 | Autre polémique du moment : le dopage mécanique. Comment peut-on imaginer qu'un gars se soit levé un matin avec l'idée de mettre un moteur dans son vélo ?
Je n'y crois pas une seconde. Ce qui m'a fait hésiter, ce sont les reportages. On a dû voir les mêmes. Je me dis : techniquement, OK, c'est possible. Mais après je me dis qu’au niveau organisationnel, c’est inconcevable. Il faudrait qu'il y ait un mécano dans la confidence. Et un seul. C'est impossible. Maintenant, peut-être que pour les grands leaders, il y a des choses spéciales qui peuvent être mise en place.
46 | Il se murmure que les équipes célèbrent leurs belles victoires, notamment sur le Tour, avec une coupe de champagne. Mais où était-il le meilleur, ce champagne ? Chez Landbouwekrediet, Cofidis, HTC, Leopard ou Lotto ?
Chez Leopard, il était bon parce qu'on avait un mécène amateur de champagne et de vins. Et il y avait quelques bonnes bouteilles. (Il rigole) Chez Lotto maintenant, c'est le vin. Champagne c'est plus rare. Et un bon verre de vin, pour moi qui suis amateur, c'est agréable.
47 | Vous avez suivi l'Euro de foot ? Vous avez été déçu par les Diables ?
Oui. C'est dommage. Mais je trouve qu'on est allé un peu loin dans les critiques sur Wilmots et les joueurs. OK, il y a des choses à leur reprocher. Mais ils ont tous voulu faire de leur mieux. Ils n’ont pas fait exprès de faire ce qu'ils ont fait. Peut-être que Wilmots manque de compétence... Ce n'est pas à moi de juger. Mais l'assassiner comme ça... Il est devenu l'ennemi public numéro 1 alors qu'il y a un an ou deux, il était le roi. Et puis, faut arrêter, ça reste du sport.
48 | Quand on connait l'hygiène de vie des cyclistes, cela doit vous faire rire de lire que Radja Nainggolan fume régulièrement…
Oui, ça me fait rire. Mais je ne suis pas jaloux des footballeurs. Ils ont d'autres choses à gérer dans leur carrière. Ce n'est pas uniquement physique, il y a de la tactique et du talent. Et puis, jouer devant 50.000 personnes et ne pas pouvoir faire ses courses tranquillement, ce sont aussi des aspects qu'il faut savoir gérer et qui font qu'ils méritent d'être payés comme ils le sont. Qu'il fume, ça peut paraître un peu con car on est dans le sport de haut niveau. Mais de ce que je vois, il a quand même sorti de bons matchs...
49 | Il aurait réagi comment, Zlatan Ibrahimovic, si on lui avait dit qu'il devait payer lui-même son hélicoptère pour rendre visite à sa femme et son nouveau-né ? (Ce que Monfort a fait en 2010 pendant la journée de repos sur le Tour, NdlR)
En tant que cycliste, on est conditionné comme ça depuis l'adolescence. Le jeune cycliste, il vit comme un pro. Et il se conditionne. Sa mentalité change aussi. Jamais il ne sera adulé comme un footballeur et jamais il n'aura des réactions de footballeur. Mais rassurez-vous, Zlatan n’aurait pas eu de mal à se payer un aller-retour en hélicoptère (rires).
50 | Pour finir, que peut-on vous souhaiter pour vos 1.000 prochains jours de course ?
Prendre du plaisir. Être heureux dans ce que je fais. Et ça, ça veut dire des résultats, des satisfactions, beaucoup d'émotions... positives et négatives. C'est un tout qui va faire que, quand je prendrai du recul, je vais pouvoir dire : je me suis bien amusé, c'était chouette.
> Une interview de Denis Vanderbrugge et Nicolas Christiaens