Gand-Wevelgem: le Kemmel, infâme champ de bataille
Gravi à deux reprises sur Gand-Wevelgem dimanche, le mont flandrien fut longtemps autant redouté pour son ascension que pour sa vertigineuse et périlleuse descente.
- Publié le 31-03-2019 à 09h00
- Mis à jour le 31-03-2019 à 09h01
Gravi à deux reprises sur Gand-Wevelgem dimanche, le mont flandrien fut longtemps autant redouté pour son ascension que pour sa vertigineuse et périlleuse descente.
Du toit de cette Flandre occidentale si plane, on pourrait presque toucher le ciel ouateux en tendant le bras. Point culminant (156 mètres) d’une province où s’est écrite la grande histoire des deux guerres, le mont Kemmel domine la plaine et ses cimetières de croix blanches d’un air très solennel. Comme si le sol avait voulu se mettre au garde-à-vous pour saluer la mémoire de ceux qui ont laissé leur vie sur et aux abords de ce haut lieu stratégique.
Une terre de combats devenue, plus tard, le principal champ de bataille de Gand-Wevelgem (première apparition sur le parcours de la Course des éventails en 1955). Longtemps, le Kemmelberg fut autant redouté pour son ascension via le Belvédère (1,5km à 6 % de moyenne, pente maximale de 18 %) que pour sa vertigineuse descente pavée par l’Ossuaire, ce versant ouest présentant un passage à 23 % !
C’est là que Jimmy Casper fut victime d’une terrible chute lors de l’édition 2007 de la course des éventails. "Depuis que j’ai mis un terme à ma carrière, en 2012, on me reparle encore aujourd’hui de deux principaux faits d’arme, sourit le Picard. Ma victoire sur la première étape du Tour de France à Strasbourg en 2006 et ma chute sur Gand-Wevelgem l’année suivante. Celle-ci a véritablement marqué mon histoire sportive et j’en revisionne les images près d’une fois par mois, lorsque quelqu’un aborde le sujet avec moi. En Belgique, j’ai gagné le Samyn, le Franco-Belge ou encore le championnat des Flandres, mais c’est ma gamelle qui a marqué les esprits (rires)."
Il faut dire que la vidéo, vue 126 000 fois sur Youtube, glace le sang. Maillot Unibet.com sur les épaules, le Français a soudainement les mains qui glissent du guidon avant de s’écraser, face la première, sur le pavé.
"On m’a relevé avec des plaies multiples au visage, plusieurs dents cassées et cinq fractures au poignet gauche, se souvient le Français. On m’a posé 64 points de suture à la figure, dont certains à l’intérieur de la bouche, mais je n’en garde aujourd’hui qu’une minuscule cicatrice près de ma lèvre supérieure. Le docteur Mathys, de l’hôpital d’Ypres, avait fait un boulot admirable ! Ma femme n’avait heureusement pas vu les images en direct car mes enfants étaient alors en bas âge et mon fils avait requis son attention loin de l’écran de télévision au moment de ma chute. Lorsqu’elle est revenue dans le salon, je gisais sur le sol. Elle a évidemment eu très peur mais nous avions mis en place une sorte de code en pareilles circonstances. Si j’étais conscient et que je souhaitais rassurer mes proches, je bougeais un membre. Si vous regardez bien les images, on me voit agiter mon genou de gauche à droite."
Une cabriole qui n’eut pas raison de la carrière du sprinter. "J’ai même participé encore par après à Gand-Wevelgem (en 2012). Cette course me faisait très envie, mais elle ne m’a jamais réellement réussi. Comme on dit dans le jargon, c’est toujours un gros chantier là-bas." Ou un immense champ de bataille…
"Le sommet fait le plus mal"
Deuxième de Gand-Wevelgem en 2017, le Brugeois de chez Lotto-Soudal nous détaille l’ascension de l’intérieur du peloton.
Deuxième de Gand-Wevelgem en 2017, derrière Van Avermaet, Jens Keukeleire n’y a pas enregistré un accessit de prestige par hasard. "Je connais en effet la montée du Kemmel, juge de paix de cette épreuve, par cœur, sourit le sympathique coureur de chez Lotto-Soudal. Depuis mon domicile brugeois, je mets pratiquement toujours le cap dans cette direction lorsque je pars pour un entraînement de quatre ou cinq heures. Je gravis donc cette bosse une bonne vingtaine de fois chaque année environ."
Le double vainqueur sortant du Tour de Belgique en maîtrise donc chaque aspect. "La principale caractéristique de Gand-Wevelgem tient dans le rôle que le vent peut y jouer. Dans le Kemmel à proprement parler on est, pour l’essentiel, à couvert, mais les bourrasques peuvent compliquer l’approche de la difficulté, là où le placement est très important et le peloton assez nerveux. Dans la traversée du village portant le même nom que le mont et qui précède la montée classique, par le Belvédère, plusieurs rétrécissements liés à des aménagements urbains peuvent étirer la meute, ou du moins ce qu’il en reste. Vient ensuite une longue partie asphaltée assez rectiligne et exigeante que j’apprécie car elle permet d’assez facilement regagner quelques positions puisque la chaussée n’y est pas trop étroite. On vire ensuite sur la droite pour attaquer le tronçon pavé d’environ 500 m. C’est dans le virage gauche que la pente est la plus forte et flirte avec les 18 %. En plein final, je m’accroche alors à l’idée de me dire qu’il me reste alors une bonne dizaine de secondes d’effort très intense avant d’atteindre le sommet… (rires)"
Un endroit qui n’est pourtant pas synonyme de répit.
"Sur le replat asphalté qui suit, près du monument aux morts, c’est là que cela fait le plus souvent très mal aux jambes, poursuit Jens Keukeleire. La relance y est en effet violente et après l’effort délivré dans l’ascension, on a le sentiment d’avoir les cuisses qui brûlent… Depuis 2016, on grimpe également le Kemmel par le versant que l’on descendait autrefois : l’Ossuaire. Là, c’est un peu sauve qui peut car cette ascension survient en plein final, à un peu plus de trente kilomètres du but, mais aussi parce que la pente frôle les 23 % à un endroit ! Il faut être bien posé sur sa machine pour conserver toute la motricité et éviter de se mettre en danseuse si c’est mouillé."