Christian Prudhomme en visite à la DH: "Même si Bruxelles avait été à 15 000 km de Paris on y serait venu !"
En visite dans nos locaux, le directeur du Tour de France a échangé durant une matinée avec nos lecteurs.
- Publié le 29-05-2019 à 06h54
- Mis à jour le 29-05-2019 à 07h42
En visite dans nos locaux, le directeur du Tour de France a échangé durant une matinée avec nos lecteurs. "Vous savez ce que c’est qu’un Belge ? Un Français qui a le sourire…" Un café à la main, Christian Prudhomme fait son entrée dans nos locaux sous les éclats de rire des dix abonnés à la DH/Les Sports +, venus à sa rencontre depuis Herve, Verviers, Tournai, Charleroi ou Zaventem.
À cinq semaines du Grand Départ du Tour de France à Bruxelles, son directeur avait fait le déplacement mardi dans notre capitale pour y rencontrer nos lecteurs. Entre un débat passionné avec Bernard Catoire, Lionel Burgue, Serge Liépin, Romain Olieslager, Thomas Damine, José Lambert, Jean-Paul Vaseur, Quentin Ernst et Eric Lootens (les lauréats de notre concours abonnés), un Facebook live à revivre sur notre page DH Cyclisme et un lunch durant lequel le nom d’Eddy Merckx n’était jamais loin, le boss de la plus grande course cycliste du monde aura échangé avec enthousiasme. "Je ne sais pas si je travaille 10 ou 100 heures par semaine tant je m’amuse dans ce que je fais", sourit Christian Prudhomme. Retour sur une matinée où nos lecteurs se sont mués en interviewers.
Comment se construit le parcours d’un Tour de France et se dessine ses grandes lignes ?
"Je dis toujours la même bêtise : je descends à la cave et je regarde ce qu’il me manque comme bouteilles. Cette année, je n’avais plus de Champagne et nous allons donc à Reims et à Épernay… (rires) Blague à part, le tracé d’un Tour de France s’élabore bien évidemment d’abord et avant tout en fonction des candidatures que nous recevons. Nous avons le privilège de ne pas manquer de choix puisque nous en accueillons environ 300 chaque année, 250 à l’intérieur de l’Hexagone et une cinquantaine à l’étranger. Il faut ensuite veiller au respect des règles UCI comme le kilométrage total, les journées de repos, etc. Nous savons aussi que la diagonale qui va du pays basque à l’Alsace délimite très clairement la topographie de la France. Au-dessus de celle-ci, il n’y a pratiquement pas de montagne, mais il s’agit des régions qui aiment le plus le vélo comme la Bretagne, la Vendée, le Nord… Une fois que la ville du Grand Départ est désignée, même si l’attribution n’est pas encore officielle, nous y voyons déjà plus clair. Nous travaillons toujours conjointement sur trois éditions ce qui veut dire que nous planchons déjà sur l’édition de 2021 par exemple. Depuis plusieurs années, nous veillons à l’alternance des scénarios et tentons ainsi de ne jamais proposer consécutivement plus de deux étapes de même nature. Après deux étapes dédiées au sprinter, il en faudra par exemple nécessairement une pour les puncheurs ou les grimpeurs par exemple. Le Grand Départ de Bruxelles cette année est une bonne illustration de mon propos. Après une journée promise aux sprinters en ouverture, on enchaîne avec un chrono par équipes puis une arrivée pour des coureurs explosifs. Dans notre monde du zapping, c’est important de savoir s’adapter."
Nous avons la chance d’accueillir le Grand Départ cette année dans notre capitale. Celui-ci aurait-il eu lieu si Eddy Merckx n’avait pas été belge… (rires) ?
"Nous serions forcément venus à Bruxelles, mais sans doute alors pas en 2019. J’aime rappeler que le lancement de cette édition était initialement promis à la Vendée. Jusqu’à ce qu’Eddy Merckx et Alain Courtois, échevin des sports de l’époque, ne débarquent à Paris pour me signifier que la Ville était candidate en 2019 et pas une autre année en raison de la symbolique des cinquante ans de la première victoire d’Eddy sur le Tour ! Annoncer au président du département de la Vendée qu’on changeait ce qui était prévu pour les 100 ans du maillot jaune, ce n’était pas simple… Mais Alain Courtois a su se montrer persuasif puisque les élus vendéens ont accédé à sa requête pour avancer leur Grand Départ d’un an. Yves Auvinet, le président du conseil départemental qui est un amoureux du vélo, lui a confié que pour Eddy Merckx, on ne pouvait que dire oui… Mais le Tour se déplace là où bat le cœur du vélo et la Belgique en est incontestablement l’un des berceaux. Il y a une telle ferveur chez vous que même si Bruxelles avait été à 15 000 kilomètres de Paris il nous aurait fallu trouver une solution logistique pour nous y rendre ! (rires)"
De votre position, dans la voiture de direction de course, est-il aisé de percevoir la passion du public belge lorsque le Tour passe par notre pays ?
"Oui, bien évidemment. Il faudrait se boucher les oreilles et se cacher les yeux pour ne pas s’en rendre compte (rires)… Lors du dernier départ d’étape du Tour à Bruxelles, Eddy Merckx avait pris place dans mon véhicule et je l’avais invité à saluer la foule par le toit ouvrant. On aurait dit que le public présent des deux côtés de la chaussée se répondait et chantait "Ed-dy". Je me demande parfois plutôt si vous, vous mesurez bien à quel point vous aimez le vélo… (rires)"
Ne grince-t-on pas trop des dents en France lorsqu’un Grand Départ est attribué à une ville étrangère ?
"Depuis le lancement du Tour 2017 à Düsseldorf, je ressors souvent une image lorsque l’on me pose cette question (NdlR : il extrait son téléphone portable de sa poche pour montrer à nos abonnés une photo). Regardez ce cliché du Parlement régional habillé, par un jeu de lumière, du drapeau français. Quel fantastique hommage à notre pays ! Et puis vous savez, j’aime que certains râlent quand on ne passe pas par chez eux, car cela veut dire qu’ils nous attendent ! Si les gens se moquaient du Tour de France, les choix inhérents à son parcours ne généreraient pas de telles réactions. Même les gens qui ne s’intéressent pas au vélo font la moue si le Tour ne passe pas chez eux…"
Les contingences logistiques doivent également vous imposer certains choix non ?
"Oui, tout à fait. Le Tour est une petite ville de 5 000 habitants qui se déplace au quotidien si on tient compte de l’intégralité de la caravane que représentent groupes sportifs, organisation et médias accrédités. ASO réserve ainsi à elle seule 1 250 à 1 300 lits chaque soir. Cela veut donc dire que les capacités hôtelières influent effectivement sur certains choix. Dans les Pyrénées, il n’y a malheureusement pas une station capable d’accueillir la caravane entière. C’est pour cela que nous allons le plus souvent à Pau ou Toulouse. Nous essayons aussi de limiter les transferts afin de permettre aux coureurs de récupérer au mieux. Il y a ensuite le volet sécuritaire. Un Tour de France, c’est 200 réunions exclusivement dédiées à cette thématique avec les élus et la police."
Ces dernières années, le suspense pour la victoire finale n’a pas toujours été extrêmement palpitant sur le Tour. Comment l’expliquez-vous ? Est-ce la faute au parcours, aux coureurs ?
"Je pense que c’est avant tout la responsabilité des équipes. Le Tour est la plus grande course du monde et est aussi devenu la seule qui compte réellement aux yeux des sponsors. Si vous étudiez les chiffres d’audience mondiale des retransmissions d’épreuves cyclistes, vous observerez que les 21 étapes du Tour occupent les 21 premières places… Vient ensuite Paris-Roubaix. On y défend donc une sixième place au général, une seconde au classement du meilleur jeune ou encore un accessit au ranking interéquipes. Ce n’est pas le cas ailleurs. Le Tour est, sur ce point de vue, victime de son succès. Les scénarios sont effectivement parfois cadenassés, mais croyez bien que je suis le premier à le regretter. Ce qui est dingue, c’est de se dire qu’une victoire d’étape d’un coureur sur la Grande Boucle peut davantage changer sa vie qu’un succès sur une belle classique… Moi, je continue de rêver de voir les mêmes protagonistes se battre de Paris-Nice au Tour de Lombardie."
La sortie, donc, de l’hyperspécialisation du peloton…
"Oui totalement. Voir Mathieu Van der Poel s’imposer par exemple sur le Mondial de cylo-cross avant de remporter l’Amstel Gold Race puis une manche de Coupe du Monde VTT, c’est formidable ! Voir Philippe Gilbert gagner quatre des cinq monuments, c’est formidable. Et j’espère sincèrement qu’il enlèvera Milan-Sanremo d’ici la fin de sa carrière. Après le numéro qu’il avait livré sur les pavés du Nord lors du Tour 2014, je rêve maintenant de voir Nibali sur Paris-Roubaix. J’adore aussi voir les jeunes nourrir une forme de respect pour les racines. Et j’ai le sentiment que cet état d’esprit habite une bonne partie de la nouvelle vague du peloton. J’avais assisté à la fête célébrant les 80 ans de Raymond Poulidor il y a trois ans de cela maintenant et celui-ci y chantait les louanges de son petit-fils Mathieu Van der Poel. Je pensais que c’était le discours d’un papy pour sa descendance, mais il s’agissait plutôt de l’œil expert d’un ancien champion sous le charme d’un nouveau cador. Il ose, il attaque de loin. Les gens deviennent amoureux du vélo par la grâce de personnages comme celui-là qui rayonnent de panache."
Julian Alaphilippe est de la même veine…
"Totalement, je suis d’accord avec vous. En France, en dehors du Tour, les images de vélo au journal de 20 h sont très rares, mais on y a diffusé cette année quelques secondes de son succès au Strade Bianche et à Milan-Sanremo. Il a réussi là ce qu’aucun autre champion français n’avait réussi ces dernières années. De par son attitude offensive sur le vélo, mais aussi de par sa façon d’être. Cette année, sur la montée du Mur de Huy, les clameurs qui ont suivi son attaque m’ont rappelé celles qui avaient porté Philippe Gilbert vers la victoire en 2011."