Christian Prudhomme: "Eddy est le symbole total du maillot jaune"
Christian Prudhomme se réjouit vraiment que le Tour de France 2019 partira de la ville d’Eddy Merckx, le champion et l’ami qu’il apprécie et admire tant.
- Publié le 23-10-2018 à 06h51
- Mis à jour le 23-10-2018 à 11h00
Christian Prudhomme se réjouit vraiment que le Tour de France 2019 partira de la ville d’Eddy Merckx, le champion et l’ami qu’il apprécie et admire tant. Jeudi, lorsqu’il montera sur la scène du palais des congrès de Paris pour y présenter le parcours du prochain Tour de France, Christian Prudhomme le fera d’un pas léger.
D’abord parce que les temps sont pour le cyclisme meilleurs qu’ils ont pu l’être en plusieurs occasions ces dernières années. Mais surtout parce le directeur du Tour de France prendra un réel plaisir à dévoiler la 106e édition de la Grande Boucle.
Le patron d’ASO y rendra évidemment un hommage à Eddy Merckx, dont la figure sera étroitement liée à ce Tour 2019, marqué bien sûr par les cent ans du maillot jaune mais aussi, avec ce Grand Départ à Bruxelles, par le souvenir de la première des cinq victoires du plus grand coureur de tous les temps.
Christian Prudhomme, qu’est-ce qui vous a décidé à choisir Bruxelles comme ville départ du Tour 2019 ?
"Pour vous, l’an prochain, c’est le cinquantenaire de la première victoire d’Eddy au Tour, mais pour nous, c’est le centenaire de la création du maillot jaune. Mais Merckx n’est pas Merckx pour ce cinquantenaire, Eddy est le symbole total du maillot jaune. Bruxelles et Eddy sont indissociables. La candidature de Bruxelles, c’était comme un cadeau qui nous tombait du ciel. Pouvoir partir de la ville d’Eddy Merckx. C’était naturel de partir de la ville où a grandi le symbole du maillot jaune, celui qui l’a le plus porté, 96 jours, 111 fois avec les demi-étapes."
Ça n’a pas été aussi simple que cela, pourtant.
"Nous avions une difficulté majeure, car j’avais promis ce Grand Départ à la Vendée. Puis, il y a eu ces changements politiques, le président du département est parti à la Région et son successeur a parlé avec les élus de Bruxelles. Yves Auvinet, qui nous a accueillis l’été dernier, est un amoureux du vélo, pour qui Eddy Merckx est la statue du commandeur, et c’est pour lui qu’il a accepté d’avancer d’un an la venue du Tour en Vendée."
Ouf…
"Grâce à Eddy et Bruxelles, c’est une image forte qui nous est offerte pour débuter. C’est un très grand bonheur, un très grand plaisir et spécifiquement cette année-là avec ce centenaire du maillot jaune et ce cinquantenaire de sa première victoire. C’est comme un alignement des planètes, c’est formidable. On a fait en sorte de passer par des lieux qui font sens à la carrière d’Eddy. Ce qui est frappant c’est qu’en 1969, le Tour est venu dans sa commune, que l’on passait chez lui, et que c’est d’ailleurs là qu’il a revêtu son premier maillot jaune."
Il est fier de ce Grand Départ…
"Touché et fier. Heureux pour Bruxelles, mais légitimement fier et honoré pour lui. D’ailleurs, le ‘fictif’ qui m’a le plus frappé depuis que je suis directeur du Tour, c’est celui à Bruxelles en 2010, avec Eddy dans ma voiture. Nous étions sortis par le toit ouvrant et durant la dizaine de kilomètres, entre le départ fictif au palais royal et le kilomètre zéro, cela n’a été qu’une longue clameur. Ça a duré une petite demi-heure de "E-ddy, E-ddy…" . Ça venait de la gauche, ça répondait à droite, ça repartait de l’autre côté. C’était exceptionnel, le public s’enflammait et pourtant, il avait gagné le Tour quarante ans plus tôt, il y avait plus de trente ans qu’il ne courait plus…"
On sait et sent l’amitié qui vous lie, votre respect aussi.
"Eddy Merckx est un champion, mais aussi un Monsieur. Ce qui m’a terriblement frappé lors de la première conférence de presse que l’on a faite à Bruxelles, c’est quand Bernard Hinault a parlé. C’est quelqu’un qui n’aime pas s’exprimer publiquement et là, à la tribune, il a regardé Eddy et il lui a dit : ‘J’ai voulu te ressembler.’ Dans la salle, il n’y avait plus qu’eux deux et nous, tous les autres. Je m’imagine, le jeune Breton dans sa chambre qui rêve de devenir coureur cycliste et qui veut ressembler à Eddy Merckx. C’est le plus bel hommage que l’on puisse lui faire et il est tellement mérité."
Quelle place occupe-t-il aujourd’hui à votre avis ?
"Les coureurs actuels, je ne leur parle pas forcément de Merckx, mais j’en ai parlé avec tous les anciens, y compris ceux venus après, comme Thomas Voeckler. Pour eux, Eddy Merckx, c’est le numéro 1. Il n’y a strictement aucun doute. J’ai une admiration très, très profonde pour Eddy et beaucoup d’estime, évidemment. Il y a son regard malicieux, son humour, son sourire. Il a un sourire formidable. Il est ouvert au monde. Il parle de nombreuses langues. Il connaît ses racines, il est resté proche du peuple mais parle à tout le monde. C’est un ambassadeur unique qui ouvre toutes les portes car il a fait rêver tant de monde. Je le vois se faire arrêter dans la rue, à Bruxelles ou ailleurs, par des gens, y compris par des jeunes de vingt ans. Le succès ne lui a pas du tout tourné la tête. Ce qui me frappe c’est sa générosité. C’est un homme généreux en dehors du vélo, comme c’était un champion généreux. C’est ce qui a fait tellement souffrir ses adversaires car avec ses qualités physiques et athlétiques, pour les autres, c’était terrible. Il y a également son éducation, sa courtoisie, sa politesse, ce qu’Axel a aussi. Claudine a évidemment joué un rôle important. Les Merckx sont des gens qui vous tiennent la porte, qui vous disent merci et s’il vous plaît. Il y a une très, très belle éducation dans cette famille-là."
Vous ne le savez pas, sans doute, mais la première étape va passer dès son départ à quelques centaines de mètres de chez Remco Evenepoel, "le nouveau Merckx".
" (Il rigole.) Ah oui, c’est fou. Eddy m’en avait déjà parlé avant le Mondial , mais quand j’ai vu sa course à Innsbruck, sa chute, son retour, son attaque, sa victoire… c’est phénoménal."
Vous vous souvenez de Merckx quand il était coureur ?
"Le tout premier souvenir que j’ai du Tour de France, c’est le Tour 68 gagné par Jan Janssen. J’avais sept ans. Je n’ai pas suivi ce Tour mais j’ai vu mon père regarder la dernière étape et j’ai appris que c’était le vainqueur du Tour. Je voyais Jan Janssen, un gars avec des lunettes, à la télé en noir et blanc. L’année suivante, j’ai suivi le Tour d’un peu plus près. Et 1969, c’était le premier d’Eddy…"
Comme Français, vous ne deviez pas apprécier son écrasante supériorité ?
"Bien sûr, comme petit gamin, j’espérais voir gagner Roger Pingeon, Raymond Poulidor… Mais Eddy occupait la place centrale, alors si un Français le battait, je me réjouissais. Pourtant, ses chevauchées, c’est l’épopée. Je me souviens d’une interview qu’il avait dû faire après une classique perdue, mais où il avait attaqué comme un damné. Pourquoi avez vous fait cela, lui a demandé le journaliste ? ‘Pour que ceux qui ne méritaient pas d’être devant soient éliminés’ ... Il était là du premier au dernier jour, il a gagné tellement de courses !"
Vous avez d’autres souvenirs ?
"J’ai évidemment des souvenirs de ses chevauchées, de ses batailles avec Luis Ocana, avec Bernard Thévenet en 1975… J’ai eu la chance immense d’avoir vu l’immense champion qu’il était et après d’avoir eu le privilège de découvrir l’homme merveilleux qu’il est. C’est inestimable. Je me rappelle d’une fois, à Barcelone, en 2003. Le Tour reçoit ce jour-là le prestigieux prix ‘Prince des Asturies’ Je n’étais pas encore chez ASO, mais Jean-Marie Leblanc m’avait invité, comme Eddy et d’autres. En rentrant, on se retrouve à l’aéroport de Barcelone à attendre notre avion. Et Eddy me refait, trente ans plus tard, le Championnat du Monde 1973 couru à Barcelone (NdlR : une édition, enlevée par Felice Gimondi, qui a suscité une vive polémique et une longue dispute entre Merckx et Freddy Maertens, qui s’étaient neutralisés au profit de l’Italien). Je lui dis : ‘Mais Eddy, tu as été champion avant et champion après… ’ Il m’a coupé : ‘Oui, mais si l’on refait cent fois ce Mondial, je le gagne à tous les coups.’ Le refus de perdre de cet homme fait qu’il ne pouvait qu’être un immense champion. C’est resté en lui, même après sa carrière. Pour que dans cet aéroport, tout d’un coup, spontanément il me parle de cela, c’est qu’il est extra-or-di-naire. Au sens propre. C’est un phénomène."
Eddy Merckx et le Tour de France
1. Eddy Merckx a participé 7 fois au Tour de France
> Il a remporté 5 victoires en 1969, 1970, 1971, 1972, 1974.
> Il a aussi conquis une deuxième place en 1975 et une sixième en 1977.
2. Il compte 34 victoires d’étapes
6 en 1969, au Ballon d’Alsace, à Divonne-les-Bains (clm), Digne, Revel (clm), Mourenx et Paris (clm) ; 8 en 1970, à Limoges (Prol), Forest, Divonne-les-Bains (en ligne), Divonne-les-Bains (clm), Grenoble, au Mont Ventoux, à Bordeaux (clm) et Paris (clm) ; 4 en 1971, à Strasbourg, Albi (clm), Bordeaux et Paris (clm) ; 6 en 1972, à Angers (Prol), Bordeaux (clm), Luchon, Briançon, Valloire et Versailles (clm) ; 8 en 1974, à Brest (Prol), Châlons-sur- Marne, Gaillard, Aix-les-Bains, Seo-de-Urgel, Bordeaux (clm), Orléans et Paris ; 2 en 1975, à Merlin-Plage (clm) et Auch (clm).
3. Merckx et les maillots distinctifs
> Au total, il a porté 111 fois le maillot jaune (demi-étapes comprises).
> Merckx a aussi enlevé 3 maillots verts, en 1969, 1971, 1972 (2e : 1970, 1974, 1975).
> Il a remporté deux fois le Grand Prix de la montagne, en 1969, 1970 (2e : 1972, 1974, 1975; 3e : 1971).
4. Distinctions
Ses dominations répétées lui ont permis de conquérir à cinq reprises le Classement du combiné : en 1969, 1970, 1971, 1972, 1974. Et puis, en 1969, il a évidemment contribué à sa formation d’enlever le classement par équipes.
5. Record
Eddy Merckx est le seul coureur à avoir, en 1969, remporté les trois classements individuels (général, points et montagne) la même année. Par ailleurs, lors de ce Tour 69, il avait évidemment enlevé le combiné (addition des places dans les trois classements, général, points et montagne, le plus petit total l’emporte). Ainsi que l’interéquipes avec ses partenaires de Faema. Enfin, si le classement du Meilleur jeune avait existé à son époque, selon sa formule actuelle, le Bruxellois l’aurait également enlevé lors de ses deux premières participations à la Grande Boucle.
Le cannibale en 6 points
1. Naissance
Eddy Merckx est né le 17 juin 1945 à Meensel-Kiezegem (Brabant flamand).
2. Carrière
Il a été professionnel d’avril 1965 à mai 1978. Il a porté le maillot des équipes Solo-Superia (1965), Peugeot-BP-Michelin (1966-1967), Faema, puis Faemino-Faema (1968-1970), Molteni (1971-1976), Fiat France (1977) et C&A (1978).
3. Victoires
Durant cette période, le Bruxellois a remporté 445 victoires, parmi lesquelles trois Championnats du Monde, cinq fois le Tour de France, cinq fois le Giro et une fois la Vuelta, ainsi que 64 étapes dans ces trois grands Tours.
4. Les classiques
S’il est considéré comme le plus grand coureur de tous les temps, c’est parce qu’il a aussi enlevé 29 classiques, soit 19 Monuments : 7 Milan-Sanremo (1966, 1967, 1969, 1971, 1972, 1975 et 1976), 2 Tours des Flandres (1969 et 1975), 3 Paris-Roubaix (1968, 1970 et 1973), 5 Liège-Bastogne-Liège (1969, 1971, 1972, 1973 et 1975) et 2 Tours de Lombardie (1971, 1972), ainsi que 10 autres classiques : 3 Gand-Wevelgem (1967, 1970 et 1973), 2 Amstel Gold Race (1973 et 1975), 3 Flèches wallonnes (1967, 1970 et 1972), 1 Grand Prix de Francfort (1971) et 1 Paris-Bruxelles (1973).
5. Distinctions
Élu, de 1969 à 1974, à six reprises Sportif belge de l’année et désigné en 2000 par l’UCI Coureur du siècle, Eddy Merckx a remporté sept années de suite, de 1969 à 1975, le Super Prestige Pernod, classement de régularité reprenant les principales courses de l’époque, que l’on peut comparer au classement World Tour actuel.
6. Record
Le 25 octobre 1972, à Mexico, il est devenu détenteur du record du monde de l’heure en couvrant 49,431 kilomètres.