19 janvier 1984 : Moser efface le vieux record de l’Heure d’Eddy Merckx
- Publié le 19-01-2019 à 16h23
Il y a 35 ans, le 19 janvier 1984, le vieux Francesco Moser (bientôt 33 ans) bat le vieux record de l’Heure d’Eddy Merckx. Il l'effacera deux fois en quatre jours !
Le palmarès du mythique record de l’Heure égrène le nom des plus grands rouleurs de l’histoire du cyclisme. Fondateur du Tour de France, Henri Desgrange a inauguré la liste en 1893. Egg, Berthet, Olmo, Archambaud, puis Coppi, Anquetil, Baldini, Rivière et quelques autres ont suivi, améliorant, parfois de peu, la performance de leurs prédécesseurs respectifs.
À Rome, en 1967, devant une assistance maigrelette, Ferdinand Bracke a, le premier, franchi la barre des 48 km dans l’Heure, qu’on estimait à l’époque inaccessible. Un peu moins d’un an après, Ole Ritter, a amélioré la distance affichée par le coureur wallon de 600m. Mais le Danois a choisi la piste et, surtout, l’avantage de l’altitude de Mexico City. Ce qui expliquait, partiellement, l’avancée réalisée.
Quatre ans plus tard, à l’automne de l’une de ses plus belles saisons, Eddy Merckx se lance à son tour dans l’aventure. Après avoir bénéficié d’une préparation spécifique minimale et malgré la succession des courses, le champion des champions parcourt 49 km 431 en 60 minutes. Il termine exténué, on le doit l’aider à descendre de machine.
“Ce fut l’heure la plus intense de ma vie. Jamais je n’ai autant souffert !” explique Merckx.
Nous sommes alors le 25 octobre 1972. Le record de Merckx va tenir près de 12 ans et les tentatives pour le battre ne seront guère nombreuses et toutes vouées à l’échec. Jusqu’à l’arrivée de Francesco Moser, en janvier 1984…
Une préparation scientifique
Il y a 35 ans, un avion transverse l’Atlantique, emmenant Franceso Moser et une suite étonnante constituée de scientifiques, professeurs en médecine sportive (*), spécialistes en ergonomie, publicitaires et commerciaux ainsi qu’une poignée de journalistes. Destination : Mexico City et sa piste en ciment, laquelle a cependant été recouverte, pour l’occasion d’une couche d’un produit synthétique à base de résine dans le but de rendre mieux. À bientôt 33 ans, le champion italien, entre autres triple vainqueur de Paris-Roubaix (78-79-80), est, dit-on, au crépuscule de sa carrière. Après une préparation secrète de quatre mois, il envisage pourtant de s’attaquer au fabuleux record d’Eddy Merckx.
Moser gagne le pari que beaucoup estimaient impossible. Le 19 janvier 1984, il franchit allégrement la barre des 50 km (50 km 808), améliorant de plus d’un kilomètre la performance de Merckx. Mais ce n’est pas fini. Quatre jours plus tard, le lundi 23 janvier, l’Italien se remet en selle et parcourt cette fois 51 km 151 ! Pourquoi ce second essai ? Parce qu’à l’origine, rendez-vous avait été pris pour que la télévision italienne réalise un direct ce jour-là et que les supporters transalpins ne sont arrivés au Mexique que le lendemain du premier record. “Je recommencerai lundi pour les tifosi qui sont venus me voir”, avait-il promis. Comme s’il s’agissait d’un effort banal alors que les prédécesseurs de Moser, Merckx en tête, avaient dit à leur descente de machine : “Plus jamais ça !” tant ils avaient souffert.
“En réussissant cette impossible performance deux fois en quatre jours, Francesco Moser a démythifié le record du monde de l’Heure”, écrivons-nous à l’époque. Tout en rendant hommage à l’athlète, nous insistons aussi, beaucoup, sur l’apport technologique – l’apparition des fameuses roues lenticulaires, dites pleines – et scientifique dans ce double exploit.
En réalité, Moser a entamé une nouvelle ère. Une véritable révolution qui verra le record de l’Heure tenté et réussi par plusieurs coureurs, champions ou nettement plus modestes, sur des engins et dans des positions (Obree et la position de l’œuf) les plus incroyables, en s’éloignant de plus en plus d’une bicyclette traditionnelle. Moser lui-même, dix ans après ses performances mexicaines, se remettra en piste et, à 42 ans (!), améliorera encore sa distance (51 km 840), tout en demeurant en deçà de la performance du recordman de l’époque, le Britannique Chris Boardman.
De 1993 à 2000, le record changera à huit reprises de main, Boardman encore établissant la dernière distance homologuée (56,375 !) avant que l’Union cycliste internationale, ne fixe de nouvelles règles, obligeant de revenir à des vélos plus classiques.
Le 8 septembre 2000, tous les records établis après celui d’Eddy Merckx en 1972 – donc, à partir des deux réussis par Moser en janvier 1984 – sont effacés des tablettes et ne sont plus considérés que comme des “meilleures performances dans l’heure”. L’UCI donne ainsi raison à ceux qui, dès 1984, avaient expliqué pourquoi les records de Moser n’auraient jamais dû être homologués. La révolution amorcée par l’Italien a pris fin. Pendant un mois et demi, Merckx récupère ainsi son record, puis Boardman se remet en piste et, à Manchester, juste avant de prendre sa retraite sportive, il réussit à parcourir 49 km 441 en soixante minutes, soit à peine 110 mètres de mieux qu’Eddy Merckx 28 ans plus tôt, et nettement moins que Moser en 1984.
En 2005, le coureur tchèque Ondrej Sosenka signe une distance de 49 km 700, dans l’indifférence générale. Il resta en haut des tablettes du record du monde de l’Heure durant presque une décennie. Jusqu'à ce que l'UCI assouplisse sa réglementation en mai 2014, avec la fin de l'obligation de concourir sur un vélo classique. Désormais, "toutes les bicyclettes respectant les règles définissant les caractéristiques des vélos utilisés dans les épreuves d'endurance sur piste en vigueur" sont autorisées, les éventuels candidats peuvent dès lors utiliser des roues pleines ou à bâtons et un guidon de triathlète. L'Allemand Jens Voigt est le premier à en bénéficier : 51km 115 en septembre 2014. Le record de l'Heure redevient à la mode: il change cinq fois de mains en 9 mois. Jusqu'à ce que Bradley Wiggins le pulvérise le 7 juin 2015 à Londres : 54km 526 ! Malgré plusieurs tentatives, personne n'a amélioré cette marque depuis. Même si un Belge rêve d'être le prochain : Victor Campenaerts, champion d'Europe du contre-la-montre, a annoncé son intention de s'attaquer au record du Britannique. Il devrait tenter sa chance en avril 2019 à Aguascalientes, au Mexique, à 2.000 mètres d'altitude, où la résistance de l'air est meilleur. Comme Eddy Merckx en 1972. Ou Francesco Moser, il y a 35 ans…
(*) Le professeur Conconi avait préparé Moser. Il est apparu ensuite qu’il fut l’un des fervents défenseurs de l’administration d’EPO.