Belinda Bencic: le tennis younger, better, faster, smarter
Alors que Martina Hingis reprend du service en double, que Roger Federer finit petit à petit son parcours et que Stan Wawrinka a rejoint le cercle des grands, la Suisse s'est trouvé une nouvelle idole en la personne de Belinda Bencic, qui vient de créer la sensation en s'imposant à Toronto. Portrait.
- Publié le 20-08-2015 à 15h01
- Mis à jour le 16-04-2016 à 20h16
Elle aurait pu être l'héritière de Miloslav Mecir ou encore de Dominik Hrbaty. Elle aurait pu rejoindre le contingent slovaque déjà bien représenté sur le circuit WTA avec Dominika Cibulkova et Daniela Hantuchova. Pas si mal pour un pays de moins de 5,5 millions d'habitants. Belinda Bencic a préféré prendre un chemin encore plus difficile. Celui qui traverse les alpages suisses... et la rapproche inévitablement de Patty Schnyder, mais surtout de Martina Hingis, quintuple vainqueur en Grand Chelem et icône de la fin des années 90. Sans parler du duo Federer-Wawrinka, qui illumine le tennis masculin à coups de revers à une main et de service-volée.
Avec son revers à deux mains, son tennis d'une grande fluidité et son intelligence de jeu, Belinda Bencic n'a pas forcément opté pour la voie la plus facile. Et pourtant, tout lui réussit. A une vitesse folle. A dix-huit ans, la voilà propulsée parmi les favorites à l'US Open, un tournoi pourtant promis à Serena Williams, numéro un mondiale incontestable. Mais pas forcément incontestée...
Chris Evert: "Elle a le 'truc'"
2001, année de transition à la tête du tennis féminin. Martina Hingis vit ses dernières heures en tant que joueuse du top, éjectée par la volonté du tennis tout puissant. De son côté, un certain Ivan Bencic propose un rendez-vous avec sa fille Belinda, quatre ans, à Mélanie Molitor. Cette femme, très respectée par l'ensemble du tennis helvète, est également la mère et l'ex-coach d'une Hingis (déjà) en fin de parcours. Une fois la carrière de l'ancienne numéro un achevée, la madre poursuit sa route dans le milieu et se met à la recherche d'un successeur à sa progéniture. Et elle pourrait bien l'avoir trouvé en cette enfant née le 10 mars 1997, l'année où sa propre fille régnait outrageusement sur le circuit féminin avec son sourire enjôleur et ses coups de patte ingénieux...
Sa gamine a du talent, estime Ivan, qui a fui une Tchécoslovaquie envahie par l'armée communiste de Nikita Khroutchev avec son épouse Dana. Mais il aimerait avoir l'avis d'une pro. Quelques balles suffisent à convaincre Mélanie: Belinda a quelque chose et il faut le faire mûrir. Le clan quitte Flawil, dans le nord-est du pays pour s'installer à Zurich en 2004, où Belinda suit les cours à l'académie. "Le matin, elle me donnait une leçon privée, et l'après-midi, je jouais avec les autres enfants ", se souvient-elle dans le New York Times.
Alors que le tennis féminin est dominé par des Russes au jeu stéréotypé et les sœurs Williams, Mélanie Molitor ne peut se résoudre à entraîner sa petite protégée dans cette voie. Difficile en effet de se défaire de cette image qui collait à la peau de sa fille: une surdouée, une Mozart qui frappait moins fort, mais pensait plus vite que tout le monde. "J'ai appris à jouer intelligemment, à combiner un gros service avec des coups puissants, mais intelligents" , poursuit la joueuse dans le journal américain. Six mois passés chez Nick Bolletieri ne suffiront pas à saper l'intelligence de jeu et le sens tactique de la petite Bencic.
Ces qualités lui vaudront même les éloges de l'immense Chris Evert, qui l'accueillera également au sein de son académie à Boca Raton une petite dizaine d'années plus tard. "Dès qu'elle est arrivée, j'ai vu qu'elle était très solide mentalement, très sereine, structurée émotionnellement et je me suis dit: 'Elle a le "truc"'" , explique l'Américaine à CNN Open Court, en 2014.Celle-ci pointe également son habileté raquette en main, une sorte de "Molitor-touch": "On peut le voir à la façon dont elle prend la balle quand elle est ascendante, à cette façon qu'elle a de savoir 'improviser' et utiliser des coups en toucher quand elle en a besoin." Bien dans sa tête, bien dans son tennis, il reste un énorme défi pour Belinda: confirmer tous les espoirs placés en elle. Et assumer ce statut de "nouvelle Martina Hingis" qui lui colle à la peau.
Sur les traces de Martina Gabarit similaire (Belinda mesure 1,75 mètre pour soixante-trois kilos, contre 1,70 mètre et soixante kilos pour Hingis), même coach à ses débuts (c'est son père qui la suit aux quatre coins du globe, avec l'aide ponctuelle de Molitor), mêmes origines slovaques (Hingis est née à Kosice en 1980), même "patte" droite, Bencic et Martina partagent beaucoup de choses. Parmi celles-ci, on retrouve également une étonnante précocité. En 2011, elle met le tennis suisse à ses pieds dans des catégories d'âge bien supérieures à ce que renseigne sa carte d'identité. Elle débute sa carrière pro en écumant les tournois ITF de la région. Il faut bien se faire la main.
Quelques mois plus tard, elle débarque sur le circuit principal, en qualif' d'abord. C'est d'ailleurs à Bruxelles qu'elle livre son premier duel dans un "vrai" tournoi WTA. Sur la terre battue belge, elle élimine notamment Elena Bovina, ancienne top quinze il est vrai loin de son niveau d'antan. Qu'importe, elle fait la Une des journaux dans son pays dès janvier 2012. Et pour cause, la capitaine Christiane Jolissaint la sélectionne pour une rencontre de Fed Cup contre l'Australie. Elle n'a que quatorze ans et est 1058e au classement. Pourtant, on est loin d'un simple coup de pub, côté suisse...
Parallèlement à ses débuts chez les grandes, Belinda poursuit son parcours chez les juniors. Au grand dam de ses adversaires, qui n'ont droit à rien du tout, pas même aux miettes, en 2013. Outre une série de trente-huit rencontres d'affilée sans défaite, elle réalise le doublé Roland Garros-Wimbledon en battant deux filles plus âgées qu'elle en finale. A seize ans, elle sort donc une perf' que la dernière ado à avoir accompli n'est autre que... Martina Hingis. "C'était mon héroïne", dira plus tard Bencic, logiquement élue joueuse junior de l'année. "On se voit parfois sur les Grands Chelems et je suis honorée qu'elle vienne voir mes matches et me dise ce que je peux encore améliorer." Malgré son jeune âge, "Bencic la tueuse" reste calme face à tous ces lauriers qu'on lui tresse au lendemain de cette double victoire. "Etre au même niveau que Martina au même âge ? C'est quasi impossible, aujourd'hui...", relativise-t-elle à juste titre. A force d'être couronnée nouvelle sensation du tennis féminin, on pourrait voir Belinda craquer et baisser la tête. Mais la joueuse garde le cap...
Une herbe toujours plus verte
Le tennis chez les juniors, c'est terminé pour Bencic, qui n'a déjà plus rien à y apprendre. Et c'est l'heure des premiers tournois majeurs. En janvier 2014, elle se fait exécuter dans le premier set du deuxième tour de l'Open d'Australie par Na Li (6/0). Mais sa réaction dans le second (perdu 7/6) laisse présager le meilleur. Elle enchaîne avec une double victoire en Fed Cup contre la France et une demi-finale sur terre battue, à Charleston. Mieux, elle se paye le scalp de la top trente Maria Kirlenko et de Sara Errani, spécialiste de la surface et onzième mondiale à l'époque.
Après un joli troisième tour à Wimbledon, où elle n'est battue que par Simona Halep, troisième mondiale, elle atteint les quarts de finale à l'US Open, sa meilleure performance en Grand Chelem jusqu'à présent. Pour rejoindre le grand huit américain, Bencic écarte Angélique Kerber, septième mondiale, et Jelena Jankovic, dixième. Dommage, donc, de la voir se faire éliminer par Shuai Peng... Mais cet excellent millésime se conclut par une finale à Tianjin, ville chinoise qui fait tristement l'actu après la terrible explosion survenue mi-août. En une saison, elle passe de la 186e à la 32e place mondiale. Et flirte avec le statut de tête de série.
Son début d'année 2015 est pourtant loin de son niveau. Et surtout indigne de son nouveau classement. Une seule victoire en trois mois, voilà qui est bien peu pour une fille aux portes du top trente. Le printemps sur ciment américain lui permet de remettre les pendules à l'heure, grâce à des huitièmes à Indian Wells (où elle bat notamment Caroline Wozniacki en deux sets) et Miami. A une saison sur terre médi-ocre succèdent des exploits sur herbe: une finale à 's-Hertogenbosch (avec une victoire sur Alison Van Uytvanck au passage) et surtout un premier succès en tournoi, à Eastbourne. La victime en finale ? Agnieszka Radwanska, future demi-finaliste à Wimbledon.
Wimbledon, un tournoi que Belinda "kiffe" particulièrement. "L'herbe, c'est ma meilleure surface", raconte-t-elle sur le site officiel du Grand Chelem londonien en juillet dernier. "Cette surface correspond à mon jeu, je n'ai pas besoin de m'adapter, je peux jouer naturellement dessus. Et toute la tradition, le calme, c'est tellement différent. Jouer en blanc, c'est super classe." Une déclaration d'amour et un résultat satisfaisant: un huitième de finale, qu'elle perd contre Victoria Azarenka.
C'est pourtant sur dur que Benlinda touche le jackpot. A Toronto, elle soulève un deuxième trophée, gagne huit places, passant du vingtième au douzième rang WTA, et commet le crime de lèse-majesté ultime: éliminer Serena Williams ! Une bataille remportée au bout de trois sets où Bencic elle-même ne semble croire à ce qu'elle vient d'accomplir. Incrédule, elle se retourne vers son clan juste après la balle de match, comme pour avoir la confirmation que oui, elle vient bien de sortir l'Américaine du tournoi. Une Serena qui devra donc composer avec les nouvelles têtes du circuit: Garbine Muguruza, récente finaliste à Wimbledon, et Belinda Bencic, une Martina Hingis 2.0, qui a su allier la finesse du jeu à une maturité physique que ne possédait pas l'ancienne championne. C'est dire si elle peut aller loin...
Aurélie Herman