Van Cleemput, entraineur de Goffin: "Un grand chelem, c'est notre coupe du monde"
Avant le début de la quinzaine parisienne, nous donnons la parole à des entraîneurs importants du circuit. Aujourd’hui : le Belge Thierry Van Cleemput, coach de David Goffin.
- Publié le 25-05-2018 à 13h51
- Mis à jour le 25-05-2018 à 14h11
Avant le début de la quinzaine parisienne, nous donnons la parole à des entraîneurs importants du circuit. Aujourd’hui : le Belge Thierry Van Cleemput, coach de David Goffin. Quand David Goffin est là, il n’est jamais bien loin. Quand nous l’avons rencontré, à Rome, Thierry Van Cleemput venait de discuter avec Sam Sumyk et allait ensuite retrouver son grand ami Günter Bresnik, coach de Dominic Thiem. Dans le circuit, Thierry Van Cleemput est respecté. Nous l’avons rencontré pour qu’il évoque, avec passion, ce rôle si particulier de coach.
"Le coach est un majordome, il est au service de l’autre, s’occupe de l’autre et doit vivre ça au jour le jour. Mais le coach est aussi comme un couvercle de pot de confiture : il ne va pas sur tous les pots. J’ai vu des grands coaches dire : ‘j’ai la solution’ . Non, ce n’est pas vrai : ça marche avec une personne particulière. C’est un duo qui doit marcher. En ce qui me concerne, comme je suis de nature très empathique et donc anxieux, j’essaie d’anticiper et de mettre beaucoup de choses en place pour tenter d’éviter de se casser la gueule."
Comment expliquez-vous que ça colle si bien avec David ?
"J’aime bien les attitudes de David. C’est un garçon réaliste, qui est plein de valeurs et qui aime avoir un gars empathique avec lui. Je sais que j’ai son respect car avec moi, il est vrai : il ose me parler franchement et me dire ce qu’il pense. Le jour où il ne le fera plus, là, je serai inquiet. Je parle beaucoup avec David, mais on a tous des particularités et moi je suis un formateur de jeunes, c’est ma zone de compétence. C’est ce que je referai un jour dans ma vie. Et puis c’est dans ma nature aussi, je parle trop… (sourire) "
Certains coaches disent que c’est un travail solitaire, surtout quand ça ne va pas…
"Je suis partiellement d’accord, parce que c’est toujours lui qui trinque… Mais moi j’aime bien le contact. Je ne reste pas tout seul. Et oui, quand ça merde, ce sont des grands moments de solitude. Hélas, on n’a pas de solutions à tout."
Depuis tant d’années que vous coachez, quelles sont les choses qui ont le plus changé ?
"Énormément de choses ont changé, mais ça, c’est la vie, hein ! Déjà le fait de relativiser maintenant les défaites, l’assouplissement de cette anxiété qui est toujours là mais différente, le fait de savoir qu’il y a des paramètres constants que je commence à maîtriser donc l’expérience est là. Et puis, il y a des choses que les gens qui jugent les résultats ne peuvent pas savoir : personne ne peut savoir dans le tennis féminin par exemple si une jeune femme est malade, indisposée ou si un jeune homme n’a pas eu un souci pendant le week-end avec sa petite amie, a eu une indigestion, etc. Tout ça ne s’expose pas mais pourtant ,c’est la réalité et le coach est là pour gérer tous ces petits paramètres."
Coacher à ce niveau-là, c’est l’expérience d’une carrière ?
"Non, malheureusement. Il y en a certains qui diront que oui, mais moi, je peux me retrouver dans un tournoi pourri dans le nord de la France un dimanche soir sur une moquette ridicule et je vivrai le match de la même manière en ayant fait le même travail. Mais c’est clair que c’est plus amusant quand on est dans de bonnes conditions avec un joueur de haut niveau (sourire) ."
La position du coach en tennis est particulière : le joueur vous paie mais en même temps, c’est à vous de donner la marche à suivre. Comment gérer ça ?
"Je ne me mets pas de limites et David le sait. Je ne veux pas être corrompu même si on l’est déjà inévitablement : c’est le joueur qui paie, donc ça a de l’influence. Mais moi, j’essaie de minimiser cela. Je me répète souvent devant la glace que je dois garder cette intégrité et le fait de pouvoir être prêt à lui rentrer dedans le moment venu. On ne change pas son caractère, sa personnalité profonde. On modifie juste son attitude pour réagir différemment et c’est ça aussi l’expérience."
Comment abordez-vous le côté relationnel : faut-il être très proche de son joueur, mettre de la distance ?
"Il y a des coaches qui ne mangent jamais avec leurs joueurs. Moi, j’estime que je dois connaître le joueur, voir sa sensibilité. Il faut garder cette proximité, cette empathie nécessaire pour pouvoir l’aider. C’est une question personnelle, mais moi je préfère vivre avec le joueur : on va manger et faire des choses ensemble. C’est clair que ça complique la relation, que ça la rend plus difficile. Mais grâce à cette proximité, je ressens mieux ce qui peut lui arriver. Et ça, c’est tout de même très important."
"Un grand chelem, c'est notre coupe du monde"
"Les gens ne comprennent pas, un tournoi comme Roland-Garros est énergivore"
Roland-Garros, c’est un rendez-vous très spécial pour David Goffin et son coach. Thierry Van Cleemput en explique l’importance.
Comment prépare-t-on un joueur tel que David, qui a de grandes ambitions dans les plus gros tournois dont ce Roland-Garros ? Y a-t-il une bonne méthode, ou faut-il ne pas y penser ?
"Déjà, on n’est pas Nadal ou Federer. Federer fait le choix de ne pas jouer sur telle surface, donc il sait forcément qu’il doit être au rendez-vous ailleurs et se prépare pour ça. Il va essayer d’aller chercher un ou deux Masters 1000, un tournoi du Grand Chelem, peut-être le Masters. Cela va l’amener à 7.000 ou 8.000 points et donc à la première ou deuxième place mondiale. David, ce n’est pas son cas, donc il faut presque préparer semaine après semaine pour essayer le moment venu, si ça se met bien, d’être le plus performant possible. Évidemment que les tournois du Grand Chelem vont revêtir plus d’importance : il y a plus de points à aller chercher. C’est notre Coupe du Monde. Alors, comment se préparer ? Il faut essayer de ne pas se projeter trop loin car ça ne sert à rien, il faut vivre au jour le jour."
Comment on empêche un joueur de se projeter ?
"Il ne faut pas l’empêcher, il faut l’éduquer à savoir ce qu’il doit faire au quotidien et en vue d’un match. C’est essentiel, c’est une attitude positive, une attitude de gagnant et elle conduit à entreprendre. Si on se projette, c’est une catastrophe. C’est le problème de beaucoup de joueurs qui ne sont pas à un très bon niveau, ils sont dans le ‘si’ : ‘si je joue bien là-bas, je vais être bien à Roland-Garros et si je joue bien à Roland-Garros, alors je vais monter au classement…’ C’est une attitude de loser car si la première partie du contrat n’est pas remplie, alors tout s’effondre. Il faut couper court à tout ça : ce n’est pas une bonne philosophie de travail. Une maison, ça se construit brique par brique."
Comment décrire la pression d’un tournoi du Grand Chelem ?
"Ce sont les tournois les plus énergivores qui existent. Les gens ne le comprennent pas ! Même un premier tour coûte une énergie pas possible. Parfois, un joueur va avoir besoin de plusieurs semaines pour se remettre d’une défaite au premier tour. Quand ils en sortent, les gars sont épuisés. On part en avance, on prépare toute son équipe, on attend le tirage, on n’est pas à l’abri d’une contre-performance… C’est très difficile."
Y a-t-il une routine spéciale à mettre en place ou ne faut-il au contraire rien changer ?
"Tout le monde a sa manière de se préparer, nous aussi avec David. Le but reste de respecter le bon fonctionnement de l’individu toujours en vue de rendre la personne efficace et performante. Il faut se démerder pour trouver des solutions. Il faut avoir les mains dans les problèmes."
David revient à Roland-Garros après le terrible accident survenu l’an dernier, est-ce anodin ?
"Si un skieur qui s’est cassé la jambe ne devait plus jamais skier… Oui, il va skier de nouveau. Moi je n’y penserai pas du tout, mais c’est vrai que j’y ai pensé à Monaco quand on a commencé, parce qu’il va tellement loin dans ses défenses… À Rome par exemple, on a retrouvé les mêmes bâches… Mais un accident, c’est circonstanciel. David est un type rationnel, équilibré. Quand un accident est fini, c’est derrière lui."