Qui veut gagner des millions ?
Sous la pression des dollars, deux circuits parallèles de tennis pourraient bientôt cohabiter. Et mettre en danger de nombreux tournois qui ne pourront plus attirer les meilleurs…
- Publié le 20-10-2018 à 08h00
- Mis à jour le 21-10-2018 à 15h10
Sous la pression des dollars, deux circuits parallèles de tennis pourraient bientôt cohabiter. Et mettre en danger de nombreux tournois qui ne pourront plus attirer les meilleurs…
La saison tennistique touche à sa fin. Djokovic a remporté à Shanghai le 8e Masters 1000 de la saison, empochant 1.360.560 $ (1.175.524 €). Il reste deux rendez-vous lucratifs aux stars du circuit : Paris (29/10 au 04/11) pour clore la saison des plus prestigieux tournois de l’ATP, avant la grande finale des Masters, à Londres (11/11 au 18/11).La finale de la Coupe Davis entre la France et la Croatie (23-25/11) bouclera les festivités 2018, pour la gloire, cette fois, et pas (encore) un gros chèque. Ça, ce sera pour 2019.
Car le calendrier va muer, et se surcharger la saison prochaine, avec une guéguerre entre l’ATP et l’IFT (fédération internationale), arbitrée par quelques acteurs privés qui allongent les dollars pour appâter le chaland. Obligeant les meilleurs joueurs a bien choisir leurs priorités, donc leurs tournois. Et comme les stars du circuits sont toutes trentenaires, elles doivent se ménager en délaissant certaines épreuves, en grand danger alors de ne plus séduire les sponsors et les spectateurs.
Le circuit se doit d’anticiper les retraites prochaines de ses artistes du XXIe siècle (Federer, Nadal, Djokovic et Cie : tous les joueurs en activité qui ont gagné un Grand Chelem ont désormais plus de 30 ans !), mais prend-il la bonne direction en risquant de construire deux routes parallèles : les meilleurs se concentrant sur les Grands Chelems, les Masters 1000, des épreuves parfois artificielles ou de lucratives exhibitions pour amasser les millions ; les autres se disputant les ATP 250 et 500 pour glaner des points ?
En relançant la World Team Cup (avec 24 équipes), en relookant la Coupe Davis grâce aux dollars de Gerard Piqué (3 milliards sur 25 ans) et du groupe Kosmos, ou en installant des tournois marketing du type Laver Cup, le paysage tennistique a commencé sa mue. Voici les 4 épreuves qui veulent le redessiner…
1. Coupe Davis (IFT avec Kosmos)
Rachetée cet été par le groupe Kosmos, présidé par le footballeur espagnol Gérard Piqué, la Coupe Davis va se jouer désormais sur une semaine entre 18 nations. Cette nouvelle formule garantit 3 milliards $ (2,5 milliards € environ) sur 25 ans à l’ITF, 20 millions $ chaque année aux joueurs et plus encore - 22 millions $ - aux fédérations.
Madrid sera la ville hôte des deux premières phases finales version Kosmos. Le rendez-vous 2019 est programmé du 18 au 24 novembre, à la Caja Magica, qui accueille chaque printemps le Masters 1000 de Madrid. Les demi-finalistes de l’édition 2018 (France, Espagne, Croatie et États-Unis) sont qualifiés d’office. Deux nations ont reçu des wild-cards : l’Argentine (3e mondiale) et la Grande-Bretagne (5e)… mais pas la Belgique, pourtant 4e au ranking. Les décideurs ont défendu leur choix, en mettant en avant "la riche histoire en Coupe Davis" des pays choisis, ainsi que "leurs récents succès dans la compétition". Pour Goffin et ses potes, il faudra donc batailler pour figurer parmi les 12 nations qui émergeront de matches de qualifications qui se joueront les 1er et 2 février 2019 sur le modèle historique domicile/extérieur (les Belges se déplaceront au Brésil)…
Pourquoi réformer la Coupe Davis ? Parce que les meilleurs joueurs l’avaient désertée, répondent les nouveaux organisateurs. Mais Federer ou Djokovic ne sont pas enchantés de devoir se farcir des éliminatoires peu après l’Australian Open (la Suisse, qui doit défier la Russie, et la Serbie, qui doit se farcir un voyage en Ouzbékistan, ne font pas partie des pays qualifiés d’office). Et puis, la phase finale en novembre, en clôture de saison, pose problème…
"J’ai le sentiment que la date est vraiment mauvaise, notamment pour les meilleurs joueurs", a confié à Shanghai Djoko. "En novembre, je ne veux plus jamais jouer au tennis", a renchéri l’Allemand Alexander Zverev. Piqué se veut néanmoins optimiste. "Je suis confiant sur le fait que nous pouvons trouver un accord", a-t-il glissé cette semaine. Le footballeur semble en revanche inquiet de la cohabitaion avec la nouvelle World Team Cup : "Personne ne sait si ces deux compétitions peuvent coexister. Mais le tournoi de l’ATP est un nouveau projet. La Coupe Davis a une histoire plus longue, et beaucoup plus de crédibilité…"
2. World Team Cup (ATP)
L’ATP a en effet (re) lancé au tout début de l’été une formule de compétition par équipes, la World Team Cup (avec 24 équipes) en Australie, abandonnée en 2012, mais qui doit reprendre en janvier 2020. Elle devrait logiquement remplacer la Hopman Cup, compétition de nations qui se jouaient jusqu’ici avant l’Open d’Australie. "Une compétition majeure qui aura un impact minimal sur le calendrier des joueurs" a affirmé Chris Kermode, président de l’ATP. Avec un prize money de 15 millions € pour les joueurs ainsi que des points ATP. Histoire d’embêter l’ITF et sa réforme de la Coupe Davis…
3. Laver Cup (Federer)
L’épreuve créée en 2017 par Roger Federer, qui s’inspire, dans son format, de la Ryder Cup de golf, opposant l’Europe au reste du monde, a connu sa deuxième édition fin septembre à Chicago. Et elle semble charmer public et joueurs : disputée par les meilleurs, avec des capitaines de légende (Borg et McEnroe), sur un court en ciment noir, avec un format de compétition original (trois simples et un double par jour au meilleur des trois sets, avec un 3e set se jouant en 10 points), sans oublier des primes d’engagement rondelettes. Chacun des 6 membres de l’équipe victorieuse (l’Europe) serait assuré de toucher 250.000 $ minimum, plus un bonus lié notamment au sponsoring. Au même moment, le vainqueur du tournoi ATP 250 de Saint-Pétersbourg, Dominic Thiem, palpait 209.645 €… Alléchant donc. Pour preuve, malgré une épaule fragile, David Goffin a préféré répondre favorablement à l’invitation de son confrère suisse, quitte à mettre en danger sa fin de saison… finalement écourtée dès le tournoi suivant.
Pour Federer, la Laver Cup, qui célèbre le légendaire joueur australien Rod Laver, permet de briser la monotonie du circuit ATP.
"J’aime l’idée qu’on puisse être rivaux toute la saison et qu’on soit associés le temps d’un week-end très excitant", a expliqué le joueur aux 20 titres du Grand Chelem. Le Suisse a déjà annoncé que l’édition 2019, selon le principe de l’alternance Europe/reste du monde, aurait lieu à Genève.
4. Majesty Cup (Kosmos)
D’après le Daily Telegraph, Gerard Piqué, encore lui, planche sur une nouvelle formule de tournoi. Baptisée Majesty Cup, cette exhibition verrait s’affronter 64 joueurs dont le gagnant final empocherait la dotation totale de l’événement, à savoir 10 millions $ (soit 8,5 millions €), et rien pour les 63 autres. 10 millions $, soit plus que la somme totale remportée par les quatre vainqueurs des Grands Chelems réunis, et davantage que l’ensemble des gagnants des Masters 1000 !
Calqué sur le format de compétitions de poker du type Winner takes all (le gagnant prend tout), le tournoi initié par le footballeur du Barça prendrait la place d’une semaine désormais libre avec la refonte de la Coupe Davis (mi-septembre, après l’US Open, quand se tenaient les demies et barrages de l’ancienne version de la Coupe Davis ?).
Il y a 50 ans, l’ère Open…
En 1968, amateurs et professionnels purent enfin taper la balle ensemble Le tennis fait sa révolution… 50 ans après. En 1968, la petite balle jaune entrait dans l’ère Open. Pour la première fois, les fédérations autorisent les tennismen professionnels à jouer les tournois qu’elles organisent en compagnie des amateurs. Avant, deux circuits étaient organisés, en parallèle : les amateurs disputaient des tournois sans toucher le moindre prize-money ; et les pros jouaient des épreuves dotées… mais devaient renoncer, la mort dans l’âme, à s’inscrire aux tournois du Grand Chelem, épreuves historiques qui n’accordaient aucune compensation financière.
Les Anglais tirèrent les premiers : la fédé britannique annonça qu’elle voulait ouvrir Wimbledon aux professionnels. Et les instances internationales, sentant le vent tourner, ouvrirent la boîte à Pandore. C’était du win-win : permettre aux meilleurs joueurs de disputer les tournois les plus prestigieux et, ainsi, augmenter l’affluence des tournois de plus en plus boudés par le public.
L’exemple de Rod Laver fut évidemment le plus emblématique. L’Australien, meilleur tennisman amateur, avait réalisé le Grand Chelem en 1962, avant de devenir professionnel en août 1963. Il ne put donc plus participer aux quatre tournois historiques jusqu’en 1968, et le début de cette ère Open. Finaliste à Roland Garros et vainqueur à Wimbledon cette année-là, il réalisa un deuxième Grand Chelem en 1969, le premier, donc, d’un professionnel. Sans ces cinq années privées de GC, Laver aurait sans doute gagner plus que 11 Majeurs.